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Nos Lecteurs ont la Parole

I - La révolution laïque arabe

SAMIA LABIDI
De la « Révolution du jasmin » du plus petit pays arabe, la Tunisie, à la « Révolution du papyrus » du plus grand pays arabe, l'Égypte, « la mère des nations arabes », j'ai entendu toutes sortes d'analyses qui se chevauchent sans jamais toucher le cœur du malaise des pays arabo-musulmans. Qu'en est-il au juste ? Que s'est-il exactement déclenché dans les esprits de ces jeunes en mal de vivre ?
Tout le monde affirme qu'il ne s'agit pas d'une « révolution islamiste », tout en ayant toujours peur de ce spectre qui rode au-dessus de nos têtes. Tout le monde assure qu'il s'agit d'un rejet total de la dictature au profit de la démocratie. Tout le monde s'accorde à dire que c'est le citoyen moyen qui est à l'origine de cet inattendu soulèvement grâce au redoutable outil des réseaux sociaux.
Mais personne, je dis bien personne, n'a prononcé le mot « laïcité ». Personne n'a soupçonné la présence d'une « révolution laïque arabe » dans un paysage politique qui n'a connu, depuis plus de trente ans, que la dictature ou l'islamisme. Le premier ne sait pas ce que c'est qu'un programme politique et l'autre n'a comme programme que la charia (le Coran et la sunna). On est face à toute une génération de moins de 20 ans à qui on a supprimé la liberté d'expression et de conscience soit au nom de Dieu, soit au nom d'un dictateur qui se prend pour Dieu. Tous les deux imposent le diktat de la « pensée unique » au détriment du « droit à la différence ».
Face à cette asphyxie intellectuelle, la seule échappatoire sur le monde ne peut être que la Toile du Web. Cet outil virtuel, qui relie les esprits en quête de liberté d'expression, s'est installé au sein des classes moyennes des pays arabo-musulmans. Cette classe, où on trouve du croyant à l'athée, en passant par l'agnostique ou le convertie, des plus modérés aux plus fanatiques, n'est autre qu'un noyau dur de laïques qui s'ignorent. Cette communauté arabo-musulmane est loin d'être homogène, comme on veut nous le faire imposer. Cette communauté est comme n'importe quelle autre de par le monde, elle est hétérogène, diversifiée et nuancée à tous les niveaux. En un mot, elle est riche, très riche et ne demande qu'à s'exprimer, qu'à être créative. Alors, elle se retourne vers le Web, vers le virtuel, puisque le réel la rejette et nie son existence.
Et quand le trop-plein de l'asphyxie est à son paroxysme, eh bien, ça explose. L'origine de cette déflagration n'est autre que le besoin de laïcisation. Autrement dit, une irrésistible volonté d'être soi-même sans être pointé du doigt. C'est-à-dire une réclamation d'un droit à la différence dans un cadre de respect mutuel. De toutes les communautés du monde, il n'y a qu'à la communauté arabo-musulmane qu'on refuse ce droit à la différence. Pourquoi ceux qui sont issus de ce « culturo-culte islamique » n'ont-ils pas le droit de se diversifier ? Pourquoi doivent-ils se confiner à un seul moule, comme si on avait peur de ce qu'ils peuvent exprimer ?
À force de leur taper sur la tête pour qu'ils ne la relèvent jamais, ils ont fini par préférer être brûlés vif que de se poursuivre dans cette humiliation sans nom. À force d'être muselés, ils ont préféré crier leur détresse sur la Toile du Web, à l'abri des regards indiscrets. À force d'entendre dire, sur toutes les chaînes du monde dit moderne, que culture musulmane et démocratie ne vont pas de pair, ils ont fini par leur prouver le contraire au prix de leurs vies.
D'ailleurs, à force d'ignorer les aspirations de cette tranche de l'humanité et à force de leur injecter, à sens unique, des miettes de modernité jugées suffisantes pour leurs niveaux de maturité, ils viennent de prouver au monde entier qu'ils sont capables d'être les maîtres de leurs destinées. Le temps des colonies, suivi de celui des tutelles, est révolu. Le monde arabo-musulman est capable de penser par lui-même et il est tout à fait apte à innover dans tous les domaines.
Quand j'entends sur les chaînes d'information occidentales, censées être à la pointe de la maturité, que : « Finalement, le monde arabe est en train d'emprunter leurs valeurs démocratiques », j'ai envie de leur crier : « Assez de surestime de soi ! » Les valeurs laïques et démocratiques n'appartiennent qu'à elles-mêmes. Elles ne sont la propriété privée de personne. Ce n'est pas parce que l'Occident les a adoptées en premier qu'il en est le dépositaire légal. Tout être humain, qu'il soit arabe, chinois ou africain, aspire naturellement à la liberté d'expression et de conscience dans le respect de la différence. Il faut juste que les ingrédients nécessaires soient réunis pour que ces nobles valeurs s'imposent d'elles-mêmes.
D'ailleurs, juridiquement, tout le monde sait que ce n'est pas « l'idée » qui est protégée, mais sa mise en forme. Tout le monde peut penser à la même chose en même temps, parce que l'idée n'appartient à personne en particulier. En revanche, sa mise en application diffère d'un individu à un autre, d'où la singularité de l'œuvre. Sur le plan politique, il suffit de jeter un coup d'œil sur les différentes applications des valeurs démocratiques et laïques pour s'en rendre compte. La démocratie américaine diffère de la française, de la suisse ou de l'anglaise, pour ne citer que celles-là. Idem pour le monde arabe, qui mettra sur pied une démocratie qui lui est propre et qui vivra une laïcité spirituelle conforme à sa nature.
Nous les laïques, issus de cette « origine difficile », on trinque du fait des dictatures, qu'elles soient matérialistes ou religieuses, mais aussi de ceux qui se disent porteurs de ces valeurs démocratiques, comme s'ils voulaient en être les seuls détenteurs. À chaque fois que les esprits libres, de culture arabo-musulmane, tentent de s'exprimer, on les taxe d'effacement, de néocolonialisme ou carrément d'être des agents israélo-américains. Or ils n'ont fait que penser par eux-mêmes pour tenter de sortir cette communauté du marasme dans lequel elle se débat depuis des décennies, sous le regard indifférent de chacun.
(À suivre)

SAMIA LABIDI
Écrivain
De la « Révolution du jasmin » du plus petit pays arabe, la Tunisie, à la « Révolution du papyrus » du plus grand pays arabe, l'Égypte, « la mère des nations arabes », j'ai entendu toutes sortes d'analyses qui se chevauchent sans jamais toucher le cœur du malaise des pays arabo-musulmans. Qu'en est-il au juste ? Que s'est-il exactement déclenché dans les esprits de...

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