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Nos Lecteurs ont la Parole

Une référence incontournable après Edmond Rabbath : l’ouvrage de Béchara Menassa

Par Antoine MESSARRA
On a véritablement besoin aujourd'hui d'un dictionnaire de la Constitution libanaise comme celui de Béchara Ménassa1.
Il nous faut un dictionnaire pour redonner aux mots constitutionnels leur signification, polluée par l'instrumentalisation du droit, la politique ayant « vidé les mots de leur substance », comme le relevait autrefois François Mauriac.
On en a besoin pour retrouver et déterminer la boussole, les repères, les normes dans la démence des interprétations et la propension à ratiociner sur des problèmes fondamentaux.
Il nous faut un dictionnaire, un nouveau dictionnaire, pour rechercher, dans la foire des classifications de la Constitution libanaise, depuis la Constitution de 1926, la catégorisation scientifique du régime constitutionnel libanais.
La littérature constitutionnelle libanaise, depuis au moins 1926, est le plus souvent déroutante sur le problème fondamental de la classification : régime parlementaire, présidentiel, semi-parlementaire, semi-présidentiel, « confessionnel » (est-ce une « catégorie » ?)... pour déboucher enfin sur la... particularité, sui generis !
Or il n'y a rien, dans l'absolu, de sui generis. Tout phénomène se rattache à une catégorie et comporte aussi des spécificités. Un régime constitutionnel absolument sui generis est soit un miracle qui n'arrive qu'une seule fois ou un mystère non encore élucidé.
Dans les ouvrages de droit constitutionnel, il y a encore la catégorie des « régimes d'assemblée », catégorie devenue fourre-tout où des auteurs incluent notamment l'ex-URSS et... la Suisse, pour dire enfin qu'ils ne sont pas pareils, qu'il y a des particularités et qu'il s'agit de... cas spéciaux.
Depuis les années 1970, la recherche comparative internationale a essayé de fouiller dans ces « cas spéciaux », devenus nombreux et qui couvrent, à des degrés variables, plus de quarante pays ! On a essayé de catégoriser ces régimes dits sui generis. Les appellations variées, qui traduisent le même continu et en conformité avec les normes constitutionnelles, ont alors fait l'objet, dans des pays occidentaux, de commentaires débridés et, au Liban, d'une instrumentalisation politique.
Le régime constitutionnel libanais n'est ni sui generis, ni un régime « confessionnel » (ce n'est pas une catégorie), ni un régime hors-la-loi... !
Des auteurs ont, heureusement, renoncé récemment à énumérer une catégorie dite « régime d'assemblée » ou, timidement, écrivent aujourd'hui qu'il s'agit d'une catégorie « contestée ».
La Constitution libanaise institue un régime parlementaire. Cela est parfaitement clair et explicite (préambule, al. 3 et art. 16-20), basé sur la séparation des pouvoirs (préambule, al. 5), et le principe du pacte de coexistence (préambule, al. 10).
C'est la référence au pacte de coexistence qui implique que le régime, tout en étant parlementaire, est mixte. Cela signifie qu'il associe au parlementarisme classique des processus à la fois coopératifs et compétitifs à travers la règle du quota de représentation (art. 95), l'autonomie segmentaire sur une base personnelle, ou fédéralisme personnel, en matière de statut personnel et d'enseignement avec une garantie constitutionnelle à cette autonomie (art. 9, 10 et 19), et un processus décisionnel avec une majorité qualifiée (la règle majoritaire étant universelle pour des raisons pragmatiques) et restrictivement pour certaines décisions (art. 65).

