Maher al-Mokdad, porte-parole du puissant clan chiite libanais du même nom, a annoncé jeudi soir, lors d'une conférence de presse, la suspension de toutes les "opérations militaires" de la famille à travers le territoire libanais.
Les Mokdad, famille dotée d'un "bras armé", ont revendiqué mercredi le rapt de 33 Syriens et d'un ressortissant turc en riposte à l'enlèvement cette semaine d'un membre du clan par un groupe rebelle syrien qui l'accuse d'être un tireur embusqué à la solde du Hezbollah, puissant parti chiite libanais armé proche du régime de Damas. Des accusations rejetées par les Mokdad et le Hezbollah.
L'annonce de la fin des "opérations militaires" a été l'occasion d'un dérapage intra-clan Mokdad. Ali al-Mokdad, un député du Hezbollah présent lors de la conférence de presse donnée par Maher al-Mokdad, a critiqué l'utilisation de l'expression "opérations militaires" pour désigner la vague d'enlèvements, ce qui a provoqué une dispute entre le parlementaire et d'autres membres du clan, selon des images retransmises en direct par plusieurs télévisions libanaises.
Un garde du corps du député hezbollahi, lui aussi membre de la famille Mokdad, a également coupé la parole à Maher, mettant en garde contre le risque de dérapage suite à cette vague d’enlèvements. "Nous sommes contre l’Armée syrienne libre (ASL, rebelle), mais pas contre les Syriens, même s’ils sont opposés au régime (de Bachar el-Assad)", a lancé le garde du corps de Ali al-Mokdad, dont le nom n’a pas été divulgué.
Suite à cette dispute, les journalistes ont été appelés à sortir de la maison des parents de Hassan al-Mokdad, où avait lieu la conférence de presse. Le député Ali al-Mokdad a également quitté les lieux sans faire de commentaires.
Le site d’el-Nashra a affirmé que des coups de feu ont été entendus à l’intérieur de la maison.
Des membres cagoulés de la branche armée du clan chiite libanais Mokdad
posant devant des photographes à Beyrouth le 15 août 2012. AFP/Stringer
Ressortissant turc
Les déclarations de Maher al-Mokdad confirment une annonce faite un peu plus tôt dans la journée. "Nous allons cesser les opérations d’enlèvements pour le moment parce que nous détenons déjà beaucoup de Syriens", avait-il déclaré dans la journée.
Ce matin, Maher Mokdad s'était néanmoins montré assez virulent. Après une rencontre avec le ministre libanais des Affaires étrangères Adnane Mansour, le porte-parole du clan avait accusé le responsable libanais d'être plus intéressé par le sort du Turc enlevé par les Mokdad mercredi, "que par celui de Hassan, un Libanais".
Une accusation suivie d'une mise en garde : "Si un mal quelconque est fait à Hassan, notre première victime sera le ressortissant turc". Alors qu'on lui demandait de préciser sa pensée, Maher al-Mokdad avait déclaré : "Nous n'avons aucun problème à le tuer". Il a ajouté que les otages syriens se portent bien.
Mercredi après-midi, la "branche armée" de la famille Mokdad a affirmé avoir capturé un ressortissant turc à Beyrouth. "Il était ici pour affaires, il est arrivé aujourd'hui et a été enlevé à proximité de l'aéroport", a précisé à Reuters un diplomate en poste au Liban.
Hier, Adnane Mansour a appelé les Mokdad à libérer le Turc, mais ces derniers ont affirmé qu'"aucune force sur Terre ne pourra le libérer tant que Hassan ne sera pas rentré au Liban".
Dans une interview à la chaîne al-Mayadine, Abou Ali al-Mokdad avait déjà menacé, mercredi, d'avoir recours à "des actions supplémentaires si Hassan n'est pas libéré. Tous les Syriens du Liban sont des cibles légitimes", avait-il averti.
