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Liban

Un dimanche maronite à Taizé...

L’évêque maronite de France, Mgr Nasser Gemayel, scrute la céramique exposée dans l’atelier et la boutique de Taizé. Il a déjà fait son choix de livres retraçant l’histoire de cette communauté si particulière et les écrits du frère Roger. À ses côtés, un groupe de Libanais venus de Paris, parmi lesquels son secrétaire particulier, le père Raymond Bassil, et les sœurs antonines de la rue du Regard ainsi que de jeunes moines antonins de Chaponost, à Lyon, admirent les œuvres des frères : icônes et peintures, CD et DVD, colliers en émail et poteries, collages et eaux-fortes. Ils se sont tous joints à la retraite spirituelle organisée par l’infatigable père Maroun Atallah, comme on part à l’aventure.
En ce temps de l’Avent, la colline de Taizé est figée dans le froid de décembre, les maisons du village recroquevillées sur elles-mêmes. Devant l’église, une crèche africaine est veillée par un âne gris, un vrai, sous la lumière vacillante de plusieurs lumignons. Le silence règne sur la campagne bourguignonne, rompu par le carillon des cinq cloches montées sur le campanile, à l’entrée. Hommes, femmes et étudiants sortent alors des baraques en bois construites sur la butte et se pressent en direction de l’église, dite de la Réconciliation. Le soir tombe vite, et, avec lui, la température extérieure. Mais à l’intérieur, un incroyable espace de sérénité vous saisit. Regroupés au milieu de l’église, les frères, vêtus d’une aube blanche, sont agenouillés ou assis sur un escabeau individuel en bois ; autour d’eux les fidèles ont adopté la même attitude, par terre ou sur les gradins de pierre, ou encore à genoux devant l’icône de la croix de Saint-François d’Assise. Tous les regards se portent vers le chœur où des dizaines de veilleuses insérées dans de petits murs de briques diffusent une chaude lueur orangée, accentuée par de grandes toiles triangulaires qui couvrent les murs de béton derrière l’autel, évoquant les voiles d’un navire. La voix des frères de Taizé coule comme un fleuve limpide dans l’enceinte recueillie. Les antiennes brèves, méditatives, sont reprises dans diverses langues. Beauté des voix humaines unies dans un cantique. Sous l’effet répétitif, elles distillent un sentiment de paix et créent un pont avec l’Invisible. Le long silence qui alterne avec les chants appelle à la maturation du grain, la parole de Dieu, dans les cœurs et les esprits.
Il faut vivre un tel instant pour comprendre ce qui fait courir les jeunes du monde entier à Taizé, auprès de cette communauté si particulière qui s’y est implantée depuis 70 ans, par l’inspiration d’un homme, son fondateur, le frère Roger. À quelques lieues de là se dressent les ruines de la célèbre abbaye bénédictine de Cluny, qui fut le plus grand centre de la chrétienté occidentale au Moyen Âge, détruite à la Révolution française avec un acharnement proportionnel à son faste et à sa puissance. Dans certains villages de la région, la messe n’a pas été célébrée depuis près de deux siècles. L’anticléricalisme y a accompli son travail de sape, jusqu’à ce que fleurisse dans ce désert religieux l’oasis de Taizé, comme un jaillissement printanier après un long hiver. Petit à petit, le rayonnement de Taizé a dépassé les frontières et la petite colline de Bourgogne est devenue un lieu de retraite spirituelle, voire de pèlerinage, pour les chrétiens de toutes confessions et origines, de la Chine à la Guadeloupe, d’Allemagne au Mexique et à la Côte d’Ivoire. D’où vient donc ce charisme particulier qui attire les foules et qui surprend toujours les frères eux-mêmes ? La spiritualité œcuménique de Taizé semble répondre à un besoin de l’homme d’aujourd’hui, tourné vers l’ouverture et la rencontre avec l’autre, aspirant à l’unité chrétienne, dans une démarche faite de simplicité et d’authenticité. « Ah, Taizé, ce petit printemps ! » s’était exclamé le pape Jean XXIII en saluant frère Roger. Lui faisant écho, Jean-Paul II, qui s’y était rendu lors de son voyage en France, avait déclaré : « On passe à Taizé comme on passe près d’une source. » Les rencontres des jeunes à Taizé lui auraient même inspiré les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ).
Au matin de ce deuxième dimanche de l’Avent, c’est le chant profond et rauque de l’Orient syriaque qui s’est élevé au milieu de la messe. Porté par la voix puissante et belle des moines antonins venus de Lyon, l’« hymne à la lumière » et le chant de communion ont résonné dans l’église de Taizé, au cours de la messe dite par l’évêque Maroun Nasser Gemayel, accompagné des pères Atallah et Bassil. Une messe inédite, qui s’est coulée dans le rituel de la communauté de Taizé. La liturgie d’Antioche s’est fondue dans la prière œcuménique, elle y a apporté sa richesse et le souffle mystique des origines, comme le sel ou les épices dans la farine. Et le pain qui lève est le fruit du travail des hommes, de tous les hommes, unis dans une même prière, chantée dans toutes les langues. Cette messe si particulière, maronite et universelle à la fois, préfigure la voie de nos Églises d’Orient. Cette voie est celle de l’universalité ; elle s’ouvre à eux au moment même où leurs assises géographiques se fragilisent. Si nul ne peut arracher les racines d’un cèdre, ses pousses portées par les vents (qui sont souvent des tempêtes) germent et grandissent sous d’autres cieux. Le fleuve qui jaillit de sa source trace son cours dans les méandres de la terre, afin que plusieurs nations se désaltèrent à son eau en cours de route. Ainsi en est-il déjà de ces Églises, témoins du Christ sur la terre de Sa naissance et de Sa passion : elles sont appelées aujourd’hui à une nouvelle mission, un témoignage plus universel dans le monde entier, commencé pour la plupart d’entre elles il y a déjà plusieurs décennies, dans le sillage de leurs communautés émigrées. Aujourd’hui cependant, l’enjeu est devenu plus grand, les paroisses plus vastes et plus cosmopolites. Un nouveau volet de l’histoire des chrétiens d’Orient est en train de s’écrire. Il pourrait débuter par ces mots pleins d’espérance, de saint Grégoire de Nysse, un Père de l’Église : « Celui qui monte ne s’arrête jamais, allant de commencement en commencement, par des commencements qui n’ont pas de fin. »
L’évêque maronite de France, Mgr Nasser Gemayel, scrute la céramique exposée dans l’atelier et la boutique de Taizé. Il a déjà fait son choix de livres retraçant l’histoire de cette communauté si particulière et les écrits du frère Roger. À ses côtés, un groupe de Libanais venus de Paris, parmi lesquels son secrétaire particulier, le père Raymond Bassil, et les sœurs...

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