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Nos Lecteurs ont la Parole

Réflexions et questions

Par Molly SELWAN
Durant mon enfance, j'entendais souvent mon père répéter : « Dans certains cas, il faut tourner sept fois sa langue dans la bouche avant de parler. »
Aujourd'hui, et plus que jamais, je comprends ce qu'il voulait dire. Évidemment, le temps de compter jusqu'à sept vous donne toute la latitude de changer d'avis et de ne pas vous exprimer sur tout. Aussitôt libérées, jetées en pâture à tout vent, les paroles ne nous appartiennent plus. Au Liban, il faut faire avec le tempérament oriental, dénué de toute rigueur cartésienne. Chez certains, c'est l'humeur qui domine, le sentiment de rancœur, de frustration, de colère, de jalousie, de paranoïa. Le besoin de domination, de paternalisme, souvent d'infantilisme doit s'extérioriser, instantanément, sans attendre. Les mots se disputent pour sortir de la bouche et prennent leur envol, déversent leur fiel, visant leur cible. Impossible de les rattraper : le mal est fait...
L'atmosphère s'envenime et le dialogue s'en ressent. La rupture arrive, pernicieuse, cachée dans les coulisses de la politique, dans des recoins sombres. À écouter certains hurluberlus à l'éloquence creuse, on a envie de leur lancer : « Tais-toi donc quand tu parles ! »
Cet autre se transforme sur l'écran en fossoyeur avec des envies d' « enterrer ». De la licence de langage à la licence de mœurs, il n'y a qu'un pas. On enlève, on élimine, on tue, c'est facile, car au Liban, ces dernières années, les criminels ne sont pas punis.
C'est aussi à travers la diffamation que l'on sème le doute, la suspicion, la peur, l'insécurité. Certains déversent inlassablement leur théorie du complot, leur accusation de traîtrise, pour mieux influencer les cerveaux fragiles et, par les ravages ainsi causés, dominer la scène si ce n'est l'État. L'impassibilité statique du pouvoir démontre (de concessions en reddition) une ignorance de la politique à suivre face aux événements et que nous traduisons, nous citoyens, par de la faiblesse. Ce qui est étrange dans tout cela, c'est qu'après avoir rejeté le principe de base de toute démocratie (définie par un échange de pouvoir entre majorité et minorité) et sombré dans les turbulences d'une consensualité de forme (avec l'obligation de tenir compte de dix-huit communauté), certains se remettent à faire de l'opposition au gouvernement dont ils sont membres.
S'il nous fallait décrire la situation actuelle, nous n'aurions tout simplement qu'à sortir des archives d'anciens articles évoquant des circonstances similaires. Pourtant, depuis des années, le peuple vit par intermittence des événements identiques, écoute les mêmes diatribes, voit défiler sur l'écran de sa vie les mêmes personnages. Ce peuple, qui est l'âme de cette nation, est toujours en butte à des dilemmes déchirants, subit toujours des choix existentiels, dignes de sujets raciniens. Faut-il choisir la vie facile et perdre son territoire ? Ou bien faut-il mourir pour que le Liban demeure ? Faut- il aimer son pays ou la Syrie ? Son pays ou l'Iran ? Faut-il accepter que son armée soit le parent pauvre de la région, alors que ceux qui possèdent les armes les plus perfectionnées font allégeance à des pays en deçà des frontières ? Faut-il accepter d'oublier les martyrs et perdre la mémoire pour être en sécurité ? Faut-il accepter de voir les uns falsifier l'histoire en détruisant tous les symboles de notre identité ?
Dans le litige entre faux témoins et traîtres, entre tribunal et paix civile, les assassins demeurent impunis et vivent toujours parmi nous. La liberté et la justice sont assujetties à la dictature des armes. Ce que nous transmettons à nos enfants, c'est un pays dirigé par des forces occultes qui, par voix et tribunes interposées, vont dicter aux Libanais comment agir, comment parler, quoi étudier et lire, quel chanteur écouter, quel film visionner, quel pays fréquenter. Pris en otages ! Nous le serons toujours, comme le prisonnier numéro 6 dans son ballon et son programme de lavage de cerveau.
Pourquoi l'amour du Liban est-il si dur à vivre ?
Durant mon enfance, j'entendais souvent mon père répéter : « Dans certains cas, il faut tourner sept fois sa langue dans la bouche avant de parler. » Aujourd'hui, et plus que jamais, je comprends ce qu'il voulait dire. Évidemment, le temps de compter jusqu'à sept vous donne toute la latitude de changer d'avis et de ne pas vous exprimer...

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