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Liban - Liban

Chakib Cortbaoui : Il est temps de plancher sur le dossier des victimes de disparition forcée

Le projet de décret visant à la formation d’une commission nationale indépendante pour les victimes de disparition forcée continue de susciter des remous. Le ministre de la Justice, Chakib Cortbaoui, affirme à « L’Orient-Le Jour » qu’il est ouvert à toutes les suggestions, « mais dans le cadre d’un décret ».

Chakib Cortbaoui : « Je suis ouvert à tout, mais je ne peux rien faire en dehors de ce qui est possible dans le cadre du décret. »  Photo Marwan Assaf

Le ministre de la Justice, Chakib Cortbaoui, a présenté récemment au Conseil des ministres un projet de décret visant à former une commission nationale indépendante pour les victimes de disparition forcée. Depuis, ce projet ne cesse de susciter l’indignation de certaines parties, notamment le comité des familles des disparus au Liban, l’association des anciens détenus en Syrie et la Fondation des droits de l’homme et du droit humanitaire. Ces associations réclament une «loi» et non un «décret», et s’opposent à l’appellation de «disparition forcée». Elles contestent en outre le fait que le dossier des disparus et celui des détenus en Syrie «soient mis dans un même sac».
«La loi est certes meilleure. Nous sommes tous d’accord sur ce point, mais au train où vont les choses, une loi ne verra jamais le jour», affirme à L’Orient-Le Jour Me Cortbaoui.


Un rappel historique s’impose. En 1997, Me Cortbaoui, alors bâtonnier de l’ordre des avocats de Beyrouth, évoque pour la première fois le dossier des Libanais dans les prisons syriennes, lors d’un séminaire sur les prisons. Au cours de la même période, le barreau de Beyrouth envoie à l’Organisation des Nations unies un rapport, en réponse à celui présenté par l’État libanais, dans lequel il est question des détenus en Syrie. Un rapport qui a d’ailleurs été vivement critiqué à la Chambre.


En l’an 2000, le gouvernement libanais se penche pour la première fois sur le dossier des Libanais détenus en Syrie. Une première commission d’enquête a été mise en place cette année-là. Présidée par le colonel Sélim Abou Ismaïl, elle a publié, six mois après sa formation, un rapport affirmant que toute personne disparue depuis plus de quatre ans est considérée comme décédée. Quelques jours plus tard, la Syrie libère des prisonniers libanais.
Une deuxième commission a été formée en 2001 et était présidée par Fouad el-Saad, alors ministre d’État pour la Réforme administrative. Elle n’a pas publié de rapport officiel. Idem pour la troisième commission, formée en 2005 par le gouvernement Nagib Mikati et présidée par le magistrat Joseph Maamari.

Un projet plus «étroit»
En octobre 2011, le député Hikmat Dib, membre du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, présente à la Chambre une proposition de loi visant à former une commission nationale indépendante pour les victimes de disparition forcée. Parallèlement, un texte de loi portant sur «le droit des familles des enlevés et disparus à la vérité» a été élaboré, sous la supervision du Centre international pour la justice transitionnelle (ICTJ), à la demande du comité des parents des disparus et des enlevés au Liban et de Solide (Soutien aux Libanais en détention et en exil). «Le projet présenté par le député Hikmat Dib n’a jamais été discuté en commission parlementaire, souligne Me Cortbaoui. Et celui présenté par les parents n’a pas été jusqu’à présent adopté par un député afin d’être présenté au Parlement.»
Et d’ajouter: «Depuis l’an 2000, rien n’a été fait. La tente dans laquelle les familles observent leur sit-in est dressée depuis 2005 au centre-ville de Beyrouth et les familles n’ont pas encore eu gain de cause. Malgré leur douleur, on ne se rappelle d’eux qu’occasionnellement. En tant qu’être humain, ancien bâtonnier, membre du courant aouniste et ministre de la Justice, je devais agir. Or, il existe deux manières de le faire, soit par le biais d’un décret, soit par le biais d’une loi. La loi est certainement meilleure, d’autant qu’elle donne des pouvoirs d’investigations et de justice à cette commission que le décret ne peut pas donner. Mais l’expérience des derniers mois nous a montré qu’elle ne va pas être avalisée.»
Me Cortbaoui explique dans ce cadre qu’il a décidé d’agir. «J’ai décidé donc de préparer un projet plus étroit, puisque le décret ne peut pas donner les mêmes prérogatives que la loi, ajoute-t-il. L’important pour moi était de commencer quelque part. Je me suis dit que du moment qu’on commence un travail, on peut toujours l’élargir. Ce décret peut également constituer un stimulant pour faire approuver une loi ou au moins pour commencer à tirer au clair le problème.»

