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Nos Lecteurs ont la Parole

I.- La Constitution libanaise dans la foire des classifications*

Par Antoine MESSARRA
Le terme foire correspond bien à la réalité. Il ne s’agit pas seulement de droit constitutionnel, mais surtout de vie publique, parce que le manque de clarté dans la classification de la Constitution libanaise se répercute dans le débat public et dans la culture politique, souvent instrumentalisée.
En médecine, quand quelqu’un manifeste un symptôme qu’on n’arrive pas à classifier, les médecins se perdent dans des diagnostics sans identifier la thérapie pour y remédier. C’est pourquoi dans le cas du Liban, les propositions de changement vont dans toutes les directions. On propose tous les remèdes ! C’est la preuve qu’on n’a pas compris. Comme en médecine où on propose parfois plusieurs médications pour essayer, mais une fois qu’on a bien déterminé que les symptômes font partie de telle catégorie, on arrive alors à prescrire le remède.
La lecture d’ouvrages, pourtant sérieux, de droit constitutionnel dans le monde, depuis les années 1940, est à la fois amusante et tragique à propos de pays comme le Liban, la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, un peu l’Inde, les îles Fidji, l’île Maurice... au moins une quarantaine de pays que des auteurs mettent dans un fourre-tout qu’ils appellent « régimes d’assemblée ».
On dit qu’il y a trois catégories de régimes : le régime parlementaire avec comme modèle la Grande-Bretagne... le régime présidentiel avec comme modèle les États-Unis, et une troisième catégorie : le régime d’assemblée. Des auteurs fourrent dans les régimes d’assemblée la Suisse et l’ancienne Union soviétique... puis disent que la Suisse est différente de l’Union soviétique... ! Finalement on ne comprend rien. Dans une collection des Presses universitaires de France : « Comment ils sont gouvernés », quand des auteurs trouvent des problèmes de quota de représentation, d’autonomie culturelle... ils sont perturbés et... passent outre en disant qu’il s’agit de « cas spéciaux ».
Le même problème avec des ouvrages de droit constitutionnel libanais. Quand des auteurs arrivent aux articles 9, 10, 19, 65 et 95 de la Constitution, ils fourrent cela dans la poubelle « confessionnalisme » et se perdent dans des ergotages en tout sens.
Depuis les années 1970 au moins, il y a eu un effort international pour comprendre des pays qualifiés de cas spéciaux. Quand j’étais en première année de droit, j’avais obtenu 18/20 en droit constitutionnel, mais depuis je me suis dit que ce que j’ai appris est utile, mais ne concerne pas directement le Liban.
Il y a des constitutions qui comportent des articles comme les articles 9, 10 et 95. Ma consolation est que de grands professeurs, Edmond Rabbat et Antoine Azar et, plus tard en France, Julien Freund, Toufic Fahd et Pierre Rondot, à l’Université de Strasbourg, prirent l’approche au sérieux, alors que des collègues se moquaient en disant qu’il s’agit de sociologie, comme si la sociologie est une sous-spécialisation. Quand je fais de la sociologie, des académiques disent que c’est du droit, et quand je fais du droit on dit que c’est de la sociologie ! C’est pour se dérober du problème constitutionnel de la classification.
Cinq articles fondamentaux classifient le régime constitutionnel libanais, articles qui n’ont pas changé depuis plus de quatre siècles. Ces articles sont marginalisés, non compris, jetés dans le fourre-tout du mot confessionnalisme.
Quand des auteurs, par souci d’originalité, collent l’étiquette de « régime confessionnel », puis abondent dans l’exposé des anomalies et des dérapages,
cela prouve que la notion même de régime n’est pas appropriée, car un régime implique des normes de fonctionnement.
Les cinq articles sont le cœur du problème. Presque tous les débats portent sur ces articles : quota de représentation, cabinet de coalition communautaire, statut personnel... Dans l’accord de Taëf, deux dispositions confirment ces articles : l’art. 19 qui accorde aux chefs des communautés le droit de recours au Conseil constitutionnel en ce qui concerne les libertés religieuses, et l’art. 65 relatif à la majorité qualifiée pour 14 décisions limitativement énumérées. Ces articles consolident le même esprit.
Ma thèse d’État à l’Université de Strasbourg en 1982 sur la classification du régime constitutionnel libanais a suscité après sa publication un long débat. Nous avions aussi organisé à Fribourg en Allemagne, sous la direction de Théodor Hanf, une conférence qui a réuni des auteurs de pays qu’on appelle « cas spéciaux », sui generis. Il n’y a rien de sui generis en langage scientifique. Un cas sui generis est ou bien un miracle qui n’arrive qu’une fois ou bien un mystère non encore élucidé. On dit sui generis au lieu de dire banalement : je n’ai pas compris. C’est comme si quelqu’un a un virus tout à fait nouveau. Il est perdu, lui et les médecins, mais une fois qu’on arrive à catégoriser ce virus, on saura à quelle famille de diagnostic et à quelle famille de médicament on pourrait le rattacher.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel. Professeur

* Le texte est un extrait inédit d’une communication orale enregistrée dans le cadre du cycle de conférences à Ninar en 2011.
Le terme foire correspond bien à la réalité. Il ne s’agit pas seulement de droit constitutionnel, mais surtout de vie publique, parce que le manque de clarté dans la classification de la Constitution libanaise se répercute dans le débat public et dans la culture politique, souvent instrumentalisée. En médecine, quand quelqu’un manifeste un symptôme qu’on n’arrive pas...

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