L'armée libanaise s'est déployée lundi dans les quartiers sunnites de Beyrouth, où des échanges de tirs avec des hommes armés et des déclarations politiques enflammées ont relancé l'inquiétude sur la stabilité du pays.
Les soldats se sont déployés à Tariq al-Jdidé et dans les quartiers environnants, bastions des partisans du chef de l'opposition Saad Hariri, et toutes les routes ont été ouvertes dans la capitale, ont constaté les photographes de l'AFP.
Dans la matinée, les soldats avaient essuyé des tirs lorsqu'ils avaient voulu rouvrir la route menant à Tariq al-Jdidé, et l'armée avait riposté.
Par ailleurs, sur l'avenue Qasqas, au rond point Cola et sur la corniche Mazraa, proche de Tariq al-Jdidé, des hommes armés de kalachnikovs et portant des cagoules noires empêchaient les voitures de passer en obstruant la chaussée avec des ordures, des pierres et des morceaux de fer. L'armée a indiqué lundi avoir tué un Palestinien de 20 ans, Ahmad Qouaider, qui avait tiré à l'arme légère sur une patrouille dans la région.
Ces violences interviennent au lendemain des funérailles de Wissam el-Hassan, le chef des renseignements de la police tué lors d'un attentat à la voiture piégée, vendredi, place Sassine, en plein coeur de Beyrouth. Son chauffeur et une mère de famille, Georgette Sarkissian, passant par là, ont également été tués, alors que 126 personnes ont été blessées.
Dimanche, les funérailles du général ont pris un tour violent, quand un groupe de manifestants a tenté de prendre d'assaut le Sérail, siège du gouvernement dirigé par Nagib Mikati.
Si le calme est revenu devant le Sérail après des appels en ce sens lancés par les leaders de l'opposition, dans d'autres régions de Beyrouth et du Liban, la tension reste forte.
Dans la nuit de dimanche à lundi, l'armée a mené une opération à Tariq al-Jdidé, dans l'ouest de Beyrouth, à la poursuite d'hommes armés. Des rafales d'armes automatiques et le bruit sourd des roquettes anti-char ont été entendus. Les affrontements ont fait six blessés, dont un Syrien et un Palestinien, a-t-on indiqué de source officielle.
"Rien ne sera plus comme avant. Nous allons nous réunir avec Ahmad Hariri (responsable du Courant du futur de Saad Hariri) pour lui dire que nous n'accepterons plus de rester marginalisés", a dit l'un des manifestants sunnites, à l'AFP.
Même si le chef du gouvernement Mikati et plusieurs ministres sont sunnites, l'actuel cabinet est dominé par des alliés du Hezbollah chiite, mouvement puissamment armé, proche de Damas et de Téhéran.
Dans certains quartiers de Beyrouth, l'armée s'est déployée en force, lundi,
alors que des sunnites armés ont coupé des routes pour protester contre l'assassinat de Wissam el-Hassan. REUTERS/Mohamed Azakir
Communiqué de l'armée
En face, l'armée s'est déclarée "déterminée à rétablir la sécurité et préserver la paix civile" au Liban.
"Les développements des dernières heures ont montré sans l'ombre d'un doute que la nation traverse des moments très critiques et que la tension a atteint des degrés sans précédent dans certaines régions", affirme l'armée dans un communiqué diffusé lundi. "La sécurité est une ligne rouge, de même que les atteintes aux institutions officielles et aux intérêts publics et privés", avertit-elle. Appelant "tous les citoyens, quelle que soit leur appartenance politique, à agir avec responsabilité dans cette période difficile", l'armée demande aux manifestants et hommes armés de "se retirer des rues" et "rouvrir les routes" coupées par des pneus en feu.
"L'armée prendra des mesures fermes surtout dans les régions en proie à des accrochages confessionnels pour empêcher que le Liban ne se transforme de nouveau en un champ de bataille pour régler les différends régionaux et que l'assassinat du général Wissam el-Hassan ne soit utilisé pour assassiner la nation", prévient-elle.
"Nous appelons toutes les forces politiques à être circonspectes dans l'expression de leurs positions et de leurs idées (...) car le destin du pays est en jeu", dit encore l'armée le commandement de l'armée dans son communiqué.
Un homme armé et cagoulé à Qasqas, dans le sud de Beyrouth.
Fadel Itani/AFP
Lors des obsèques du général Hassan, dimanche à la mosquée al-Amine, dans le centre ville de Beyrouth, Fouad Siniora, chef du bloc parlementaire de l'opposition, a chauffé à blanc les manifestants, accusant Nagib Mikati de "couvrir" le crime, et l'appelant à partir, alors qu'un autre intervenant avait lancé : "trêves de discours, fonçons sur le Sérail!"
Dimanche soir, Saad Hariri a affiché sa détermination "à renverser le gouvernement de manière pacifique et démocratique", critiquant le soutien des pays occidentaux à M. Mikati. "Nous ne sommes pas obligés de suivre les conseils de certains qui pensent que c'est l'intérêt du Liban (de maintenir en place le gouvernement actuel). L'intérêt du Liban est la chute du gouvernement", a-t-il souligné. Depuis l'attentat de vendredi, l'opposition libanaise multiplie les appels à la démission de Nagib Mikati.
