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Culture - Célébration

Sortilèges polonais à l’ombre des colonnes de Baalbeck

Le bicentenaire de Chopin est certainement le plus beau préambule pour un mouvement d'ensemble où, sous la houlette du maestro Krystof Penderecki, avec les solistes Rafal Kwiatkowski au violoncelle et Krystof Jablonski au piano, soixante-huit musiciens de l'Orkiestra Sinfonietta Cracovia ont donné, à l'ombre des colonnes de Baalbeck, une vie et une résonance nouvelles à des partitions de Beethoven, Penderecki et Chopin.

Soixante-huit musiciens de l’Orkiestra Sinfonietta Cracovia ont célébré Chopin à Baalbeck. (DR)

Entre la cour des deux temples de Bacchus et de Jupiter, dans la fraîcheur du soir et sous un croissant de lune doré, place à la musique entre puissants déferlements romantiques beethoveniens, stridence moderne, tonalités contemporaines de Penderecki et poésie diaphane et tourmentée de Chopin, le voyageur polonais dont on fête aujourd'hui, aux quatre points cardinaux de la planète, le bicentenaire. Public select et relativement nombreux pour un si grand espace voué aux rafales du vent et aux fantaisies d'un voisinage festif et bruyant.
Pour les premières mesures: l'Ouverture d'Egmont op 84 en fa mineur de Beethoven. Une des plus belles ouvertures, avec celle de Coriolan, placée sous le signe de Goethe pour exprimer toutes les aspirations à l'héroïsme et à la liberté du génie de Bonn. Pour ce noble des Flandres s'opposant jusqu'à la mort, au XVIe siècle, à la tyrannie et au despotisme des Espagnols, Beethoven introduit ses idées nationalistes contre l'expansion
napoléonienne.
Une musique puissante aux timbres drus, avec un rythme parfois obsédant des basses, pour traduire une énergie farouche et une détermination inébranlable. Une musique qui descend par paliers pour ramener le motif initial dans des accords conquérants et lumineux.
Après les accents véhéments et grandioses, tout en teintes dramatiques de Beethoven, place au chant voué à une humanité souffrante de Krystof Penderecki.
On écoute ici le Concerto pour alto, transcrit pour violoncelle, du compositeur du Thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima, qui a signé les bandes musicales de certains films de Wajda, Kubrick et Scorcese.
Une narration avant-gardiste, à l'écriture contemporaine avec ses dissonances harmoniques, ses percussions soutenues, ses complaintes grinçantes et lyriques à la fois, ses chuintements, ses mugissements, ses feulements, ses cataractes de notes tantôt étoilées tantôt froides comme de la glace, ses atonalismes, ses bouillonnements, ses silences, son pathos.
Un vrai concentré de frémissantes émotions humaines dans ces pages bruissantes des éléments de la nature et des échos du souffle des vivants. Si les micros avaient quelque défaillance dans leur dérangeant grésillement, le vent, lui, ne s'est pas embarrassé de s'engouffrer en toute impudence dans les lignes mélodiques de la partition, faisant furtivement corps avec les notes. Une dimension insoupçonnée pour une partition aux horizons ouverts mais contant, par-delà accents tintinnabulants, blocs de sons ou nappes sonores, une sorte de chant funèbre, une lamentation entre l'espoir et le désespoir mais où la compassion et la miséricorde de Dieu sont omniprésentes. Il n'en saurait être autrement pour un compositeur qui a situé la musique liturgique au cœur battant de son œuvre.
Une narration dense, tendue, aiguë qui ne peut laisser indifférent, notamment avec les arpèges baudelairiens du violoncelle (admirable et adroit interprète Rafal Kwiatkowski) dont l'archet caresse les cordes constamment, les cravache, les fouette, les martèle, les dompte, les maîtrise dans leur révolte, rébellion, dérives et sautes d'humeur.
Un air de mystère et d'ésotérisme plane sur cette narration à la fois tendre et rêche, sombre et lumineuse, aux beautés certes perceptibles mais graves, profondes et secrètes.
Un entracte où l'auditoire s'agite et le piano à queue prend place sur la scène, aux pieds des colonnes de Bacchus.
Féerie absolue avec le soliste Krystof Jablonski au clavier qui donne, avec brio, la réplique à l'Orkiestra Sinfonietta Cracovia dans le Concerto pour piano n1 en mi mineur op 11 du pèlerin polonais.
Épanchements romantiques et débordements foisonnants, entre chromatismes vertigineux et rêveries impalpables, pour un clavier qui fascinera le monde, tel est l'opus, tout en touches fiévreuses et opalescentes, de Chopin avant son départ de Varsovie.
Une œuvre écrite à vingt ans et où l'on retrouve, par-delà toute exaltation, comme un grain d'essence aux parfums épars, toute la prodigalité et la profusion des accords et harmonies, toute la fougue et le génie pianistique du plus poète des touches d'ivoire. Trois mouvements (allegro maestoso, romance-larghetto, rondeau-vivace) pour cerner une inspiration indomptable et vagabonde où un lyrisme à souhait voisine avec une des exécutions les plus ardues et les plus périlleuses.
Après les premières phrases, voilà l'orchestre attentif à la moindre respiration du pianiste. Un pianiste qui a du tempérament, de la sensibilité et un sacré coup de poigne et de toucher. Des morsures les plus âpres aux douceurs séraphiques à effleurer une note, en passant par les grappes d'accords rageurs, l'éloquence romantique, torrentielle et échevelée, a ici tous les attributs d'une expression portée par une flamme inextinguible.
Un tonnerre d'applaudissements pour une prestation sans faille, amplifiée par la majesté et la grandeur d'un cadre incomparable. Deux bis (dont une polonaise aux tempos bien assumés !) et le public ne voulait toujours pas lâcher prise.
Entre la cour des deux temples de Bacchus et de Jupiter, dans la fraîcheur du soir et sous un croissant de lune doré, place à la musique entre puissants déferlements romantiques beethoveniens, stridence moderne, tonalités contemporaines de Penderecki et poésie diaphane et tourmentée de Chopin, le voyageur polonais dont on fête...

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