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L’ambition du Hamas : devenir le représentant de tout le peuple palestinien - Éclairage

L’ambition du Hamas : devenir le représentant de tout le peuple palestinien

La priorité du mouvement islamiste est de consolider son pouvoir. Ni la résistance contre Israël ni la réconciliation avec le Fateh ne semblent l’intéresser à court terme.

Le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal. Ali Jarekji/Reuters

Le monde arabe bouge, le Hamas aussi. En effet, le mouvement islamiste palestinien semble traverser une profonde mutation pour s’adapter à ce nouvel environnement. Ce changement est marqué en apparence par une redistribution des cartes entre les dirigeants du Hamas en exil et ceux de la bande de Gaza. Ainsi, Ismaïl Haniyeh, le chef du gouvernement du Hamas à Gaza, a multiplié dernièrement ses tournées régionales, visitant l’Égypte, le Soudan, la Turquie et la Tunisie, mais aussi le Qatar et l’Iran. De son côté, le chef du bureau politique du Hamas poursuit lui aussi ses visites dans les capitales de la région. Dernière en date, la rencontre à Amman, sous les auspices du Qatar, avec le roi Abdallah II. Ouvertement contesté par des dirigeants de son mouvement à Gaza, Khaled Mechaal a en outre annoncé qu’il ne souhaitait pas se représenter aux élections de la direction du Hamas, qui devraient avoir lieu dans les prochains mois.
Les premiers signes de cette tension sont apparus quand les dirigeants de Gaza ont accusé Khaled Mechaal d’avoir accepté trop de concessions pour la réconciliation interpalestinienne, temporisant parallèlement la mise en œuvre de l’accord conclu récemment au Caire avec le président palestinien Mahmoud Abbas. Quant au conflit avec Israël, le chef du Hamas prône désormais « la résistance populaire pacifique », alors que Mahmoud Zahar, principal dirigeant du Hamas à Gaza, a immédiatement réagi déclarant que « la résistance armée aussi pouvait être populaire ». Ce dernier avait publiquement désavoué il y a quelques mois M. Mechaal pour s’être dit prêt à donner une chance aux négociations avec l’État hébreu.

Fortes divergences au sein du Hamas
Pour Nathan Brown, professeur de sciences politiques à l’Université de George Washington et chercheur au Carnegie, « il y a de fortes divergences au sein du Hamas ». « Certaines ont un caractère géographique, mais d’autres sont beaucoup plus complexes, souligne-t-il. Elles concernent notamment l’équilibre diplomatique régional, la politique interne du mouvement et la problématique de la résistance. »
« C’est toujours le cas d’une organisation dont une partie est sur le territoire national et une autre partie de la direction en exil, explique pour sa part Didier Billion, chercheur à l’IRIS. Il y a ainsi des nuances et des perceptions différentes qui existent depuis plusieurs années. »
Rachad Antonius, professeur à l’Université du Québec à Montréal, parle lui aussi « de sensibilité à des conditions environnantes changeantes ». Selon lui, le leadership installé en Syrie sentait sans doute la pression pour appuyer le régime syrien. Le Hamas de Gaza a, quant à lui, toujours été plus proche des Frères musulmans égyptiens. « C’est là la source de la tension », explique-t-il.
Le chercheur Sakr Abou Fakhr, spécialiste de la question palestinienne, est plus nuancé. Il estime qu’« il y a actuellement un conflit réel entre le Hamas de l’intérieur, qui a le vrai pouvoir populaire, et le Hamas de l’extérieur, qui a le réseau international d’aide et de contacts ». Selon lui, le conflit actuel est né du fait que les dirigeants de Gaza estiment que la conjoncture régionale leur est favorable, avec le triomphe des mouvements islamistes un peu partout dans le monde arabe, du Maroc au Koweït, en passant par la Tunisie, la Libye et l’Égypte bien sûr. Et ils pensent aussi que ce sera le cas en Syrie. Sans oublier également la Turquie. « Ils se sentent ainsi victorieux. Et ils étudient sérieusement la possibilité de se déclarer officiellement comme la branche palestinienne des Frères musulmans, voulant revenir pour ainsi dire à leur source », ajoute-t-il.
Les conséquences de cette perception sont variées. D’abord, le Hamas de Gaza n’est pratiquement pas intéressé par la réconciliation initiée par Khaled Mechaal avec le Fateh de Mahmoud Abbas. On ne voit ainsi, sur le terrain, aucun changement palpable, puisqu’ils ne sont nullement pressés d’appliquer cet accord.
« Le Hamas de l’intérieur n’est donc pas intéressé par la réconciliation palestinienne. Le mouvement islamiste est par contre très tenté par une légitimité et une alliance régionale fondées sur la mouvance islamiste », explique M. Abou Fakhr. La priorité du Hamas est donc de consolider son pouvoir, non seulement à Gaza, mais aussi sur l’ensemble des Palestiniens. Son ambition est de contrôler également la Cisjordanie. Une situation impossible puisqu’Israël ne peut permettre un tel scénario. « Reste une autre ambition du Hamas : sa mainmise sur l’OLP. Le but du Hamas est d’écarter le Fateh et de le remplacer pour devenir ainsi le représentant de tout le peuple palestinien », ajoute-t-il.
Un autre conflit d’importance divise les deux camps : l’Iran. Alors que les Gazaouis prônent un rapprochement avec la politique générale des Frères musulmans sur le plan régional, hostile à la République islamique, le clan de Mechaal prêche une politique plus équilibrée qui prend en compte le contexte arabe, mais aussi son alliance avec l’Iran.
C’est dans ce contexte qu’on peut interpréter le refus de Khaled Mechaal de se représenter à la direction du Hamas, et ce de deux manières : « Soit il se livre à des manœuvres pour montrer son mécontentement avant de poser ses conditions, ou bien il réalise qu’il ne peut plus diriger le Hamas et veut donc se retirer. Une troisième option consiste à choisir une personnalité proche des deux camps, à savoir Moussa Abou Marzouk, en attendant les développements sur la scène régionale, notamment en Syrie », explique Sakr Abou Fakhr.
D’où le ballet diplomatique entrepris d’une part par Haniyeh, et d’autre part par Mechaal, tous deux cherchant à consolider leur position.

