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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

Pestilence à la carte

Individualistes dans l’âme, les Libanais, qu’ils soient responsables ou simples citoyens, sont aussi, en quelque sorte, des réactionnaires : en ce sens qu’imprévoyance et inconscience les portent à réagir après coup plutôt qu’à agir, qu’à prévenir.

Il y a quelques semaines s’effondrait comme château de cartes un vétuste immeuble d’habitation dans un quartier populeux de Beyrouth, ensevelissant sous ses décombres des dizaines de malheureux. Murs lézardés, piliers ployant sous la surcharge, les signes avant-coureurs de la catastrophe n’avaient pas manqué pourtant. C’est une fois survenue la catastrophe que l’on s’avisait de relever l’existence, dans la capitale et en province, de plus d’un millier d’édifices présentant les mêmes et terribles stigmates de la décrépitude, que l’on s’alarmait enfin de la fatigue structurelle d’un pont routier qu’empruntent tous les jours des dizaines de milliers de véhicules. Les écrans de télé n’ont pas désempli, à l’époque, des généreuses marques de sollicitude prodiguées aux familles sinistrées de Karm el-Zeytoun. Merci mais c’était un peu tard, hélas : tellement tard, en fait, que ministères concernés et conseils municipaux n’ont pas fini, à ce jour, de se rejeter la responsabilité de tant de stupéfiante négligence observée en matière de contrôle des normes élémentaires de sécurité.

Ce drame se renouvelait la semaine dernière sur la côte de Tabarja, avec l’effondrement d’un immeuble demeuré une quarantaine d’années en état de chantier. L’air marin avait transformé en un entrelacs de spaghettis l’armature métallique de l’édifice abandonné, mais nul ne s’était soucié d’en ordonner la démolition. Ou du moins d’en interdire l’accès à une misérable population de squatters : en l’occurrence un groupe de ces travailleurs étrangers que le Liban, peu porté en effet sur les humbles tâches, importe en abondance sans toujours leur réserver un traitement décent. Sans même parfois accorder plus d’importance à une vie humaine qu’à celle d’un moucheron. Ainsi, une semaine entière après l’incident de Tabarja, aucune opération de déblaiement n’était encore entreprise hier pour retrouver un ouvrier indien coincé sous les décombres et dont on ne sait s’il est mort ou vivant : la cauchemardesque raison en étant que les responsables craignent de provoquer la ruine d’un immeuble mitoyen, lui aussi en panne de chantier et qui aurait dû être rasé depuis des années puisqu’il était illégalement construit !

De cette effroyable indignité un autre exemple était fourni il y a peu avec le spectacle filmé d’une employée de maison éthiopienne rossée par son recruteur devant l’ambassade de son pays où elle tentait de chercher refuge, et qui a fini par se pendre avec un drap dans sa chambre d’hôpital.

Dernier scandale en date, ces lots de viande plus que périmée, avariée, infestée de vermine, capable de rebuter même des charognards, que des grossistes sans scrupules écoulaient auprès de certains restaurants et supermarchés. Comme pour Karm el-Zeytoun, c’est après coup seulement que défilent à longueur de journée les responsables pour nous assurer qu’on va voir ce qu’on va voir. Or on a vu assez hélas, dans ce pauvre pays où la protection politique s’étend aux bandits et où les aliments ne sont pas seuls à se corrompre. Ou à se laisser corrompre.

Car le plus extraordinaire n’est pas que cette viande en décomposition avancée ait trouvé moyen de pénétrer, ou alors de reposer plus longtemps que de raison, dans un pays où l’on consomme couramment de la chair animale crue, et où la vigilance étatique devrait pour le moins égaler celle du Japon friand de poisson. Le plus incroyable est que les empoisonneurs n’en sont pas à leur premier coup, que plus d’une fois dans le passé certains de ceux-ci ont été pris la main dans le sac et même condamnés à des peines de prison et à des amendes. Le plus révoltant, c’est qu’ils ont régulièrement bénéficié de la part de certaines autorités, en termes de sursis et de réductions d’amendes, d’une clémence proprement criminelle.
Les empoisonneurs ne se mangent pas entre eux.

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb

Individualistes dans l’âme, les Libanais, qu’ils soient responsables ou simples citoyens, sont aussi, en quelque sorte, des réactionnaires : en ce sens qu’imprévoyance et inconscience les portent à réagir après coup plutôt qu’à agir, qu’à prévenir.Il y a quelques semaines s’effondrait comme château de cartes un vétuste immeuble d’habitation dans un quartier populeux de...
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