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Nos Lecteurs ont la Parole

II.- Le maronitisme politique, un combat pour la liberté

Par Sélim JAHEL
Encore aujourd’hui, l’action du patriarcat maronite continue de s’exercer tant au plan national que sur l’échiquier international. C’est une institution, faisait observer Mohsen Slim, qui ne concerne pas seulement les maronites, « c’est un centre de direction et de rayonnement pour tous les libanais sans exception, abstraction faite de leur communauté, leur religion ou leurs tendances politiques » (voir L’Orient-Le Jour du mardi 28 juin 2012).
Pour autant, il n’est pas dit que les hommes politiques maronites soient toujours à l’écoute de leur patriarche. Cela a pu même aller quelquefois à des conflits ouverts et pas seulement, comme le rapporte l’histoire, avec des muqqadam de Becharré. Assaad Germanos fustige sans ménagement la classe politique maronite, accusant la plupart de ses membres d’être toujours à l’affût du pouvoir pour le garder la vie durant, en tirer le plus de profits possible, et en faire même un héritage, tout cela au détriment des intérêts de la communauté et de la nation. Fouad Ephrem al-Boustany abonde dans son sens : « L’incurie lamentable de nos dirigeants, écrit-il, fait que la seule voix qui doit se faire entendre pour tous les chrétiens du Liban et d’Orient doit être celle du patriarche maronite. Elle est et restera notre seul recours. » Il faut bien admettre que rares sont les responsables politiques qui se reconnaissent modestes serviteurs du peuple.
C’est au patriarche, chef de la communauté, mais aussi à l’Église maronite dans son ensemble avec « ses moines, paysans, guerriers que revient le mérite d’avoir par leur action sur le terrain au fil des siècles et des événements dramatiques qui, sans cesse, ont secoué le pays, tracé les grandes lignes de ce qui s’appelle le maronitisme politique ». De quoi s’agit-il ?... Germanos nous rassure : il n’y a là rien d’agressif ni de belliqueux. « Le contenu, dit-il, peut se résumer en un seul mot : liberté. » Il en décline les différents aspects : « Liberté de la terre, liberté de l’individu, liberté de la culture. »
La liberté est un modèle de vie, le droit de penser, de s’exprimer et d’agir sans en référer à quelque autorité que ce soit, civile ou religieuse, avec pour seule limite le respect de la liberté et de la dignité d’autrui. C’est bien ce que dit saint Jacques dans son épître : « Parlez et agissez en hommes qui doivent être jugés par une loi de liberté. » (II, 12)
Valeur chrétienne ?... Inconnue de l’Antiquité, Aristote n’en parle pas. « Le droit de la liberté subjective, écrit Hegel (La philosophie du droit) est exprimée dans le christianisme et y devient le principe universel réel d’une nouvelle forme du monde. » Mais la liberté restera longtemps, très longtemps, étouffée en Europe tant par l’Église qui multiplie les condamnations pour hérésie, instaure l’Inquisition, que par les systèmes politiques dominants avec tous les excès du pouvoir absolu : le nazisme, le communisme.
Au Liban, ce fut autre chose. Le peuplement de la montagne par des réfugiés de toute origine fuyant les persécutions, des esprits animés par le rejet de toute oppression, de toute servitude, à la recherche éperdue d’un havre de liberté, va conduire à l’émergence d’une société marquée par l’individualisme. L’Église va contrer tout établissement de type féodal, favoriser la propriété privée, s’occuper d’enseignement, multipliant les écoles dans tous le pays. « Instruisez-vous », disait Mar Youhanna Maroun. Convertie à l’arabité dès le XVIe siècle, l’Église maronite n’a pas hésité à détacher ses fidèles du syriaque, les pousser à s’imprégner de la culture arabe et islamique tout en les ouvrant largement à la culture occidentale et moderne dispensée dans ses écoles aux enfants de toute communauté, sans nulle discrimination entre les uns et les autres. « Le Liban, disait récemment le nonce apostolique, Mgr Caccia, est un exemple de liberté et il pourrait être une source d’inspiration pour beaucoup d’autres États, surtout en cette période ou un vent de liberté souffle sur cette région du monde » (L’Orient-Le Jour, 15-02-2011). Source de créativité, la liberté est indispensable à tout pays qui veut progresser et se développer.
Il reste que tout cela peut paraître terriblement subversif aux systèmes totalitaires d’alentour. D’où les menaces permanentes qu’ils font peser sur le Liban et la nécessité d’être toujours prompt à défendre cet espace de liberté unique dans la région, « par les armes s’il le faut, nous dit Germanos, en répondant au Tarh el-Saout, l’appel lancé par les sages du village », une tradition qui reste ancrée dans nos mœurs, ajoute t-il, elle nous permet, suivant en cela l’enseignement de Mar Youhanna Maroun de réagir vite et avec efficacité à toutes les agressions dont nous pouvons être victimes.
Avant de clore sa recherche sur les fondements du maronitisme politique, Assaad Germanos rend un hommage appuyé à Riad el-Solh, héros de l’indépendance et toujours partisan du « Liban d’abord », tué par un membre du Parti populaire syrien. Il salue également la mémoire de Charles Malek, décrit comme le hérault de la liberté individuelle qu’il a portée jusqu’aux instances de l’ONU où il a apporté sa brillante contribution à la rédaction des droits de l’homme. Il termine en racontant que, gamin, il était allé visiter, avec son oncle, les stèles de Nahr el-Kalb :
– « On devrait effacer toutes ces marques laissées par nos envahisseurs », lui dit-il.
– Bien au contraire, lui répondit son oncle, il faut les conserver afin de toujours se rappeler que, eux, sont partis, ont disparu à jamais et que nous, nous restons.

Sélim JAHEL
Professeur émérite
à l’université Panthéon
Assas Paris II
Encore aujourd’hui, l’action du patriarcat maronite continue de s’exercer tant au plan national que sur l’échiquier international. C’est une institution, faisait observer Mohsen Slim, qui ne concerne pas seulement les maronites, « c’est un centre de direction et de rayonnement pour tous les libanais sans exception, abstraction faite de leur communauté, leur religion ou...

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