Des analyses fouillées
Le livre de Béchara Ménassa est à lire avec la plus grande attention, ligne par ligne, en tant que référence incontournable après l'œuvre d'Edmond Rabbath, avec ses sources souvent de première main, ses analyses documentées et fouillées, sa couverture de tous les articles de la Constitution...
Comment ce travail monumental a-t-il pu être fini ? Brahms écrit : « Une œuvre a le droit de n'être pas parfaite, elle n'a pas le droit de n'être pas finie. »
Je vais partir de cette phrase de l'ouvrage : « En règle générale, toutes les dispositions de la Constitution visant à établir un équilibre des pouvoirs, conjointement avec le système communautaire, furent les éléments les plus stables de la Constitution. » (p. 114) Cela pose le problème du noyau dur de la Constitution libanaise, à savoir le « pacte de coexistence », le caractère explicitement et clairement parlementaire du régime (art. 16-20), l'autonomie sur une base personnelle ou fédéralisme personnel (art. 9 et 10), la règle du quota et la parité de représentation (art. 24 et 95), et le processus de décision au moyen d'une majorité qualifiée et limitativement pour certaines décisions (art. 65).
L'auteur écrit aussi : « Il ne faut nullement négliger l'élément communautaire qui entre en ligne de compte... » (p. 353). Comment entre-t-il en ligne de compte ? En tant qu'expédient, hors-la-loi, « système juridico-politique passéiste » (p. 57)... ?
Les pactes sont une catégorie constitutionnelle, surtout depuis la conférence de l'Unesco à Cerisy-la-Salle en 1971 : « L'édification nationale dans diverses régions... » Edmond Rabbath parle d' « engagements nationaux » (« al-ta'ahhudât al-wataniya »). Les art. 9 et 10 doivent être étudiés sous l'angle des libertés religieuses. La règle du quota de représentation, du fait même qu'elle est stipulée dans une Constitution, doit être régie par des normes. En Inde, plus de vingt commissions ont été formées pour étudier les modalités d'application de la règle du quota. Le régime de l'autonomie sur une base personnelle doit aussi être régi par des normes, à savoir l'ouverture ou régime d'opting out, l'égalité des statuts en cas de conflit de loi et l'existence d'une instance supérieure de régulation, la Cour de cassation dans le cas du Liban. Sur le régime de l'autonomie personnelle, l'expérience des deux caïmacamats est la plus riche au niveau mondial sur les effets comparés des deux formes de fédéralisation.
Il faudrait fouiller davantage dans la jurisprudence constitutionnelle comparée sur la notion d'égalité et ses aménagements dans une société plurielle.
Dans l'accord de Taëf, il fallait résoudre un problème insoluble dans un système à balance multiple de partage du pouvoir : comment concilier partage du pouvoir et séparation des pouvoirs ? Les travaux préparatoires à ce propos témoignent de la fertilité de l'imagination constitutionnelle libanaise dans le sens le plus positif, notamment à travers l'art. 49 de la Constitution en vertu duquel de chef de l'État « veille au respect de la Constitution », en tant que magistrat suprême au-dessus des « attributions » (« salâhiyyâte »). Il y avait en effet le grand risque que le chef de l'État soit un président honoraire ou l'homme de Baabda.
L'observation de Béchara Ménassa sur le Conseil constitutionnel et la saisine en interprétation est de la plus haute pertinence. Une étude à ce propos du président du Conseil constitutionnel, Issam Sleiman, paraîtra dans le vol. 4 de l'Annuaire 2009-2010 du Conseil.

***
La recherche constitutionnelle au Liban est souvent polluée par le mélange des genres, la confusion entre les dispositions de la loi fondamentale et la gouvernance constitutionnelle. La praxis peut être en conformité ou en opposition par rapport aux prescriptions du texte.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel, professeur à l'Université Saint-Joseph.
- Le texte est un extrait d'une communication orale enregistrée


1- Béchara Ménassa, « Dictionnaire de la Constitution libanaise », Beyrouth, Dar an-Nahar, 2010, 500 p.
On a véritablement besoin aujourd'hui d'un dictionnaire de la Constitution libanaise comme celui de Béchara Ménassa1. Il nous faut un dictionnaire pour redonner aux mots constitutionnels leur signification, polluée par l'instrumentalisation du droit, la politique ayant « vidé les mots de leur substance », comme le relevait autrefois...

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