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Économie - Liban - Éclairage

La fin du mandat Riad Salamé ou le comble de l’insouciance nationale

Sans gouvernement depuis janvier, le Liban risque - pour la première fois de son histoire - de faire face à une vacance du poste de gouverneur de la Banque centrale. Un enjeu majeur pour l'économie nationale dans un contexte local et régional aussi incertain.

Toujours sans gouvernement depuis début janvier, le Liban, dont la situation se dégrade à vue d'œil depuis quelques mois, doit bientôt faire face à une nouvelle échéance qui risque d'enfoncer le clou : l'arrivée à terme, fin juillet, du mandat du gouverneur de la Banque centrale.
La nomination d'un nouveau gouverneur ou la reconduction du gouverneur actuel ne pouvant avoir lieu en l'absence d'un cabinet, conformément aux lois en vigueur, le pays risque de basculer dans l'inconnu, voire le pire, estiment certains.
Homme de confiance, élu à plusieurs reprises meilleur gouverneur au Moyen-Orient et dans le monde, Riad Salamé - aux commandes depuis 1993 - est en effet l'un des hommes les plus populaires du Liban, l'un des plus puissants aussi. À son palmarès : la stabilisation de la livre et la restructuration du secteur bancaire, au lendemain de Taëf, mais aussi et surtout la résilience du Liban face à la crise internationale de 2008 considérée, par de nombreux observateurs, comme l'œuvre de sa politique avisée et prudente. Il occupe surtout un poste stratégique dans un pays qui peine à renouer avec la stabilité politique et sécuritaire depuis au moins six ans.
Son éventuel départ inquiète donc naturellement tous les milieux - aussi bien les petits déposants que les hommes d'affaires et les investisseurs les plus nantis - pour lesquels la stabilité monétaire et financière du pays relève beaucoup plus de sa personne et de sa renommée que de l'institution qu'il gouverne. « Même s'il est remplacé par son premier vice-gouverneur, comme le stipule la loi, son départ constituera sans doute un signal négatif pour le marché (...). Il s'agira, au côté du Conseil des ministres, d'une nouvelle institution, non des moins vitales, touchée par l'instabilité politique (...) », souligne à cet égard le directeur du département de recherche économique à la Byblos Bank, Nassib Ghobril.
« La question aujourd'hui n'est pas liée à la compétence de la personne qui fera fonction de gouverneur, le cas échéant, ni à l'institution qu'est la BDL, mais à la portée symbolique » d'un tel dénouement, renchérit de son côté Marwan Nsouli, ancien vice-gouverneur de la BDL, pour lequel « le nom de Riad Salamé est étroitement lié à la stabilité de la livre » dans l'inconscient collectif libanais et « rassure aussi bien les investisseurs locaux et étrangers ». Un éventuel départ de ce dernier risque ainsi de provoquer, selon lui, une crise de confiance qui mènerait, en cas de détérioration supplémentaire de la situation politique, à d'importantes conversions vers le billet vert et porterait un coup aux investissements directs étrangers (IDE) ou encore aux transferts d'émigrés, déjà ramollis par l'instabilité locale et le grand bouleversement régional. Ces derniers se sont en effet largement contractés au premier trimestre, comme en témoigne la chute de 25 % des capitaux en provenance de l'étranger, engendrant un déficit de près de 400 millions de dollars au niveau de la balance des paiements. Quant au taux de dollarisation des dépôts, il a atteint 65,6 % fin mars, après avoir suivi une trajectoire baissière pendant près de deux ans. Une telle éventualité risque donc d'aggraver davantage la situation. Elle pourrait en outre affaiblir le secteur bancaire libanais, déjà accablé par les accusations de blanchiment d'argent lancées en début d'année par le Trésor américain contre une banque locale. Les dépôts bancaires avaient, rappelons-le, reculé de 1,1 milliard de dollars en janvier, pour la première fois depuis octobre 2008, à l'ombre de la chute du gouvernement, avant de renouer avec la croissance au cours des deux mois suivants. Fin mars, ils avaient progressé de 943 millions de dollars - une évolution positive, certes, mais 2,2 fois moins importante que celle enregistrée au cours de la même période de l'an dernier.
« Jamais dans l'histoire du Liban un cas pareil n'a été rencontré : un gouvernement démissionnaire et l'arrivée à terme du mandat d'un gouverneur de la BDL dans un contexte régional aussi tendu (...). Il s'agit d'une première », souligne Marwan Nsouli.
Les retombées ne devraient toutefois pas être aussi désastreuses, tempère l'économiste Nassib Ghobril. « Les réserves en devises dont disposent actuellement la Banque centrale (environ 30 milliards de dollars, NDLR) sont beaucoup plus importantes que celles qui existaient à l'époque de l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri, en 2005, ou de la guerre de juillet, en 2006 (...) » - deux évènements majeurs dont l'ampleur et la portée sur le plan économique étaient bien plus graves que celles que pourrait avoir la non-reconduction de Riad Salamé, estime-t-il.

