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Couverture spéciale de la révolte en Libye - L’éditorial de Issa GORAIEB

Tourisme en tout genre

La Libye ne possède peut-être pas assez d’atouts naturels pour attirer les touristes ; en revanche, elle est en passe de devenir un lieu de pèlerinage et démarchage politiques de premier choix.

C’est en triomphateurs, mais aussi en bienfaiteurs, qu’étaient accueillis jeudi à Tripoli Nicolas Sarkozy et David Cameron. La France et la Grande-Bretagne ont joué, comme on sait, un rôle de pointe dans les frappes aériennes de l’OTAN, lesquelles ont grandement contribué à l’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi, et il est normal qu’elles soient qualifiées d’alliées par le nouveau pouvoir libyen. La grosse cerise sur le gâteau, c’est que ces deux puissances seront, de surcroît, les partenaires commerciaux privilégiés d’un pays regorgeant de pétrole et qui a déjà fait savoir qu’il savait se montrer reconnaissant.

À peine reparti le duo franco-britannique, c’est le Premier ministre de Turquie qui débarquait hier à Tripoli, troisième et dernière étape d’une tournée dans les capitales du printemps arabe. Ce n’est pas la chasse aux lauriers et aux contrats qui intéresse Recep Tayyip Erdogan, mais la promotion d’un grand dessein et aussi d’un modèle. Face au vide effroyable qui frappe le monde arabe, la Turquie entend se poser en acteur de premier plan sur la scène du Proche et du Moyen-Orient. Elle s’y prend peut-être un peu tard, l’Iran ayant déjà entrepris, depuis des décennies, d’investir la place, s’appropriant pratiquement la cause palestinienne. Mais depuis le sanglant assaut contre une flottille turque qui tentait de forcer le blocus de Gaza, Ankara a considérablement durci sa position, allant jusqu’à expulser l’ambassadeur d’Israël, menaçant maintenant d’envoyer sa marine de guerre en Méditerranée orientale.

Quoi qu’il en soit, la Turquie semble bénéficier d’un préjugé plutôt favorable parmi les États de la région qu’épouvante l’activisme iranien et qui voient donc dans le réveil ottoman le meilleur des antidotes aux tentatives de reconstitution de l’Empire perse. Dans un pays comme le nôtre où se trouvent exacerbées les tensions sunnito-chiites, cette compétition a même pris une allure tristement caricaturale lors des brèves visites qu’y ont effectuées, à tour de rôle, le président iranien et le Premier ministre turc, haranguant leur public, qui au Liban-Sud, qui au Akkar.

Quant au modèle que s’efforce de proposer Erdogan à cette partie du monde, c’est celui d’un islamisme dit modéré, lequel ne manque pas de séduire d’ailleurs plus d’une puissance occidentale. Or, cet islamisme à la turque serait-il toujours modéré s’il n’avait à tenir compte d’une tradition de kémalisme laïque encore vivace dans maints secteurs de la société ? Déroutantes en tout cas sont les thèses assez contradictoires qu’a développées le chef du gouvernement turc au Caire et à Tunis. Aux Égyptiens, il a recommandé ainsi l’instauration d’un pouvoir laïque, sans doute en raison du poids substantiel de la minorité copte qui vit dans ce pays. En revanche, et à un mois des élections législatives tunisiennes, il a ouvertement ou presque fait campagne pour le parti religieux Ennahda, assurant qu’islam et démocratie n’étaient pas incompatibles.

On notera enfin les deux messages forts qui, de Tripoli, et à 24 heures d’intervalle, ont été adressés par le président français et le Premier ministre de Turquie à un Bachar el-Assad imperturbablement engagé dans une meurtrière répression. Celle-ci s’est même étendue l’autre soir au territoire libanais où des soldats syriens pourchassaient des fuyards. Les tirs ont terrorisé la population locale et ont même atteint un des rares véhicules militaires libanais postés dans la région. C’est la thèse de l’erreur qu’a préféré retenir, sans autre forme de procès, l’État libanais. Que veut-on, on a les touristes qu’on peut...

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb
La Libye ne possède peut-être pas assez d’atouts naturels pour attirer les touristes ; en revanche, elle est en passe de devenir un lieu de pèlerinage et démarchage politiques de premier choix.C’est en triomphateurs, mais aussi en bienfaiteurs, qu’étaient accueillis jeudi à Tripoli Nicolas Sarkozy et David Cameron. La France et la Grande-Bretagne ont joué, comme on sait,...