Dans une déclaration télévisée, un membre de la "branche armée" du clan Mokdad avait également assuré que son groupe détient une "large base de données comportant des noms importants de nouvelles cibles au Liban et dans la région". "Nous avons les noms de toutes les personnes impliquées dans l’enlèvement de Hassan, ainsi que ceux qui hébergent des combattants de l’ASL que ce soit à Aley, à Tripoli ou dans l'Iqlim al-Kharroub", avait encore dit l’homme dont le visage était dissimulé par une cagoule.
Médiation de la Croix-Rouge
Ghazi al-Mokdad, un autre porte-parole de la famille a par ailleurs affirmé ce matin dans un entretien avec Lorientlejour.com que des représentants de la famille Mokdad pourraient rendre visite aujourd’hui à leur proche, Hassan, otage en Syrie.
"Aujourd’hui (jeudi), la Croix-Rouge a répondu favorablement à notre appel de médiation et essaie d’obtenir une visite des otages du côté syrien et libanais", a expliqué Ghazi Mokdad. "C’est un développement très important", a-t-il ajouté.
Il a également tenu à préciser que sa famille ne souhaite pas pousser la situation vers l’escalade, assurant que la balle est dans le camp de l’Armée syrienne libre et de l’opposition syrienne en général, qu’il accuse d’être responsable de l’enlèvement de Hassan.
Ressortissant saoudien
Ghazi al-Mokdad a, par ailleurs, démenti auprès de Lorientlejour.com les informations faisant état de l’enlèvement d’un ressortissant saoudien à Beyrouth par le clan Mokdad. "C’est une information erronée, a-t-il dit. Nous l’avons démentie à maintes reprises et même l’ambassade saoudienne l’a démentie". "Nous avons certes lancé des menaces contre le Qatar et l’Arabie saoudite, mais nous n’avons kidnappé aucun ressortissant des pays du Golfe", a-t-il ajouté.
Dans ce contexte, cinq monarchies arabes du Golfe, les Émirats arabes unis, le Qatar, Bahreïn et le Koweït, après l'Arabie saoudite, ont appelé mercredi leurs ressortissants à quitter le Liban en raison de menaces potentielles liées aux retombées du conflit syrien. (Lire ici)
"Aucun lien" avec Amal et le Hezbollah
Évoquant son proche enlevé en Syrie, Ghazi al-Mokdad assure que "Hassan n’est qu’un employé de banque qui n’entretient aucun lien avec (les mouvements chiites libanais) Amal ou le Hezbollah". "Il travaillait pour la Jammal Trust Bank à Beyrouth, mais a dû fuir vers la Syrie pour échapper à un mandat d’arrêt lancé contre lui suite à un différent juridique avec la banque en question, affirme Ghazi al-Mokdad à Lorientlejour.com. Il est entré en Syrie il y a un an et quelques mois, et non pas il y a quelques jours comme l’affirment ses ravisseurs. Cette information peut d’ailleurs être vérifiée rien qu’en examinant son passeport. Il s’est rendu à Damas en attendant que son affaire soit réglée avec la banque pour laquelle il travaillait".
Il y a quelques jours, un groupe rebelle syrien, revendiquant le rapt de Hassan al-Mokdad, l'a accusé d'être un franc-tireur et un membre du Hezbollah, le mouvement chiite libanais qui soutient le régime syrien de Bachar el-Assad.
"Ce n'est ni un tireur embusqué, ni un membre du Hezbollah. Sa femme ne porte même pas le voile. Toutes ces accusations sont des mensonges. Notre demande n'est pas politique. Il s'agit d'une question humanitaire", a déclaré Abou Ali al-Mokdad. Le Hezbollah a également démenti que Hassan était l'un de ses membres.
Dialogue National
Du coté des autorités libanaises, le président de la République Michel Sleiman s'est réuni jeudi avec des ministres et chefs de la Sécurité puis avec les leaders politiques du Liban dans le cadre d'une nouvelle réunion des participants au dialogue national, afin de discuter de la situation sécuritaire à la suite de la vague d'enlèvements de ressortissants syriens.
