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Nos Lecteurs ont la Parole

Chrétiens de Syrie : les comprendre et non les juger

Par Ronald BARAKAT
J'entends beaucoup de bruit ces temps-ci, dans mon environnement réel et virtuel, sur la position des chrétiens de Syrie face aux événements qui se déroulent dans leur pays. Les tenants de la ligne politique du 14 Mars, et notamment les chrétiens de ce camp, ne voient pas d'un bon œil l'attitude de leurs coreligionnaires d'à côté à l'égard de la répression sanglante exercée par le régime envers les manifestants, attitude qu'ils jugent par trop conciliante, voire même complice avec un pouvoir qualifié de « sanguinaire », d'où la remise en cause, par ces chrétiens libanais, de l'appartenance chrétienne des chrétiens syriens, accusés de soutenir le Mal (ou le Malin) contre leurs concitoyens. D'aucuns vont jusqu'à vouloir les pénaliser et leur ôter leur identité chrétienne. Certaines mauvaises langues se permettent même de les qualifier de « crétins de Syrie », et cela parce que ces chrétiens n'ont pas réagi en fonction des visions et visées politiques de nos exemplaires chrétiens d'ici.
On leur reproche d'avoir commis un nouveau péché originel, très médiatisé ces derniers temps, appelé
l' « alliance des minorités », et d'en bénéficier, a minima en y cherchant refuge pour leur protection, et a maxima en amassant richesses et privilèges. Ils sont par conséquent appelés, par leurs mentors de l'autre côté de la frontière, à se faire rebaptiser pour se laver de ce péché, à sortir de leur réclusion identitaire et de leur état de dhimmitude pour participer à la construction de la nouvelle société démocratique en émergence.
Je ne dirai pas à nos chers chrétiens d'ici qu'il n'est pas très chrétien de juger les gens, chrétiens ou autres, et ce conformément au précepte « Ne jugez pas afin de ne pas être jugés » et qu'il appartient à Dieu de juger. Je ne leur dirai pas qu'être chrétien, c'est faire preuve de compréhension, de respect, de tolérance et d'amour ; je ne leur dirai pas qu'avant de délivrer ou de retirer des certificats de bonne conduite chrétienne, ils devraient d'abord commencer par évaluer la leur ; je ne leur dirai pas de commencer par balayer devant leur porte en réunifiant leur propre communauté chrétienne divisée, voire morcelée, entachée du sang innocent de leurs guerres intestines ; je ne leur dirai pas qu'avant de condamner l'alliance des minorités chez les autres et voir chez eux une dhimmitude, qu'ils mettent fin à leur propre double dhimmitude, l'une qui les place sous la houlette chiite et l'autre sous la houlette sunnite...
Je leur demanderai plutôt, faute de pouvoir faire preuve de sympathie d'ordre affectif, de faire un effort d'empathie d'ordre intellectuel, de pratiquer ce « déplacement subjectif », si cher à Bourdieu, qui les mettrait pour un moment à la place des chrétiens de Syrie.
Qu'est-il demandé aux chrétiens de Syrie ? De se départir de cette « alliance » pour se fondre dans un environnement encore confus, un magma indéchiffrable aux perspectives sociopolitiques obscures ? D'ignorer ce qu'il est advenu de leurs coreligionnaires d'Irak à la chute d'un régime jumeau ? Ou ce qu'il advient en ce moment des coptes d'Égypte ? De se prononcer contre le régime qui les protège, pour des idéaux de liberté et d'égalité, et en payer le prix de leurs familles puis de leurs biens ? De condamner une répression que le monde arabe tolère et que le monde occidental dénonce du bout des lèvres ? De joindre leur petit nombre aux protestataires dont la faible proportion ne semble pas menacer le régime, comme si leur poids pouvait peser sur la balance ? Que leur est-il demandé ? De se soulever et de se faire ostraciser ? Est-ce ainsi qu'on préservera la présence chrétienne en Orient ?
Que savons-nous de leurs états d'âme ? Qui nous dit qu'ils sont indifférents ou consentants aux horreurs perpétrées ? Qu'ils ne sont pas plus muets de stupeur que de peur ? Il est très facile de jouer les matamores de loin, à partir de son salon ou son bureau, et donner des leçons de courage, de combativité, de libération et d'immersion sociale. Il est moins facile de pratiquer ce jeu sur le terrain, surtout si celui-ci est miné, si sa nature est encore mal définie et ses frontières mal délimitées.
Avant de préconiser le vivre-ensemble, dans quelque société que ce soit, il faut d'abord extirper les racines d'un mal qui s'appelle le fanatisme et celles d'un autre mal, conséquent, qui est l'intolérance, lesquels n'ont ni religion, ni race, ni culture, ni nationalité. C'est le fanatisme et son âme sœur, l'intolérance, ainsi que la peur qui en découle qui empêchent le décloisonnement des communautés en faveur d'une société véritablement démocratique, civile et civilisée. C'est ce funeste tandem qui fait que les chrétiens de Syrie trouvent dans un régime idéologiquement laïc, quoique tyrannique, un moindre mal et un meilleur abri au milieu de toutes ces nébuleuses qui ont englouti de leurs « poussières célestes » minorités et majorités réunies, et ce depuis que la Terre tourne. Il s'agit moins d'une « alliance des minorités » que d'une « alliance des laïcités » face au spectre du fanatisme. Ce n'est pas pour rien que Voltaire en avait fait le fléau de l'humanité.
J'entends beaucoup de bruit ces temps-ci, dans mon environnement réel et virtuel, sur la position des chrétiens de Syrie face aux événements qui se déroulent dans leur pays. Les tenants de la ligne politique du 14 Mars, et notamment les chrétiens de ce camp, ne voient pas d'un bon œil l'attitude de leurs coreligionnaires d'à côté à l'égard de la répression sanglante exercée par le...

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