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Couverture spéciale de la révolte en Libye

Les derniers jours de Kadhafi

De Yuriko KOIKE

Yuriko Koike, ancienne ministre japonaise de la Défense et conseillère à la Sécurité nationale, est la présidente du conseil exécutif du Parti libéral démocrate.

À présent, que va devenir la Libye de l’après-Kadhafi ? L’ancien secrétaire d’État Colin Powell est resté célèbre pour avoir averti le président George W. Bush avant la guerre en Irak en disant : « Si vous le cassez, vous en êtes propriétaire (“If you break it, you own it”). » Bush, cependant, avait haussé les épaules devant l’avertissement de Powell et il n’a pas fallu très longtemps avant que le monde ne constate avec horreur qu’il n’y avait effectivement aucun plan détaillé pour régir ou reconstruire l’après-Saddam en Irak. Au lieu de cela, le pays a connu une affreuse guerre de tous contre tous qui a laissé d’innombrables milliers de morts.
Les pays de l’OTAN qui ont entrepris une intervention militaire en Libye sont-ils mieux préparés à restaurer une Libye brisée ? Heureusement, une pierre angulaire dont Bush ne disposait pas – un gouvernement légitime pour assumer l’autorité – est disponible en Libye.
Le Conseil national de transition, créé en février par une coalition rebelle forgée à Benghazi, est dirigé par Moustapha Abdeljalil, qui a démissionné de son poste de ministre de la Justice de Mouammar Kadhafi le 26 février en réponse à la violente répression par le régime des manifestations pacifiques. Sera-t-il en mesure d’exercer son autorité et d’assurer la sécurité pour les Libyens ordinaires, empêchant par là une répétition de la vendetta sanglante qui a brisé l’Irak après la chute de Saddam Hussein ?
En tant que présidente de l’Association d’amitié Japon-Libye, j’ai décidé d’enquêter. Le 5 août, tard dans la nuit, j’ai rendu visite à Abdeljalil à al-Bayda, à environ 200 kilomètres de Benghazi. Je suis arrivée à la maison du président du CNT bien après minuit, parce que c’était le ramadan, quand les musulmans jeûnent pendant la journée.
Habillé du costume traditionnel libyen, il m’a offert un fauteuil rouge alors qu’il était assis sur un tabouret en bois simple. Son comportement était modeste, à l’opposé de celui de Kadhafi, qui était toujours assis sur un luxueux canapé à l’allure de trône pour accueillir ses invités.
Né en 1952, Abdeljalil avait pris quelques mesures timides pour établir la primauté du droit, même sous Kadhafi, en déclarant devant le colonel lui-même : « Les décisions que je prends sont fondées sur la loi. » Il avait servi en tant que juge pendant de nombreuses années après avoir étudié la charia et le droit civil à l’université de Libye. Après avoir travaillé comme juge en chef à al-Bayda, il a été nommé ministre de la Justice en 2007.
Certains suggèrent que, compte tenu de ses études sur la charia, Abdeljalil pourrait être un fondamentaliste islamique. Si c’était le cas, alors tous les juges des pays islamiques devraient être des fondamentalistes, parce que tous sont instruits, aussi bien en droit civil que sur la charia. Mais sa façon de négocier avec les fondamentalistes islamiques à Benghazi, al-Bayda, Delna et dans d’autres territoires qui prétendent que leur contribution à la victoire exige leur important accord dans le nouvel ordre, va peser lourd dans la détermination de l’avenir de la Libye.
Abdeljalil ne donne pas l’impression de vouloir devenir le premier président de la Libye d’après-Kadhafi. Mais si Abdeljalil est un homme d’idéaux, Mahmoud Jibril, président du directoire du CNT, est un homme d’action. Né à Benghazi en 1952, il obtient une maîtrise et un doctorat à l’université de Pittsburgh, après avoir fini ses études à l’université du Caire. Il a aussi servi comme consultant en gestion dans les pays arabes et pour un temps a été impliqué dans la gestion d’actifs pour cheikha Mozah, l’épouse politiquement impliquée de l’émir du Qatar. Sous le régime de Kadhafi, il a dirigé le Conseil national et le Conseil national de développement économique.
Le plus grand succès que le gouvernement provisoire du CNT a pris depuis sa création a été l’assassinat du commandant militaire des rebelles, le major en chef Abdel Fattah Younis. Les circonstances de son assassinat demeurent obscures, mais sa mort a provoqué un remaniement du gouvernement, avec les évincements du ministre des Finances et du Pétrole, Ali Tarhouni, et du ministre des Affaires étrangères, Ali al-Issawi.
L’enlèvement d’al-Issawi est peut-être lié aux rapports selon lesquels il aurait émis des instructions pour l’arrestation de Younis, peu avant l’assassinat. Le meurtre avait suscité la crainte que la guerre tribale n’éclate, Younis faisant partie de la puissante tribu Obaida, qui est installée autour de Benghazi. Le gouvernement provisoire, en empêchant une violente explosion de violences tribales intestines, a montré qu’il pouvait garder sous sa coupe les formes d’animosité qui ravageaient l’Irak. Le maintien de la coopération des tribus dominantes dans chaque région sera essentiel à la construction d’une stabilité post-Kadhafi en Libye.
Bien que le CNT ne soit pas totalement unifié, Abdeljalil et Jibril jouent leurs rôles respectifs dans un effort visant à consolider l’organisation interne et pour obtenir un soutien international. Les autres parties prenantes sont entre autres le fils du roi Idris et le fils d’Omar Mukhtar, le héros qui a dirigé le mouvement de résistance contre l’Italie il y a bien longtemps. Mais aucune de ces revendications ancestrales au pouvoir ne semble capable de sublimer la volonté du peuple d’élire son futur dirigeant démocratiquement.
Kadhafi a évincé le roi Idris il y a 42 ans, sans effusion de sang. Jusqu’à l’avancée stupéfiante des rebelles dans Tripoli, il avait apparemment l’intention de promulguer une sorte d’apocalypse du désert, dans la descente en flammes de son régime. Cela ne semble plus probable et le CNT doit maintenant commencer à réellement gouverner le pays. Les épreuves qu’il a endurées jusqu’ici l’ont probablement laissé dans une meilleure position pour mener une transition démocratique réussie que celle imaginée par plupart des observateurs.

© Project Syndicate, 2011.
Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.
À présent, que va devenir la Libye de l’après-Kadhafi ? L’ancien secrétaire d’État Colin Powell est resté célèbre pour avoir averti le président George W. Bush avant la guerre en Irak en disant : « Si vous le cassez, vous en êtes propriétaire (“If you break it, you own it”). » Bush, cependant, avait haussé les épaules devant l’avertissement de Powell et il n’a pas...