Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

La liberté dans ses étapes et ses États

Par Bahjat RIZK
L'affaire Sakineh-Carla Sarkozy a bouleversé les consciences tant en Orient qu'en Occident, et mis en avant le décalage tant théorique que réel entre les deux univers et le rejet mutuel de leurs valeurs fondamentales. Il m'a semblé utile à cette occasion, plutôt que d'émettre un jugement hâtif conventionnel et personnel sur cette problématique, de reprendre rapidement la démarche évolutive conceptuelle sur le thème de la liberté, à travers les titres des textes commentés fondamentaux étayés par le numéro Le Point références (septembre-octobre 2010). Il me semble toujours plus intéressant de mettre en avant un processus dynamique en soulignant son aspect dialectique, ses enjeux et sa capacité inhérente, d'ajustement et d'autorégulation, manifestation ultime de notre exercice de liberté de penser (prouver en s'éprouvant). L'éditorial, d'ailleurs, dès la première page, s'intitule : « La liberté, une longue marche.... » . Il relève que « la liberté est au fondement même de la pensée occidentale » et qu'elle est « considérée comme un droit primordial, aussi important que respirer et s'alimenter, elle est la seule valeur que les Occidentaux sont prêts à défendre jusqu'au bout et même à imposer au monde ». Cette rétrospective part des anciens Grecs jusqu'aux néolibéraux, et s'articule en trois périodes et trois problématiques.
La première, intitulée « Face à la cité et face à Dieu », présente des textes qui partent de l'Antiquité grecque jusqu'à la réforme (Ve siècle avant J.-C.-XVe siècle) : L'oraison funèbre de Périclès, Œdipe roi de Sophocle, La République de Platon, La lettre à Ménécée d'Épicure, La vie heureuse de Sénèque, Les Épîtres de saint Paul, Le traité du libre arbitre de saint Augustin, Le traité des huit chapitres de Maïmonide, La Magna Carta (grande charte des barons en Angleterre), La monarchie de Dante, Le court traité du pouvoir tyrannique d'Ockham, Le traité du serf arbitre de Luther. Certes, il ne s'agit pas d'énumérer ces références, mais de vérifier ce qui en constitue le fil conducteur et qui définit la liberté des anciens, par « la participation active constante au pouvoir collectif » (souvent au détriment de l'autonomie individuelle).
La deuxième partie, intitulée « Liberté individuelle, liberté publique », débute avec la Renaissance et s'étend jusqu'à la révolution industrielle (XVIe siècle-début du XIXe siècle). Elle se caractérise par le désir de l'homme européen de s'affranchir des autorités religieuses : Discours de la servitude publique volontaire de La Boétie, Méditations métaphysiques de Descartes, Deux traités du gouvernement de Locke, L'éthique de Spinoza, De l'esprit des lois de Montesquieu, Du contrat social de Rousseau, Réflexions sur la Révolution de France de Burke, La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (Révolution française), Les malheurs de la vertu du marquis de Sade, Critique de la raison pratique de Kant, De la liberté des anciens comparée à celle des modernes de Constant, Principes de la philosophie du droit de Hegel. Nous assistons durant cette phase à l'émergence de la liberté des modernes, qui est « la jouissance paisible de l'indépendance privée ». Même si Hegel relève que « la liberté concrète » a « sa réalité effective » dans l'État moderne (structures institutionnelles souples).
La troisième partie, intitulée « Le temps du doute », couvre les deux derniers siècles (XIXe, XXe et début XXIe siècle) et met en avant la combinaison de la liberté des anciens et celle des modernes, avec la tension qui pourrait surgir entre les deux. L'un des changements fondamentaux, qui se poursuit depuis mai 1968, est la liberté des mœurs (égalité hommes/femmes), et après la libération des femmes, celle des enfants. Une logique analogue est également en œuvre, avec la mondialisation « dans le développement du multiculturalisme, la défense des valeurs, des usages ou des traditions communautaires » (sous-groupes), ainsi que la propagation d'un individualisme radical. Le libéralisme en Occident s'étant accompagné de nouvelles formes de contrôle social : De la démocratie en Amérique de Tocqueville, L'unique et sa propriété de Stirner, Le manifeste du Parti communiste de Marx et Engels, La désobéissance civile de Thoreau, De la liberté de Mill, Par-delà le bien et le mal de Nietzsche, Au-delà du principe de plaisir de Freud, L'existentialisme est un humanisme de Sartre, Le deuxième sexe de Beauvoir, Libres enfants de Summerhill de Neill, Anarchie, État et utopie de Nozick, Histoire de la sexualité de Foucauld. Cette partie insiste grandement sur la question devenue fondamentale des mœurs, au cœur de l'affaire Sakineh-Sarkozy.
L'idée de cette longue (et peut-être fastidieuse) énumération n'est nullement d'étaler un savoir ostentatoire, à la portée de tous, mais de redéfinir un cadre référentiel dans le temps qui s'étale sur 25 siècles, depuis le siècle de Périclès, qui vit l'émergence de toute la pensée rationnelle occidentale, jusqu'à la mondialisation, en passant par toutes les étapes et les contradictions inhérentes à toute dynamique évolutive (et parfois régressive), et a fortiori celle de la loi et de la liberté (ou plutôt celle des libertés collectives et des libertés individuelles).Toutefois, si la sentence archaïque visant Sakineh ne peut que révolter toute conscience humaine (en espérant qu'elle ne sera jamais mise en exécution car elle constitue un interdit absolu), l'attitude de l'Occident vis-à-vis de l'Iran et de l'Orient en général (Afghanistan, Pakistan, Irak, Palestine) devrait prendre en considération, dans sa globalité, sans remettre en considération ses propres acquis, l'intégrité émotionnelle et physique des territoires et des peuples.
L'affaire Sakineh-Carla Sarkozy a bouleversé les consciences tant en Orient qu'en Occident, et mis en avant le décalage tant théorique que réel entre les deux univers et le rejet mutuel de leurs valeurs fondamentales. Il m'a semblé utile à cette occasion, plutôt que d'émettre un jugement hâtif conventionnel et personnel sur...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut