Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

La France et le printemps des peuples arabes

Par Ibrahim TABET
Comme la quasi-totalité des pays arabes et occidentaux, la France a été prise au dépourvu par le déclenchement soudain de la « révolution de jasmin » en Tunisie auquel nul ne s'attendait. Ne mesurant pas l'ampleur de la contestation populaire, elle a paru dans un premier temps pencher plutôt du côté de l'ordre établi. Certes, elle avait des rapports encore plus étroits que ceux des autres pays occidentaux avec le régime Ben Ali : autant pour des considérations de realpolitik qu'en raison de la profondeur des relations historiques et culturelles entre les deux pays. Mais cela ne suffit pas à expliquer l'énorme maladresse de son ex-ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, dont le président Sarkozy a bien fait de demander la démission. Proposer le savoir-faire français en matière de maintien de l'ordre en plein soulèvement populaire contre un vieux dictateur accroché au pouvoir depuis plus de trente ans était en effet inacceptable pour le chef de la diplomatie de la patrie des droits de l'homme. Entre-temps, le printemps des peuples arabes, qui n'est pas sans rappeler la vague révolutionnaire de 1848 en Europe et l'écroulement en cascade des démocraties populaires après le soulèvement polonais, s'était propagé à d'autres pays : l'Égypte, la Libye, le Yémen et Bahreïn. Et l'aspiration légitime et universelle des peuples à plus de démocratie, moins de corruption et de meilleures conditions de vies commence heureusement à gagner la Syrie. De plus, divine surprise, nulle trace de slogans islamistes et antioccidentaux dans ces soulèvements, ce qui déconstruit l'argument selon lequel les régimes autoritaires de Ben Ali et de Moubarak constituaient les meilleurs remparts contre l'extrémisme musulman.
Si les événements du Yémen et de Bahreïn ne concernent pas directement la France, il n'en est pas de même de l'Égypte et de la Libye, deux pays voisins de l'Europe et appartenant à cet espace méditerranéen cher à Nicolas Sarkozy, qui se désolait des ratées de son projet d'Union pour la Méditerranée. Le geste d'Alain Juppé se réunissant avec les étudiants du Caire a marqué un premier pas dans le basculement de la politique étrangère française en faveur du droit des peuples arabes. Basculement mettant fin à une longue tradition occidentale de complaisance envers les régimes autoritaires établis. Mais c'est surtout le cas libyen qui a permis à la France d'affirmer son leadership en Europe pour toutes les affaires concernant la mare nostrum. Elle a été le premier (et jusqu'à maintenant le seul) pays à reconnaître le Conseil national de transition libyen instauré par les rebelles de Benghazi. Faisant preuve de son activisme légendaire, le président Sarkozy a mené l'offensive diplomatique destinée à convaincre ses partenaires européens de la nécessité d'une intervention en leur faveur. Malgré le passé terroriste du colonel Kadhafi et ses menaces de noyer la rébellion dans le sang, il lui a fallu, avec le Premier ministre britannique David Cameron, presque leur forcer la main à Bruxelles pour obtenir leur soutien, à l'exception notable de l'Allemagne. Non seulement du fait de l'opposition de principe de Berlin à tout engagement militaire en dehors du cadre de l'OTAN, mais aussi au vu de ces fortes réserves envers une opération jugée aventureuse. Encore fallait-il aussi surmonter les réticences de la Ligue arabe et des États-Unis pour arracher une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU indispensable à une intervention. Malgré l'admiration d'une grande partie des dirigeants américains pour la fermeté de Nicolas Sarkozy, ce n'est qu'après beaucoup d'hésitation que l'administration Obama, embourbée en Afghanistan et en Irak et peu désireuse de se risquer à un nouvel engagement militaire dans un autre pays musulman, a finalement consenti à participer aux opérations militaires. Mais elle a tenu à rester, fait exceptionnel, en retrait par rapport à la France et à la Grande-Bretagne. Aussitôt votée la résolution 1973 de l'ONU, instaurant une zone d'exclusion aérienne, les avions français ont été les premiers à attaquer, le 17 mars, les positions de l'armée libyenne aux portes de Benghazi, sans qu'au préalable les défenses antiaériennes de l'ennemi ne soient tombées aux mains des forces fidèles au colonel Kadhafi.
Il est impossible à ce stade de prédire quel sera l'avenir de cette nouvelle « Nahda » arabe qui, à la différence de celle du début du siècle dernier, n'est pas uniquement le fait d'une petite élite. On peut seulement affirmer que rien ne sera plus comme avant. Et que le monde arabe pourrait prendre le même chemin que les ex-dictatures d'Europe de l'Est et d'Amérique latine. Même s'il demeure semé d'embûches et même si les forces antidémocratiques n'ont pas dit leur dernier mot. Les chances de succès de l'intervention occidentale en Libye sont tout aussi aléatoires, tant est complexe la situation militaire et politique. Sur le plan militaire, il est évident que les rebelles, qui manquent cruellement d'armement, d'organisation et d'organe de commandement, ne peuvent l'emporter. Quant aux alliés, ils sont paralysés par la résolution 1973 qui interdit toute intervention au sol, éventualité qu'aucun pays n'a d'ailleurs envisagée. Sur le plan politique, des voix discordantes ne manquent pas de se faire entendre. Amr Moussa ayant même déclaré, avant de nuancer ses propos, que la résolution de l'ONU n'autorisait pas de frappes aériennes contre des objectifs au sol. Et même si les alliés sont convenus d'une coordination des opérations militaires à travers les structures de l'OTAN, ils n'ont pas les mêmes buts de guerre : s'agit-il seulement de protéger les populations civiles ou de se débarrasser du clan Kadhafi ? Enfin, au plan interne, il n'est pas certain que l'opposition, qui regroupe des islamistes et des tribus cimentées surtout par une haine commune au clan Kadhafi, puisse instaurer un État démocratique et laïc malgré les déclarations rassurantes de ses délégués à Paris. Pour toutes ces raisons, même si le guide de la Jamahiriya est devenu un paria dont la chute est inéluctable à terme, la coalition risque de se trouver dans une impasse stratégique. Et il ne faut pas écarter le scénario d'une longue épreuve de force ayant certaines similitudes avec le cas irakien, avec un embargo, une zone d'exclusion aérienne et une division de facto, provisoire ou non, du pays entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine.
Mais quoi qu'il arrive, en prenant courageusement la tête de la coalition militaire destinée à stopper l'écrasement de la révolution libyenne, la France de Nicolas Sarkozy aura marqué d'une pierre banche l'histoire des relations franco-arabes et euro-méditerranéennes. On ne peut qu'espérer que le renouveau démocratique qui se fait jour en Tunisie et en Égypte ressuscitera sous une forme ou une autre le projet d'Union pour la Méditerranée, donné par d'aucuns comme mort-né. Et, s'agissant du Liban, on ne peut que se réjouir et du regain d'influence de la France et du vent de liberté qui souffle sur nos voisins.
Comme la quasi-totalité des pays arabes et occidentaux, la France a été prise au dépourvu par le déclenchement soudain de la « révolution de jasmin » en Tunisie auquel nul ne s'attendait. Ne mesurant pas l'ampleur de la contestation populaire, elle a paru dans un premier temps pencher plutôt du côté de l'ordre établi. Certes, elle avait des rapports encore plus étroits...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut