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Nos Lecteurs ont la Parole

Le « Bajamisme »*

Par Andrée SALIBI
Le citoyen et le ministre,
En toute affaire ils ne font que songer
Aux moyens d'exercer leur langue.
Hé ! Mon ami, tire-moi de danger :
Tu feras après ta harangue.
L'Enfant et le maître d'école

La Fontaine


Avez-vous fait dernièrement le trajet Beyrouth-Jounieh, Jounieh-Beyrouth au volant de votre voiture ? Cette voie rapide, qui nous prend de longues heures de conduite, qui nous fatigue les nerfs, qui nous bouffe notre bonne humeur, qui nous rend dingues, fous, déments ? Avez-vous été en contact avec ces Libanais, ô combien nombreux, malpolis, grossiers et incivils ? Aviez-vous ressenti un dégoût, une répulsion et de l'amertume pour ce que le Liban est devenu ?
Le « bajamisme », c'est une nouvelle tendance au Liban, propagée par et incrustée en la plupart des citoyens. C'est un fléau du trafic routier, la conduite incivile des conducteurs libanais qui se déplacent dans ce pays chaotique en l'absence effective de toute impunité. Ainsi, nous assistons tous les jours à des accidents de la route dans l'indifférence totale. Et nous n'y pouvons rien !
Comment accepter autant de négligences et être indulgent à l'égard des gens qui nous gouvernent ?
Ce triste mardi noir, le barrage surprise à Jiyeh obligeant de gros engins à faire des arrêts sur cette voie rapide, était un acte déraisonnable. Bilan lourd : 8 tués et 21 blessés. Le lendemain mercredi, et malgré les bonnes intentions des responsables, aucun changement n'a été constaté. Pas un seul agent de l'ordre n'était présent sur la plupart des routes, malgré l'ampleur de la catastrophe. Les véhicules roulaient comme tous les jours à des vitesses excessives, les camions-citernes se lançaient par dizaines de la route côtière vers la route de Dora, en la coupant en largeur. Un trajet de fous, un film d'horreur.
Les gendarmes, même s'ils se trouvent par hasard à la bonne place, ne font rien pour sanctionner les infractions. Un soir j'ai été témoin d'une grave négligence de la part d'un agent de l'ordre arrivé par hasard au moment propice. Il a osé tourner le dos devant une infraction flagrante et continuer son chemin. Affolée, j'ai tout de suite pris des photos et menacé de les publier. Il m'a avoué son dégoût après les flots d'interventions « en faveur des auteurs d'infractions ». Et pour conclure, cet aveu : « Madame, depuis ce matin je suis debout, sous le soleil, je n'ai pas encore mangé, je n'ai pas eu le temps de prendre ma pause, mais le soir, en rentrant chez moi, je voudrais bien avoir la tête tranquille et ne craindre des représailles. »
Oui, la corruption et le désordre se sont incrustés dans notre société et la rongent. Il faut beaucoup de mesures draconiennes pour exhorter le système sécuritaire à appliquer la loi. Faudrait-il une dictature pour punir les éléments perturbateurs ? Comment remettre le pays dans le des nations civilisées ?
Malheureusement, l'État ne tend pas à faciliter la vie de ses propres citoyens, préférant plaider d'autres causes et mener d'autres combats. Nos politiciens se battent entre eux pour bien s'affirmer et mieux dominer. Ils abordent de temps en temps le sujet des problèmes, nous parlent de leurs bonnes intentions et... ne font plus rien du tout. Mais pourquoi ne partent-ils pas tous, pourquoi restent-ils malgré leur inutilité ?
Il n'y a plus d'excuses acceptables, le peuple est fatigué. Notre ambition, ces derniers temps, se ramène à obtenir d'arriver sain et sauf à destination. Les chauffards conduisent de la façon la plus insensée et mettent en danger nos vies sans le moindre respect ni la moindre crainte d'être pris en flagrant délit. Ils zigzaguent à des vitesses folles, surgissent de nulle part, entravent notre chemin, nous imposent de dégager la voie, quitte à franchir les murets qui longent les autoroutes. Malgré les embouteillages, ils klaxonnent pour nous obliger à avancer et se flanquent brutalement devant nous.
Et puis ces voitures antiques, tombant en ruines mais qui réussissent quand même l'examen de la mécanique... Un service mécanique où règnent de bien étranges usages. Ce commerce chaotique de voitures d'occasion, exposées partout, qui se multiplient comme de petits pains. Ils envahissent nos routes et tous les espaces vides d'un pays toujours privé de moyens de transports en commun. Ils continuent à affluer tous les jours par milliers alors qu'il n'y a plus de place pour circuler ni pour se garer. Ces motards sans casques, sans permis, qui roulent à contresens et glissent entre nos roues en faisant des pirouettes et des acrobaties qui nous terrorisent. Les autoroutes internationales mal conçues, privées de signalisations mais parsemées de placards publicitaires qui déconcentrent le conducteur. Les permis de conduire que l'on décroche après un simulacre d'examen, quand ils ne sont pas délivrés contre une somme d'argent. L'absence de tout éclairage sur nos routes, les phares des autres véhicules qui nous aveuglent, les vitres teintées, ces camions qui causent des accidents mortels, surchargés qu'ils sont et sans freins.
Oui, chaque fois que nous sortons de chez nous, nous courons le risque de nous retrouver victimes d'un accident. Nous réalisons que nous sommes à la merci de multiples dangers, dans un pays sans foi ni lois. En circulant, nous renions notre patrie et les gens qui gouvernent, nous bannissons notre fierté, nous maudissons notre sort d'avoir espéré, d'avoir cru à la possibilité du changement.
Eh bien, non ! Nous refusons de mourir comme des chiens. Il faudrait que tous les responsables se décident à mettre le holà aux faveurs, aux préférences, aux privilèges et à veiller à une stricte application de la loi.
Messieurs les responsables, ayez le courage de réprimer les excès de vitesse, ; œuvrez sérieusement à doter le pays d'un système de transports en commun ; trouvez des solutions et dénoncez les fauteurs de trouble. Que la sécurité routière soit une priorité pour tous, aujourd'hui avant demain.

*Le « bajamisme » est un mot qui n'existe pas en français. Il est dérivé du mot arabe « bajam », qui désigne toute personne imbécile, fière de violer la loi, et fière de vivre dans un pays dépourvu de son État de droit.
Le citoyen et le ministre,En toute affaire ils ne font que songer Aux moyens d'exercer leur langue. Hé ! Mon ami, tire-moi de danger :Tu feras après ta harangue. L'Enfant et le maître d'école La FontaineAvez-vous fait dernièrement le trajet Beyrouth-Jounieh, Jounieh-Beyrouth au volant de votre voiture ? Cette voie rapide, qui nous prend de longues heures de...

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