Au terme de la réunion des chefs politiques, le Premier ministre Nagib Mikati a déclaré que les incidents sécuritaires qui se sont produits mercredi "ne se répéteront plus". "Je suis sûr et certain que ces incidents ne se reproduiront plus et que l'autoroute de l'aéroport (international de Beyrouth) ne sera plus bloquée", a martelé M. Mikati.
Pèlerins chiites
Aujourd'hui, Maher al-Mokdad a par ailleurs insisté, lors de son entretien avec Lorientlejour.com, sur le fait que son clan n'était pas responsable du chaos à Beyrouth. Il en a rejeté la faute sur les familles des pèlerins chiites libanais enlevés en Syrie en mai dernier.
Hier, certains médias ont affirmé que quatre des onze pèlerins chiites libanais enlevés il y a trois mois en Syrie avaient été tués dans un bombardement de l'armée de l'air syrienne contre la localité de Azaz près d'Alep (nord de la Syrie). Certaines chaînes de télévision avaient annoncé la mort des onze pèlerins dans ce bombardement qui a fait plus de 20 morts, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
En réaction à cette annonce erronée, des dizaines de Syriens ont été harcelés ou enlevés et leurs biens vandalisés mercredi soir au sud de Beyrouth, a annoncé l'agence de presse officielle libanaise. "Une atmosphère de chaos règne" à la lisière de Choueifat et Hay Sellom, dans une zone chiite de la banlieue-sud de la capitale, a affirmé l'ANI.
"Les parents et les voisins des Libanais enlevés en Syrie sont sortis dans les rues et ont commencé à harceler des Syriens et à vandaliser leurs biens après la diffusion d'informations non confirmées faisant état de la mort de quatre Libanais enlevés", a affirmé l'agence.
L'ANI a précisé que des hommes en armes étaient ensuite sortis dans les rues. "Certains ont vandalisé les magasins et détruit des voitures mises en vente dans des salles d'exposition. La situation était hors de contrôle".
Mercredi soir, des proches des pèlerins chiites libanais enlevés en Syrie le 22 mai dernier,
ont coupé la route de l'aéroport de Beyrouth. AFP /ANWAR AMRO
Les onze pèlerins libanais ont été enlevés le 22 mai dernier dans la région d'Alep, alors qu'ils rentraient en bus au Liban après un pèlerinage en Iran. Un groupe jusqu'alors inconnu, les "Révolutionnaires de Syrie-Province d'Alep", a revendiqué fin mai ce rapt.
Le président Sleiman a annoncé aujourd'hui la formation d'un comité de suivi pour gérer ce dossier.
Air France déroute un vol
Par ailleurs, un vol Air France parti de Paris en direction de Beyrouth a été dérouté vers Damas mercredi soir, en raison de la situation au Liban, afin de refaire le plein de carburant avant d'aller se poser à Chypre, a indiqué à l'AFP une porte-parole de la compagnie aérienne.
"Par précaution, Air France a dérouté le vol car les conditions de sécurité ne sont pas entières à Beyrouth", notamment sur la route de l'aéroport, a indiqué cette porte-parole avant d'ajouter que l'appareil ne s'était arrêté en Syrie que le temps de faire le plein de carburant avant de repartir vers sa destination finale, l'aéroport de Larnaca à Chypre.
Selon une source aéroportuaire à Beyrouth, "la direction d'Air France à Paris a pris cette décision après avoir reçu des informations selon laquelle la route de l'aéroport est bloquée par des manifestations". Des manifestants chiites ont bloqué la route de l'aéroport en brûlant des pneus, a-t-il dit.
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commentaires (11)
Ces clans, ou bandes armées, appelez-les comme vous voulez, par leur parution dans les rues de Beyrouth montrent qu'ils sont organisés pour les batailles des rues et villes, afin que le gros des effectifs du Hezb puisse être au front en cas d'invasion sioniste. D'où la déclaration : Nous arrêtons nos opérations militaires sur tout le territoire Libanais.
SAKR LEBNAN
14 h 11, le 16 août 2012