 

(Reportage : Manifestation à Beyrouth pour raviver la cause des 17 000 disparus)


Avec l’aide des spécialistes, le projet de décret a été donc préparé. Il prévoit la formation d’une commission nationale indépendante pour les victimes de disparition forcée, pour un mandat de six ans. Elle compte un président et six membres: deux représentants des familles dont l’un d’eux est vice-président, un magistrat, un officier de l’armée et une autre des forces de sécurité, un spécialiste d’ADN, un représentant de la Croix-Rouge. «De plus, cette commission aura un directeur général qui doit être spécialisé dans l’affaire de disparus, donc forcément il doit être membre de ces ONG, indique Me Cortbaoui. Donc, les parties concernées par ce projet de décret auront trois représentants au sein de la commission. Par conséquent, ils vont faire bouger les choses et l’affaire ne restera pas oubliée.» Selon le décret, la commission consultera la base de données ADN des Forces de sécurité intérieure.

Une action imminente est nécessaire
Le projet de décret a été soumis aux comités des familles des disparus et des détenus en Syrie, ainsi qu’aux ONG concernées et au Conseil d’État, et le texte a été modifié sur base des remarques formulées avant d’être présenté en Conseil des ministres. «Or, plusieurs ONG ont formulé de nouvelles remarques, insistant pour avoir une loi et ont présenté une lettre au Premier ministre Nagib Mikati dans ce sens, constate Me Cortbaoui. D’autres ONG, comme Amnesty International, ont fait remarquer qu’une loi servira mieux le dossier, mais qu’elles sont satisfaites puisque une action a enfin été entreprise sur le terrain. Vu les positions contradictoires, le Conseil des ministres a décidé de former une sous-commission ministérielle pour étudier le projet de décret.» Celle-ci est formée des ministres Chakib Cortbaoui, Ali Kanso, Waël Bou Faour et Sélim Jreissati.
«Je suis ouvert à toute proposition, insiste encore Me Cortbaoui. Le projet n’est pas sacré. C’est un travail humain et donc, on peut faire des erreurs.»


La sous-commission ministérielle a de nouveau écouté les familles et les ONG concernées. Elle devrait présenter une version modifiée du projet de décret dans les prochains jours. «Toutes les parties campent sur leurs positions, déplore Me Cortbaoui. Certaines ne veulent entendre parler que d’une loi, d’autres acceptent de commencer par un décret. On évoque souvent l’exemple de la Bosnie-Herzégovine. Or, en Bosnie-Herzégovine, le régime a été renversé et Milosevic emprisonné. Au Liban, rien n’a changé. Le système est toujours le même. D’aucuns refusent d’accepter cette réalité.»
En ce qui concerne l’appellation de «disparition forcée», Me Cortbaoui explique que ce terme est internationalement reconnu. Selon la définition des Nations unies, la disparition forcée englobe toute personne arrêtée, détenue ou enlevée contre sa volonté et dont le sort ou l’endroit où elle se trouve ne sont pas révélés.
«Je suis ouvert à tout et je suis prêt à changer l’appellation, insiste encore Me Cortbaoui. Mais je ne peux rien faire en dehors de ce qui est possible dans le cadre du décret. En ce qui concerne le dossier des détenus en Syrie et celui des disparus au Liban, il revient à la commission de travailler sur plusieurs pistes. Je ne peux pas créer une commission pour chaque dossier.»


Et de conclure: «Il faut être réaliste dans la vie. Certainement, il faut toujours avoir de l’ambition et vouloir le meilleur, mais en attendant, il faut commencer quelque part. Il faut agir avant que toutes les traces ne disparaissent complètement.»

 

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Mieux que rien ou pire que tout?telle est la question!

GEDEON Christian

04 h 47, le 22 novembre 2012

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Commentaires (1)

  • Mieux que rien ou pire que tout?telle est la question!

    GEDEON Christian

    04 h 47, le 22 novembre 2012

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