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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Japon exemplaire

Par Grégoire SÉROF
Beaucoup de souvenirs de notre guerre civile restent gravés dans la mémoire. Mais doit-on vraiment dire guerre civile ? Ne devrait-on pas plutôt la définir comme une guerre de civils étrangers dans notre pays, ou guerre chez nous de militaires étrangers en civil, ou encore guerre locale de militaires de tous pays par nos civils interposés ? On s'y perd. Ce qui la caractériserait le mieux serait peut-être quelque chose comme guerre interne très peu civilisée de pilleurs civils de toutes nationalités en civil ou en treillis. C'est plus précis.
Des pillages il y en eut beaucoup et de toutes sortes. Exécutés par des professionnels ou des amateurs, des jeunes ou des vieux, des riches ou des pauvres, sans oublier les femmes et les enfants. La liste est longue. Les pillages prirent toutes les formes. On se rappellera le pillage « organisé » de la zone franche du port, « archéologique » du sous-sol de la Banco di Roma, « scientifique » des musées et des bibliothèques, « domestique » des appartements. On en passe, mais c'est surtout les pillages « relax » qui furent les plus fréquents.
Un jour, on apprit que le supermarché de la rue de Verdun avait été incendié. Un pillage s'ensuivit qui se prolongea jusqu'au lendemain matin. On vit ce jour-là une voiture luxueuse s'arrêter devant l'entrée du magasin.
Une dame était assise à l'arrière. Le chauffeur descendit de voiture pour entrer aussitôt dans le supermarché où beaucoup de monde se bousculait déjà. Il en revint assez vite, poussant un caddie rempli à ras bord. Il ouvrit le coffre de la voiture, vida soigneusement les « achats », se remit au volant et démarra sans se presser. Une légère fumée bleutée s'échappa de la fenêtre arrière de la voiture. Depuis le balcon/observatoire où ils se trouvaient, des employés de bureau ayant observé la scène, ont surmonté leurs hésitations. Ils ont imité la dame et sont descendus faire leurs courses comme tout le monde.
Des chroniqueurs du passé, sûrement malveillants, relatent qu'en 555 de notre ère, un raz-de-marée provoqué par un séisme en pleine mer dévasta le vieux Beyrouth en deux vagues. Après la première, alors que la mer s'était retirée, des pilleurs se précipitèrent sur les épaves échouées sur les berges pour se servir dans les cales éventrées des navires. Quelques minutes plus tard, la deuxième vague que personne n'attendait les engloutit. C'est, comme diraient les journalistes aujourd'hui, une information qui n'a pas été confirmée par une source indépendante. Tant mieux ! Sinon elle aurait été révélatrice. Et puis, entre nous, chacun traite son tsunami comme il l'entend. Ça ne regarde personne, n'est-ce pas ?
Le Liban, ou si on veut l'antique Phénicie, n'a jamais été ni belliqueux ni expansionniste. Au cours des siècles il a été envahi sans trop de dégâts, ou gentiment occupé. On pourrait penser, qu'en raison même de ce calme durable, un pays organisé, bien administré et civilisé en émergerait. On attend toujours.
Le Japon, en revanche, a été belliqueux et expansionniste. La cruelle invasion de la Chine dans les années trente et celle non moins sauvage du Pacifique quelques années plus tard décrivent bien le dominateur qu'il était à l'époque. Il n'est pas étonnant qu'il se soit allié à un autre envahisseur congénital appelé Allemagne qui, sous les dénominations de Germains, Prussiens et autres nazis, a cherché à conquérir l'Europe et le monde.
Aujourd'hui, curieusement, ces deux pays apparaissent comme les plus civilisés du monde, le Japon surtout. Comment expliquer qu'en période de pénurie, en temps de risques d'autres séismes, d'autres tsunamis et de catastrophe nucléaire, la population ne se livre pas au vol, au pillage, et au vandalisme ? Ce sont, paraît-il, des enfants qui organisent les files d'attente devant les supermarchés qui, hélas, n'ont que peu de chose à offrir. Incroyable ! Les restrictions de l'électricité et autres biens de consommation sont acceptés avec un sens civique poussé à l'extrême, avec sagesse et résignation. Serait-ce l'influence des deux religions dominantes, le bouddhisme et le shintoïsme, qui prônent l'humilité et la primauté de la nature ? Qui peut l'affirmer ? Nous autres, sur ce plan, on n'a rien à craindre : la mécanique nationale fonctionne avec une douzaine de religions et beaucoup de croyants, parfois trop.
Vu de l'extérieur, on ne sait pas comment est dirigé le Japon et par qui. Alors que pour nous, la formation d'un gouvernement, l'inévitable « makhlouta », exige un savant mélange de « légumes » en quantités dosées au milligramme et une durée de cuisson interminable.
« La Mort du loup » est un poème émouvant, qui s'achève avec une belle morale : Gémir, pleurer, prier est également lâche. / Fais énergiquement ta longue et lourde tâche... / Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. Les Japonais, pour appliquer ce noble précepte avec tant de dignité et tant de stoïcisme, ont dû lire et assimiler la pensée d'Alfred de Vigny.
Beaucoup de souvenirs de notre guerre civile restent gravés dans la mémoire. Mais doit-on vraiment dire guerre civile ? Ne devrait-on pas plutôt la définir comme une guerre de civils étrangers dans notre pays, ou guerre chez nous de militaires étrangers en civil, ou encore guerre locale de militaires de tous pays par nos civils interposés ? On s'y perd. Ce qui la...

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