Hassan Rifaï : La solution juridique proposée est non constitutionnelle
En attendant, les regards sont tournés vers le Parlement depuis un certain temps, où une proposition de loi revêtue du caractère de double urgence a récemment été proposée par le député Ali Hassan Khalil visant à proroger le mandat du gouverneur actuel et de ses sous-gouverneurs, en amendant l'article 18 du code de la monnaie et du crédit. Le texte propose notamment l'ajout d'une clause, stipulant que « le gouverneur et les sous-gouverneurs de la Banque centrale continuent à exercer leurs fonctions jusqu'à la nomination » d'une nouvelle équipe par le Conseil des ministres. Le texte justifie, en parallèle, la proposition de loi par « la nécessité de préserver la stabilité monétaire, financière et économique du pays, à l'ombre des bouleversements qui secouent la région du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord (...) ». Selon des sources informées, les parlementaires devraient se réunir et voter en faveur de cette loi avant le 15 juin - date du début du congé parlementaire -, faute de quoi le mandat de l'actuel gouverneur ne pourra pas être prorogé.
Cette proposition n'est toutefois pas conforme aux dispositions de la Constitution, souligne l'ancien député et expert constitutionnel, Hassan Rifaï. « En vertu de la doctrine, de la jurisprudence et des coutumes, toute réunion parlementaire ayant lieu en présence d'un gouvernement démissionnaire est considérée comme nulle », tandis que toute décision prise dans ce cadre serait non avenue et sujette à un recours en invalidation. Quant à « la possibilité de prorogation du mandat du gouverneur de la BDL, le statut propre aux fonctionnaires publics, toutes catégories confondues », stipule qu'un mandat peut être renouvelé « mais non prolongé ». Selon l'ancien député, la proposition est donc dans la forme mais aussi dans le fond en contradiction avec les lois et les règlements en vigueur. La seule solution constitutionnelle serait ainsi d'appliquer l'article 25 du code la monnaie et du crédit (voir encadré), selon lequel le premier sous-gouverneur assume les fonctions du gouverneur en cas de vacance, ou de recourir à la désignation (ou la reconduction) du gouverneur actuel après la formation d'un nouveau cabinet. Une hypothèse qui, sans doute, a de (très) faibles chances d'aboutir, dans le contexte actuel. M. Salamé sera donc d'ici à deux semaines reconduit, de manière anticonstitutionnelle, ou acculé à quitter la table... à moins d'un « miracle » de dernière minute.
Toujours sans gouvernement depuis début janvier, le Liban, dont la situation se dégrade à vue d'œil depuis quelques mois, doit bientôt faire face à une nouvelle échéance qui risque d'enfoncer le clou : l'arrivée à terme, fin juillet, du mandat du gouverneur de la Banque centrale. La nomination d'un nouveau gouverneur ou la reconduction du gouverneur actuel ne pouvant avoir lieu en...

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