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Nos Lecteurs ont la Parole - Les échos de l’agora

À un citoyen anonyme ...

Tu te dis que trop, c'est trop, que le rassemblement annuel sur la place des Canons, au cœur de notre bonne ville de Beyrouth, n'a plus aucune valeur à force d'être répété. Tu n'as probablement pas tort, mais alors pourquoi tu déploies tant d'efforts et d'imagination pour célébrer ton anniversaire, celui de tes enfants et des personnes qui te sont chères ?
Tu te sens trahi et déçu par ceux-là mêmes à qui tu as fait confiance et à qui tu as confié le pouvoir souverain à plusieurs reprises, mais qui, dès le lendemain, n'ont pensé qu'à rentrer dans le jeu des compromis les plus lâches à tes yeux. As-tu oublié que le rôle des politiciens est une recherche de solutions de compromis ? Ne t'a-t-on pas dit que la fonction première du politique est la régulation des conflits ?
Je n'ai aucune raison de participer à cette folklorique rencontre qui, au fil des ans, devient une sorte de rite sans substance. Tu es libre, mais oublies-tu que la date « 14 mars 2005 » est la tienne, qu'elle t'appartient en propre et ne peut servir de label à aucune force politique ? Tu ouvres de grands yeux ? Tu ne me crois pas ? Ce jour-là, toi dont je ne connais pas le nom ni l'appartenance familiale et encore moins l'affiliation à nos sympathiques confessions sectaires, toi le citoyen ordinaire, toi le sans-nom, ce jour-là est le jour où le citoyen libanais est né. Avant le 14 mars 2005, il y avait des sunnites, des chiites, des druzes, sans compter les quelque treize ou quatorze identités sectaires chrétiennes soigneusement réparties en rites et en juridictions d'obédience. Ce jour-là, citoyen mon frère, chacun de nous a senti émerger en lui ce quelque chose d'indicible qu'on appelle citoyenneté. Chacun de nous a offert sa personne physique au cœur de Beyrouth afin de donner corps à la cité libanaise. C'est ainsi et par l'action propitiatoire du sang des hommes assassinés par ceux qui ont volé ta volonté est né le citoyen libanais. Malheureusement, peu d'entre nous ont compris que, ce jour-là venait d'émerger l'acteur politique principal sans lequel il n'y a point de vie au cœur de la patrie : le citoyen libre, souverain et indépendant.
Cet anniversaire de ta naissance au sein de l'espace public, commun à tous, n'est pas un label dont peuvent se servir des forces politiques dans leur lutte légitime pour le pouvoir. Cette date nous appartient à tous, même aux absents ou aux générations futures. Elle est à jamais inscrite dans notre mémoire collective et nul n'a le droit de la monopoliser. Tout le monde n'était pas là ? Certains ont hésité ? D'autres ont préféré faire la fine bouche au nom de considérations identitaires ? D'autres encore ont frémi à l'idée de perdre la fausse sécurité de l'enclos tribal ? Qu'à cela ne tienne. La fête bat son plein. Ils viendront te rejoindre, fût-ce au dernier moment, mais ils finiront par venir. La table est mise au cœur de Beyrouth, nul ne sera exclu du banquet car la patrie est généreuse.
Tu as peur, dis-tu ? De quoi ? Des armes et autres machines de guerre ? Tu peux rester chez toi, mais alors ne pleure pas ta liberté perdue. Tu ne veux pas perdre ta liberté et ta souveraineté ? Alors, prends ton fils sur tes épaules, car c'est pour lui que tu célèbres avec tous les anonymes comme toi cet anniversaire de la citoyenneté.
Dimanche prochain 13 mars, fais-toi plaisir. Tu es là pour toi-même, pour ton pays, pour ta patrie, pour ta cité. Tu n'es pas là pour répondre à l'appel d'un zaïm d'un autre âge, ou d'un parti politique, ou d'un agglomérat de forces politiques qui se sont indûment approprié le label « 14 Mars » alors qu'elles auraient mieux fait de s'appeler autrement.
Dimanche prochain, c'est l'anniversaire du jour où chacun de nous est devenu un enfant de notre patrie commune, ce Liban qui, contrairement aux autres pays de la région, risque de régresser vers la pensée unique, l'opinion unique, la suprématie de la force brutale sur la loi, la soumission aveugle à une volonté unique, le mépris de la volonté souveraine du peuple démocratiquement exprimée ou le morcellement en une nébuleuse de troupeaux identitaires.
Dimanche prochain, le citoyen célébrera joyeusement et pacifiquement l'anniversaire de sa pleine émergence à la lumière de l'espace public. Ce faisant, il fera acte de résistance et témoignera pour sa liberté souveraine et celle de ses enfants.
Tu te dis que trop, c'est trop, que le rassemblement annuel sur la place des Canons, au cœur de notre bonne ville de Beyrouth, n'a plus aucune valeur à force d'être répété. Tu n'as probablement pas tort, mais alors pourquoi tu déploies tant d'efforts et d'imagination pour célébrer ton anniversaire, celui de tes enfants et des personnes qui te sont chères ?Tu te sens trahi et...

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