Conséquence des révoltes arabes
On voit bien alors que « le Hamas n’est pas tout à fait étranger à l’onde de choc politique qui traverse le monde arabe et qui a touché tous les pays, bien qu’à des degrés différents », explique Didier Billion. Mais, selon lui, les conséquences des révoltes arabes ne sont pas mécaniques. « Il est très difficile de les mesurer aujourd’hui, mais il est évident que le changement régional se fera sentir non seulement sur les dirigeants du Hamas, mais aussi sur les habitants et sur la jeunesse de Gaza », ajoute-t-il.
Or jusqu’à présent, on ne voit pas vraiment un changement notable, explique pour sa part Nathan Brown, qui souligne « l’apparition de plusieurs choix, toujours au stade exploratoire, comme la réconciliation interpalestinienne et la résistance populaire. Ces alternatives semblent aujourd’hui plus attractives, surtout dans le contexte des révoltes arabes ».
Rachad Antonius estime pour sa part que la dynamique régionale a joué de deux façons : « D’une part, la plupart des régimes arabes ont centré leur attention sur leurs problèmes internes, se désengageant de l’attention qu’ils donnaient à la question palestinienne. Dans ces conditions, les Palestiniens ont estimé qu’il valait mieux minimiser les divisions internes. D’autre part, il y a eu des pressions directes de la part des monarchies pétrolières pour que le Hamas s’aligne avec les positions politiques de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas et se rallie aux solutions proposées par le gouvernement américain. » Or, selon lui, ces solutions sont elles-mêmes inopérantes devant l’intransigeance israélienne.
Ainsi, même dans l’hypothèse optimiste de voir le Hamas et le Fateh réconciliés face à Israël, ils seraient incapables d’imposer des négociations justes et équilibrées à l’État hébreu, estime Didier Billion. « Or si on laisse Israéliens et Palestiniens face à face, la situation continuera à se dégrader au détriment des Palestiniens. »
En tout état de cause, selon Nathan Brown, les choix du Hamas restent du domaine conceptuel, sans aucun engagement. « Les tiraillements entre la fin de la résistance armée et le rapprochement des différentes factions palestiniennes seront tributaires de l’action d’autres acteurs comme l’Égypte ou les États-Unis. Ils peuvent encourager le Hamas dans l’une ou l’autre voie », ajoute-t-il.
Pour Didier Billion, les Frères musulmans en Égypte ont tout intérêt à calmer le jeu et vont tenter de convaincre le Hamas de s’engager dans une orientation politique du conflit israélo-palestinien, ce que le mouvement islamiste palestinien fait d’ailleurs depuis plusieurs années.
On a ainsi vu à Gaza le Hamas arrêter les violences contre l’État hébreu, allant jusqu’à poursuivre les autres mouvements palestiniens qui tiraient des roquettes sur les Israéliens. Sur le plan politique, le fait d’accepter une trêve de 50 ans avec Israël montre aussi un assouplissement au niveau de la résistance armée.
« Le rapport de force largement défavorable aux Palestiniens explique peut-être ce changement, explique M. Antonius. D’une part, Israël et les États-Unis deviennent beaucoup plus agressifs dans la région, et ils ont mis les monarchies pétrolières au service de leurs objectifs stratégiques. Ces monarchies y trouvent aussi leur compte. Face à cette convergence d’intérêts, il n’y a pas de force politique qui s’y oppose de façon efficace. Mais le dernier mot n’a pas encore été dit. Des rebondissements dans les alliances régionales ne sont pas exclues », ajoute-t-il.
« La question qui se pose maintenant est de savoir quels sont les leviers dont disposent aujourd’hui les pays de la région et la communauté internationale pour amener les Israéliens à la raison. La réponse est strictement politique, puisqu’une solution militaire n’est pas envisageable. Dans ce contexte, l’évolution du Hamas lui-même n’est pas importante, seule une volonté politique internationale pourra changer la donne du conflit israélo-palestinien », conclut M. Billion.
Le monde arabe bouge, le Hamas aussi. En effet, le mouvement islamiste palestinien semble traverser une profonde mutation pour s’adapter à ce nouvel environnement. Ce changement est marqué en apparence par une redistribution des cartes entre les dirigeants du Hamas en exil et ceux de la bande de Gaza. Ainsi, Ismaïl Haniyeh, le chef du gouvernement du Hamas à Gaza, a multiplié dernièrement...