Certes, l’annonce de la remise de l’acte d’accusation du TSL au juge Saïd Mirza a été accueillie avec satisfaction par une large partie des Libanais. En contrepartie, des voix se sont élevées pour souligner que le fait que des mandats d’arrêt aient été émis contre des cadres du Hezbollah est susceptible d’avoir des répercussions négatives sur l’ensemble de la communauté chiite, notamment au Liban. L’Orient-Le Jour a sondé l’opinion de citoyens chiites indépendants et recueillis leurs avis sur la question.
Selon l’ancien ministre Mohammad Abdel Hamid Beydoun, l’assassinat de Rafic Hariri a une portée politique et nullement confessionnelle ou communautaire. « La communauté chiite n’a pas à se sentir visée dans son ensemble et d’ailleurs je pense que ce sentiment n’existe pas chez ses membres en réalité, dit-il. C’est juste une impression que le Hezbollah tente de donner pour se protéger. En fait, la communauté a des constantes qu’elle a toujours défendues : elle respecte et apprécie le rôle que Rafic Hariri a joué. C’est l’une des rares personnalités à avoir tout mis en œuvre pour consolider la place de l’État et servir ses intérêts. Alors que la plupart des responsables ont manœuvré pour faire passer les intérêts de leur communauté au détriment de ceux de leur pays. »
Et de poursuivre : « Amal et le Hezbollah ont des armes et des facilités financières inouïes puisqu’ils sont financés par l’Iran. De ce fait, ils tentent par tous les moyens d’imposer leur point de vue sur l’ensemble du Liban et particulièrement sur l’ensemble de la communauté, et se présenter comme les “protecteurs” des chiites. Mais, en fait, notre seule protection ne peut provenir que de l’État et du respect des résolutions internationales, et notamment la 1701. Je suis désolé en fin de compte du fait que le Hezbollah ait refusé le compromis que lui avait proposé Saad Hariri lorsqu’à partir de Riyad il avait invité le parti à une table de dialogue qui aurait conduit à la réconciliation et au pardon. Le Hezbollah a raté là une occasion en or. »
Ibrahim Chamseddine
De son côté, l’ancien ministre Ibrahim Chamseddine a considéré que nul, quel qu’il soit, ne peut porter des accusations à l’encontre de l’ensemble de la communauté chiite. « Les mandats émis concernent des personnes bien précises, indique le président de la Fondation Mohammad Mehdi Chamseddine. Aucun lien avec leur appartenance partisane n’a été officiellement établi. Je tiens à affirmer que la communauté n’est en aucun cas concernée. Elle n’est ni accusée ni en danger. Ce ne sont pas les chiites qui ont tué Rafic Hariri et lui n’a pas été assassiné parce qu’il est sunnite. Personne n’a le droit d’utiliser la communauté comme rempart pour se protéger ou pour effrayer les citoyens ou pour s’assurer des partisans », a souligné Ibrahim Chamseddine.
L’analyste politique Nassir el-Assaad considère, pour sa part, que le Hezbollah tente de convaincre l’ensemble de la communauté que l’acte d’accusation émis par le TSL la vise dans son ensemble. « Nous avons tous soutenu le Hezbollah quand il représentait une résistance contre Israël, indique-t-il. Certains l’ont soutenu lorsqu’il a donné l’impression qu’il œuvrait pour renforcer les prérogatives de la communauté au sein des institutions libanaises. Mais, actuellement, plusieurs questions se pressent dans la tête de nombreux, de très nombreux, citoyens chiites. Des questions légitimes qui s’imposent d’elles-mêmes dans le contexte actuel : pourquoi le Hezbollah a visé Rafic Hariri? s’interroge Nassir el-Assaad. Pourquoi s’ingère-t-il dans les affaires internes de certains pays arabes et en fait payer le prix aux chiites qui sont renvoyés de ces pays pour diverses considérations ? Pourquoi entend-on parler de plus en plus fréquemment de scandales financiers et autres qui le secouent ? Sayyed Hassan Nasrallah a lui-même affirmé que des agents travaillant pour le compte de la CIA ont été arrêtés au sein du parti. Tous ces facteurs ne signifient-ils par que le parti n’est pas aussi divin que le Hezb ne le prétend ? Certes, actuellement, les voix qui dénoncent tous ces agissements sont encore timides du fait que le Hezbollah est armé. Mais l’accumulation des comportements irréfléchis du parti va conduire à plus de liberté de ton dans les milieux chiites. Ceci est inévitable. »
Le PDG du Daily Star Malek Mroué se dit soulagé du fait que les crimes politiques ne soient plus impunis. Son père Kamel Mroué, PDG d’al-Hayat et du Daily Star, avait été assassiné dans ses bureaux en 1966 à cause de ses idées politiques. « Je me sens libéré d’un grand poids, dit-il. J’accueille avec satisfaction l’acte d’accusation parce que cela signifie qu’en fin de compte justice sera faite et les criminels payeront pour leurs agissements. Cela va sans doute mettre un frein aux assassinats politiques. »
Et d’ajouter : « Je ne vois pas de rapport entre le fait que quatre membres du Hezbollah soient incriminés et que l’ensemble de la communauté chiite se sente visée. Les assassinats qui ont eu lieu et notamment celui de Rafic Hariri avaient une portée politique et non communautaire. »
Moustapha Fahs, fils de sayyed Hani Fahs, considère lui aussi qu’en aucune façon la communauté doit se sentir visée. « La communauté chiite doit considérer que la stabilité du Liban assure celle de toute la communauté. Quatre membres du Hezbollah ont été incriminés, cette accusation les concerne à eux seulement. Point à la ligne. »
commentaires (6)
Mais oui, il est évident que personne ne vise la communauté chiite. L'acte d'accusation n'est certainement pas formulé dans ce sens. Cependant, s'il est prouvé que les personnes inculpées font partie du Hezbollah et qu'elles ont agi dans le cadre d'une organisation nationale et internationale dans laquelle le parti est impliqué, là oui, ça pose un gros problème étatique avec la nouvelle donne gouvernementale. Cela dit, j'adhère totalement aux porpos tenus par Mohammad Abdel Hamid Beydoun.
Robert Malek
11 h 23, le 02 juillet 2011