Un avis que Walid Joumblatt ne partage pas. Lundi, le chef du Parti socialiste progressiste (PSP) a considéré que, "la campagne menée contre le gouvernement pourrait mener au vide politique, un vide voulu par le régime baasiste".
Il a assuré que "la paix civile est une ligne rouge pour son parti" qui est prêt à prendre part à un nouveau gouvernement d'union nationale qui sauverait le Liban de cette situation. Selon lui, ce gouvernement doit toutefois bénéficier d'un consensus local et international.
Walid Joumblatt a enfin appelé toutes les parties à "ne pas faire porter au gouvernement et à son chef plus qu'il ne peut porter", mettant en garde contre "l'entrainement du pays vers l'inconnu."
Des ambassadeurs occidentaux appellent à "l'unité nationale"
Inquiets de voir le pays sombrer dans la violence, les ambassadeurs au Liban des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, et Derek Plumbly, coordinateur spécial de l'ONU au Liban, ont affiché leur attachement à la stabilité du pays.
Dans un communiqué lu après une rencontre avec le président Michel Sleiman, lundi, ils ont appelé "toutes les parties au Liban à préserver l'unité nationale". "C'est vital que les institutions et l'action gouvernementale se maintiennent afin d'assurer la stabilité, la sécurité et la justice au Liban", ont-ils souligné.
Pour sa part, le président français, François Hollande, a appelé lundi l'ensemble des forces politiques libanaises à "l'unité, à la solidarité" et "à la responsabilité". "Toutes les forces politiques doivent comprendre que c'est l'essentiel qui est en jeu et la France est aux côtés des Libanais, aux côtés de l'ensemble des acteurs politiques du Liban pour qu'il y ait toujours cette préservation de l'essentiel : l'unité, l'intégrité", a-t-il insisté.
Le général Wissam el-Hassan, qui dirigeait les renseignements de la police libanaise, a été tué vendredi dans un attentat à la voiture piégée place Sassine, au coeur de Beyrouth. L'opposition libanaise et les experts ont imputé le crime au régime syrien. Le chef de l'Etat, Michel Sleiman, et le Premier ministre Nagib Mikati, ont eux-même établi un lien entre l'attentat de vendredi et l'arrestation, début août, de l'ancien ministre libanais Michel Samaha, accusé d'avoir fomenté des attentats, avec le chef des renseignements syriens, Ali Mamlouk, au Liban, afin d'attiser les dissensions confessionnelles. Le général Wissam el-Hassan avait été à l'origine de cette arrestation.
Des hommes armés sunnites, à Qasqas, lundi matin. REUTERS/Hussam Shebaro
Violences à Tripoli
Aujourd'hui, la tension était également très forte à Tripoli, au Liban-Nord. Sept personnes ont été tuées lundi - deux alaouites et cinq sunnites - et 12 autres personnes blessées, dont une fillette de 4 ans et trois militaires, dans des affrontements entre le quartier pauvre de Jabal Mohsen, majoritairement alaouite, confession du clan Assad, et celui de Bab al-Tabbaneh, essentiellement sunnite, selon une source au sein des services de sécurité.
L'armée s'est déployée en force dans la ville, mais des tireurs embusqués sévissaient encore dans la soirée, selon la même source.
La veille, les échanges de tirs avaient fait 3 morts, dont une fillette de 9 ans, et 26 blessés.
(Lire aussi : À Tripoli, des salafistes essaient de semer la peur)
Lundi, les écoles et les universités de la région n'ont pas ouvert leurs portes, selon l'Agence Nationale d'Information (ANI, officielle), qui a par ailleurs indiqué que toutes les routes de Tripoli ont été rouvertes sauf l'autoroute Meloula-Beddaoui qui relie la grande ville du Liban-nord au Akkar et à la Syrie et qui est la cible de tirs de la part de franc-tireurs.
Face à la dégradation de la situation, plusieurs personnalités tripolitaines se sont réunies lundi au domicile du député Mohammad Kabbara, dans la grande ville du Liban-Nord, et ont appelé au calme.
"Les forces de l'ordre et l'armée libanaise vont immédiatement rétablir le calme et se déployer en force dans les régions où se déroulent les affrontements. Nous appelons les Tripolitains à coopérer avec les autorités (...)", a déclaré M. Kabbara au terme de la réunion.
Pour Ghassan al-Azzi, professeur de Sciences politiques à l'Université Libanaise, "Saad Hariri et ses partisans concentrent leurs attaques sur Nagib Mikati car c'est un rival politique pour le poste de Premier ministre, et évitent de s'en prendre de manière frontale au Hezbollah, car cela se transformerait directement en affrontements entre sunnites et chiites". "S'en prendre directement au Hezbollah signifie sans ambages être clairement en faveur de la guerre civile", a-t-il averti.
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commentaires (9)
La signature de ce Crime est très claire, malgré la Noirceur de l'accoutrement des signataires.....
Antoine-Serge KARAMAOUN
02 h 09, le 23 octobre 2012