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Nos Lecteurs ont la Parole

II.- La nature des affrontements armés en Syrie au regard du droit international humanitaire

Par Sagi SINNO
I. Il serait important de noter que le deuxième protocole additionnel aux Conventions de Genève, relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, ajoute une exigence de territorialité comme critère du conflit armé interne. Aux termes de l’article 1.1 de ce protocole additionnel, il faut que les forces rebelles « exercent sur une partie (du) territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le présent protocole ». Cette exigence est à modérer dans le cas syrien pour plusieurs raisons (voir L’Orient-Le Jour du samedi 25 février 2012).
Avant tout, la Syrie n’a pas ratifié le deuxième protocole additionnel aux Conventions de Genève. Ensuite, le deuxième protocole additionnel est difficilement applicable en tant que droit coutumier parce que sa valeur coutumière est encore contestée. De plus, cette exigence du contrôle territorial a été abandonnée ultérieurement tant par la jurisprudence internationale(1) que par le statut de Rome de la Cour pénale internationale (article 8, 2,
e-f) (2). De toute façon, et pour éliminer le moindre doute, il serait intéressant de remarquer que même dans l’hypothèse où ce critère de la territorialité de l’insurrection s’appliquait au cas syrien, ses éléments seraient bien réunis. En effet, les combattants de l’Armée syrienne libre contrôlent effectivement certains quartiers dans certaines grandes villes (Baba Amro à Homs, certains quartiers de Hama), et ce contrôle s’étend progressivement à d’autres villes, comme par exemple tout récemment à certains quartiers dans des villes proches de la capitale même (région de Rif Dimachk).
En somme, il serait exact d’affirmer, qu’au regard du DIH, les éléments tangibles d’un conflit interne sont manifestement réunis dans le cas de la Syrie. Reste peut- être la volonté politique de reconnaître une telle qualification, vu les répercussions juridiques qu’elle peut avoir.

II. La nécessité de l’application des règles minimales du droit international humanitaire
Du moment où des affrontements insurrectionnels sont qualifiés de conflit armé interne, le DIH est applicable dans ses règles minimales, c’est-à-dire celles qui garantissent un minimum de protection humanitaire aux personnes concernées. De manière principale, c’est l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève du 12 août 1949 qui définit ce minimum humanitaire.

A – Le minimum humanitaire
Il est de prime abord important de rappeler ces règles minimales en citant directement l’article 3 commun : « En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des hautes parties contractantes, chacune des parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes :
1. Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou pour tout autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.
À cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus :
a) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;
b) les prises d’otages ;
c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et
dégradants ;
d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés.
2. Les blessés, les malades et les naufragés seront recueillis et soignés.
Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux parties au conflit.
Les parties au conflit s’efforceront, d’autre part, de mettre en vigueur par voie d’accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente convention.
L’application des dispositions qui précèdent n’aura pas d’effet sur le statut juridique des parties au conflit. »

B – Les principaux effets de l’application du minimum humanitaire au cas syrien
L’application de l’article 3 précité au cas syrien comporterait plusieurs effets concrets, dont on ne citera brièvement que les plus importants.
En premier lieu, l’application du minimum humanitaire dans un conflit interne s’impose à toutes les parties en présence, aussi bien aux forces loyales au régime qu’aux forces rebelles (Armée syrienne libre). Les combattants des deux côtés seraient jugés non seulement sur la base du droit pénal interne syrien, mais également sur la base du droit international humanitaire (compétence matérielle éventuelle du droit international pénal).
Ensuite, l’application du minimum humanitaire entraînerait automatiquement la reconnaissance du statut international des forces rebelles en tant que parties à un conflit interne.
Le plus important reste que la reconnaissance de l’existence d’un conflit armé interne pourrait constituer le premier pas vers l’internationalisation du conflit (au sens juridique du terme). En effet, le DIH reconnaît la possibilité pour un conflit interne de se transformer en conflit international. Certains conflits, qui sont de nature interne à la base, peuvent devenir internationaux suite à certaines interventions étrangères (dont celles de l’ONU par exemple). En d’autres termes, la reconnaissance d’un conflit interne en Syrie pourrait ouvrir la voie devant une intervention humanitaire sous l’égide de l’ONU, qui aurait pour conséquence d’internationaliser le conflit et de porter alors l’application du droit international humanitaire dans son intégralité.
Enfin, il est clair que, d’un point de vue juridique, les affrontements en Syrie réunissent les critères d’un conflit armé interne. Dès lors, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ainsi que les autres organisations internationales (notamment régionale : la Ligue des États arabes) ont un rôle d’une importance cruciale à jouer : celui de constater l’existence d’un tel conflit. Une telle reconnaissance pourrait constituer un événement charnière dans la suite des événements et qui aurait des conséquences juridiques évidentes. L’application du DIH dans le conflit syrien ne serait plus facultative, et sa violation, qui resterait très probable, serait alors susceptible d’engager internationalement la responsabilité pénale de ses auteurs (accusations de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide).

Sagi SINNO
Master en droit international
Doctorant à l’Université Paris 2, Panthéon-Assas

(1) TPIY, affaire Tadic, op. cit.
(2) Auquel la Syrie n’est pas partie non plus.
I. Il serait important de noter que le deuxième protocole additionnel aux Conventions de Genève, relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, ajoute une exigence de territorialité comme critère du conflit armé interne. Aux termes de l’article 1.1 de ce protocole additionnel, il faut que les forces rebelles « exercent sur une partie (du)...

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