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Culture - Spectacle

« Reproduction » sexuelle et identitaire

« Dans les yeux, regardez-moi bien dans les yeux », semblent dire les huit interprètes de « Reproduction » en se (re)produisant (et en mimant l’acte sexuel dans moult positions) au Maqamat Dance House, sur une chorégraphie pour le moins osée de la Hongroise Eszter Salamon*, en collaboration avec le Goethe Institut.

Un corps-à-corps fiévreux.

Devant les spectateurs assis en rectangle déboulent, l’un après l’autre, des jeunes hommes en jeans/chemises ou survêtements. Look cool, branché, rock, B.C.B.G. ou vaguement aristo, ils arborent casquettes, chapeaux ou queue de cheval. Certains ont des barbes, d’autres des boucs, d’autres encore une poussée de deux jours... et une protubérance marquée sous la ceinture (!). Ils s’immobilisent, au sol, dans des poses plus ou moins décontractées. Et entament alors une danse de plus en plus suggestive. Mouvements lents, langoureux, circulaires, linéaires. En solitaire, au début, puis à deux, à trois pour finir en une collectivité échevelée.
Le spectateur, non averti, gêné, s’interroge d’abord sur la nature de ces gestes et, surtout, sur le sexe des danseurs. Car même au travers du système pileux et des accoutrements masculins, l’on décèle une certaine féminité dans les traits, dans la courbe d’un dos, au vu d’un morceau de peau trop bien épilé au niveau de la jambe ou du bras... Oui, il traque les détails, tente de comprendre, jette un coup d’œil au programme pour voir le nom des interprètes : Habib Tawk, Dorian Brick, Melkan Dana, Joe Thomas, Roy Arne-Olsen, Jérôme Darfeuil, Alessandro Del Pierro et Adam Ayache, y lit-on. Ah bon, que des hommes ? Et pendant que ces derniers ruent dans les brancards de la bienséance – sans accompagnement musical, à part un bref interlude de musique pop-rock des Fugazi, dans une absence totale de décor – en effeuillant le Kama-sutra dans ses positions les plus acrobatiques, au ralenti, d’une manière répétitive et machinale, le spectateur effectue une courbe panoramique du regard vers ses semblables, témoins impuissants comme lui. Certains semblent amusés, d’autres froncent les sourcils, ou piquent du nez.
Mais voilà, Reproduction est (heureusement) plus qu’un manuel du savoir-faire intime. Et cette conviction apparaît plus clairement dans la deuxième partie du spectacle, lorsque les huit protagonistes réapparaissent l’un après l’autre dans un accoutrement de... filles. Ou plutôt d’hommes travestis en filles car, même si leurs corps sont moulés dans des minirobes sexy panthère et compagnie, ils (ou elles, car ce sont bien des danseuses au final) gardent barbes et moustaches. On l’aura compris, Eszter Salamon, assise dans un coin de la salle, s’amuse des apparences. Brouille les pistes. C’est comme art de la subversion que l’on pourrait définir l’œuvre de celle qui est connue pour aborder dans ses spectacles les tabous les plus divers.
Dans Reproduction – pièce montée et jouée en 2004 à Berlin puis reconstituée à Beyrouth suite à un workshop de trois semaines à Maqamat Dance Theater avec des danseuses de nationalités libanaises et autres –, elle cherche à mettre l’accent sur « l’inaccessibilité de la réalité du corps ». Elle met a jour le caractère « construit, théâtral, de toute identité sexuelle » et dénonce la fiction du genre univoque (masculin ou féminin).
Elle explique ainsi sa démarche : « Cette chorégraphie trouble la perception des genres et analyse de brillante façon le dispositif d’échanges de regards. Ce projet génère des corps volatiles qui ne peuvent plus être fixés à une seule identité et propose une réflexion sur la manière dont un corps se constitue à partir des différents regards qu’on lui porte. Le dispositif consiste en répétitions d’agencements de corps, d’accessoires,
de costumes, de mouvement, et en une mise en contact de ces éléments. »

La danse des yeux
Si le corps danse, les yeux, eux, parlent. Et ils en disent des choses dans cette danse sexuée et sexuelle. Le regard des personnages, bien sûr, qui se regardent puis accrochent le regard du spectateur, en insistant, comme pour mieux l’asseoir dans sa gêne. Dans sa position de voyeur. L’obscénité et la répétition (fortement exploitée dans la chorégraphie) agiront sur ce dernier. Celui-ci aura l’une ou l’autre de ces réactions : soit il décroche et subit inconfortablement les scènes proposées. Soit il se prend au jeu et apprivoise mentalement cette partie de jambes en l’air en associant le tout à une histoire de corps et de mouvement.
Reproduction interroge donc le regard, l’imaginaire du corps comme la violence intrusive des voyeurs. Entre abandon et frénésie, entre apartés, accouplements ou rassemblements orgiaques, se construit un milieu fiévreux, en tension.
Reproduction est-elle une danse du regard ? Un miroir à multiples facettes où le public est invité à venir confronter sa propre image et à explorer le trouble de sa propre sexualité? Une orgie conceptuelle ? Un manifeste de « cross-gender»?
Un peu de tout cela, sans doute. Quoi qu’il en soit, Eszter Salamon donne là une leçon magistrale sur le voyeurisme et l’exhibitionnisme et comment les transformer en danse et culture.

* La danseuse chorégraphe donne un solo intitulé Dance for Nothing ce vendredi 16 septembre, à 20h30. Réservations au 01/343834.
Devant les spectateurs assis en rectangle déboulent, l’un après l’autre, des jeunes hommes en jeans/chemises ou survêtements. Look cool, branché, rock, B.C.B.G. ou vaguement aristo, ils arborent casquettes, chapeaux ou queue de cheval. Certains ont des barbes, d’autres des boucs, d’autres encore une poussée de deux jours... et une protubérance marquée sous la ceinture...

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