Pour de nombreux chercheurs, responsables pédagogiques et représentants du ministère de l’Éducation, ce fut l’occasion de faire le point sur les méthodes actuelles des didactiques linguistiques au Liban et ailleurs. Marisa Cavelli, enseignante chercheur à l’ancien Institut régional de recherche éducative du Val d’Aoste, se félicite d’abord du potentiel linguistique extraordinaire du pays, où la majorité des jeunes « apprennent une langue du groupe sémitique, roman et germanique ». Pourtant, les représentations symboliques et idéologiques associées « notamment au français et à l’arabe classique, et qui découlent largement de rapports de pouvoirs intrasociaux, entravent l’exploitation totale de ce potentiel ».
S’approprier le monde par la parole
Grumperz, linguiste allemand, propose de développer une « grammaire des ressources humaines » afin d’analyser « le fonctionnement des relations humaines à partir d’une société parlante ». Ainsi, le français est perçu comme la langue de l’élite, de la culture, de la littérature. Parler français, c’est aussi déclamer une identité qui s’est formée au gré de l’histoire du Liban et des alentours. Mais cette perception du français n’est pas un phénomène local.
Dans le cadre de ses études postcoloniales, Franz Fanon soulignait déjà les profondes relations psycho-sociales entre l’Antillais et la langue française : « Le noir antillais sera d’autant plus blanc, c’est-à-dire se rapprochera d’autant plus du véritable homme, qu’il aura fait sienne la langue française (...)
Un homme qui possède le langage possède par contre le monde exprimé et impliqué par ce langage. »
Faisant écho à Marisa Cavelli, qui considère le français comme « une langue de salon dans laquelle on n’a pas le droit à l’erreur », Isabelle Grappe, experte au département de langue française de l’Institut français du Liban, souligne que les enseignants de français au Liban ne manquent décidément pas de compétences linguistiques, mais plutôt de confiance en soi. Cette « insécurité linguistique » se retrouve également à travers l’enseignement de l’arabe classique, qui demande, lui aussi, un haut niveau de compétence et de rhétorique. Au lieu de considérer le français et l’arabe classique comme des sanctuaires, il faudrait plutôt encourager leur appropriation par les locuteurs de langues maternelles diverses, comme cela est de plus en plus le cas avec l’anglais. Au Kenya, on parle par exemple le « sheng » (Swahili-English) et à New Delhi le « hinglish » (Hindi-English). Pour Daniel Coste, professeur émérite et auteur du Cadre européen commun de référence pour les langues, cela est en partie dû au fait que « l’anglais ne porte pas les mêmes représentations. En plus de son statut international, il y a des circulations didactiques en anglais assez facilement adaptées et tolérées pour d’autres contextes. » L’apprentissage de l’anglais à travers les nouveaux médias sociaux semble être une source de motivation supplémentaire.
Oser l’arabe libanais
Le vernaculaire libanais tient aujourd’hui une place de plus en plus importante dans les didactiques d’apprentissage de langues à l’école. Alors qu’on sourit souvent en entendant certaines expressions bien libanaises comme « bonjourein » ou « hi, kifak, ça va ? », on remarque également une tendance de la part de nombreux parents à parler en anglais ou en français plutôt qu’en libanais à leurs enfants. Selon Daniel Coste, parents et enseignants devraient plutôt se servir du libanais « pour faire progresser dans d’autres langues », et tenter de placer les langues du Liban sur un pied d’égalité pour, selon Sylvie Warton, experte des didactiques du plurilinguisme à l’Université de Provence Aix-Marseille, rétablir une « paix linguistique dans la salle de classe ».
Finalement, remettre en valeur le vernaculaire libanais serait également riche en conséquences du point de vue du développement de l’identité nationale, mais aussi de la mobilité sociale des individus. En effet, on choisit souvent sa langue d’expression selon le réseau social auquel on s’adresse, et les langues deviennent de ce fait des ponts intercommunautaires.
Au final, l’apprentissage de plusieurs langues pourrait être considéré, non pas comme l’acquisition de compétences distinctes, mais plutôt d’une compétence composite qui, pour Amin Maalouf, est une caractéristique décidément libanaise : « Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c’est que je suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. C’est précisément cela qui définit mon identité. »
La langue libanaise ! ? C'est sérieux, oui ? ! Mais ce n'est que du verlan arabo-turco-franco-bazardo-métissé....
10 h 51, le 23 février 2012