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Nos Lecteurs ont la Parole

II.- Beaucoup écouter et peu parler pour le plus grand bien de l’État

Par Hyam MALLAT

Pourquoi dire cela ? (voir L'Orient-Le Jour du 19 avril 2011).
Parce que des politiques locaux ont cru saisir l'opportunité des changements intérieurs opérés avec la chute des régimes Moubarak/Ben Ali pour tenter de transposer cette chute sur une revendication d'abolition du système confessionnel au Liban, sans plus de précision, alors que ce dernier est un système politique, social et culturel éprouvé, résultat de plus de cinq cents ans de tissage social et humain n'ayant rien à voir avec les personnes exerçant la politique dans ce pays. Contrairement donc à ce qui s'est passé en Égypte, en Tunisie et peut-être ailleurs demain, le système confessionnel au Liban ne tombe pas comme tombent ailleurs les systèmes politiques liés à des personnes placées à des postes publics.
Pourquoi encore ?
Parce que le système confessionnel au Liban est la résultante concrète, forgée instinctivement et naturellement au cours du temps entre les membres de communautés humaines et religieuses disparates qui, en s'accordant sur le fait de vivre, de produire et d'exister sur ce sol, ont reconnu à chacun et à tous, en dépit des vicissitudes naturelles de l'histoire, une exacte proportion de responsabilité dans la gestion des choses et pour éviter que l'unicité ne soit la prépondérance, l'abus et la dictature d'une personne et d'une communauté.
Quel mal y a-t-il sur le plan de la civilisation et de la culture politique à s'accorder naturellement, d'une manière de facto et avant l'établissement des institutions publiques que nous avons sur la tolérance et la compréhension des traditions, des cultures, et des us et coutumes de chacun ?
Aucun à notre avis si ce n'est le comportement politique en mal d'opter, dans le cadre du respect des contraintes confessionnelles - qui ne sont somme toute que des contraintes humaines et morales - à faire accéder au service de l'État et des citoyens des personnes jouissant d'une surface morale, éthique et professionnelle adéquate.
Car ce n'est pas le confessionnalisme qui est le mal à abattre, mais bien la corruption morale et matérielle qu'un choix maladroit ou peu avisé des serviteurs de l'État peut générer et qui, en s'installant dans ses rouages, finit par faire désespérer les malheureux Libanais dévoués, productifs et loyaux sur tous les plans.
Le redressement passe par cette détermination à reconnaître que la bonne ou mauvaise qualité des personnes choisies pour exercer les fonctions régaliennes et administratives relève ou rabaisse le service de l'État, et donc exaspère une société qui, sensible et ouverte à tous les aléas, exige changement et réforme.
Pourquoi dire tout cela ?
Parce que le malheur des Libanais - toutes communautés confondues au cours des cinquante dernières années - a été d'adopter à l'aveuglette des slogans politiques scandés par quelques dirigeants et qui les ont conduits à être la chair à canon de ces politiciens, sans oublier l'exil et l'émigration qui ont amené à une dislocation des familles et des sociétés.
Les malheureux Libanais, ne justifiant en rien les niveaux éducationnel et culturel qu'ils se targuent d'avoir, ont été manipulés et immolés pour des causes auxquelles ne croyaient même pas ceux qui les lançaient ; l'unité arabe, la révolution palestinienne, la lutte contre le colonialisme, les amendements constitutionnels libanais, causes selon les uns de tous les malheurs de l'histoire, les engagements effrénés et incontrôlés dans des axes ou des relations sans commune mesure avec les capacités durables du pays, les discours confessionnels publics et les accords sous la table, les combinaisons financières de toutes sortes puisque la guerre du Liban aurait été incompréhensible sans l'argent, etc. Ils ont été, durant des décennies, seuls face à toutes les turpitudes politiques et le seul champ de bataille ouvert à tous. Or voilà que, brusquement, les temps changent sans que ne se laissent deviner encore les orientations politiques véritables de ces changements.
Et c'est là qu'intervient cette notion de seuil politique qu'il y a lieu de considérer avec sérieux et gravité. Quel est le seuil d'action, d'intervention et d'engagement autorisé par les paramètres de la société libanaise aux politiciens pour que leurs paroles et leurs actions ne mettent pas en cause ou en péril les Libanais au Liban et à l'étranger ? Il faut bien reconnaître que les Libanais dans certains pays étrangers ont été malheureusement rattrapés ces derniers temps par des comportements et des discours locaux sans commune mesure avec les moyens de protection de ces mêmes Libanais à l'étranger contre les retombées de ces discours.
Et c'est pourquoi il est nécessaire de s'accorder, ou à tout le moins que chacun sache quelles sont les limites autorisées du discours politique sans répercussions négatives sur les Libanais, alors que le discours culturel, social et économique leur est totalement ouvert pour agir et témoigner.
Reste à parler de la formation du gouvernement, qui est une nécessité normale pour l'exercice quotidien de la fonction politique dans une démocratie. Mais le gouvernement en voie de formation est déjà soumis aux impondérables locaux, régionaux et internationaux, et le moins que nous puissions avancer revient à l'exigence de la formation d'un gouvernement de nature à préserver ou à restaurer le prestige de nos institutions politiques.
Que faire ?
Faut-il se lancer comme d'habitude dans des revendications et des criailleries politiques infondées ou, dépassant cette corruption morale bien plus que matérielle qui a gangrené notre vie publique, s'élever au niveau requis de courage et de responsabilité pour établir et instituer avec intelligence - ou ce qu'il en reste - le juste dosage politique à exercer dans ce petit pays conformément à ses traditions, à sa situation et à sa formation historique ? Gageons que, vu l'expérience des cinquante dernières années où les Libanais se sont habitués à s'impliquer instinctivement, sans discernement et même sans que cela ne leur soit demandé, dans des confrontations politiques dramatiques, il ne sera pas facile d'éviter les dérapages, et des mots et des actes. Mais en espérant que personne ne se trouvera au mauvais moment au mauvais endroit, il est grand temps d'assurer notre avenir et de nous sauver en s'écoutant avant de parler, tant il faut « beaucoup écouter et peu parler pour le plus grand bien de l'État », comme se plaisait à le dire Richelieu.

 

Hyam MALLAT
Avocat et professeur
Ancien président du conseil
d'administration de la Caisse nationale de Sécurité sociale et des Archives nationales

Pourquoi dire cela ? (voir L'Orient-Le Jour du 19 avril 2011).Parce que des politiques locaux ont cru saisir l'opportunité des changements intérieurs opérés avec la chute des régimes Moubarak/Ben Ali pour tenter de transposer cette chute sur une revendication d'abolition du système confessionnel au Liban, sans plus de précision, alors que ce dernier est un système politique, social et...

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