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Lifestyle - Insolite

Abou Ali, le coffee man de la corniche

Abou Ali est le roi de la corniche qu'il sillonne tous les après-midi, accompagné de son étrange caddie, témoin d'un soleil qui se couche bon gré mal gré. Il est également le roi du café, qu'il vend tous les jours, qu'il pleuve ou qu'il vente, avec le sourire.

The one and only Abou Ali. Photo Carla Henoud

« Try it once you will like it always ! » Essayez-le une fois et vous ne pourrez plus vous en passer, crie Abou Ali aux passants en leur proposant une tasse de son café très spécial à 1 000 LL. Et de rajouter, inlassablement et en anglais dans le texte : « Une tasse de café réveille vos neurones et vous donne plus d'énergie que le Red Bull ! Et en plus, ça vous aide à vous débarrasser de votre cellulite... »
Quand Abou Ali passe, en traînant devant lui une poussette d'enfant transformée en... chariot à café, les gens sourient. Ceux qui le connaissent et ceux qui le repèrent. Mohammad Serhan est un acteur célèbre sur la scène de la corniche, ce lieu mythique imprégné de l'histoire de Beyrouth, qui change de visage au gré des saisons, des heures et des journées. Il connaît les habitués. Les joggeurs invétérés en short et marcel qui ne rateront pour rien au monde leur exercice préféré avec vue sur la mer - polluée. Ceux du dimanche en jogging signé et tennis de champions qui, à peine achevé leur tour de force, se précipitent pour avaler une bonne mankouché au thym et récupérer leurs forces. Il reconnaît les couples qui ne se cachent plus dans leur voiture pour se murmurer des mots doux, mais s'en vont, main dans la main, braver les tempêtes. Les mendiants qui l'interpellent, leur quête terminée, pour... acheter une tasse de café ! Les amis, les collègues, tous ces vendeurs ambulants qui proposent kaak, maïs ou narghilés au miel.
Normal, Abou Ali a pignon sur rue depuis 15 ans. Depuis 15 ans, la peau bronzée, flanqué de lunettes Ray Ban, d'une casquette et d'une petite barbichette, il arrive vers 15 heures avec sa Mercedes jaune modèle 1975. C'est dans cette « operating room », comme il l'appelle tendrement, qu'il réchauffe le café à l'aide d'une bonbonne à gaz calée près du siège arrière, avant de le verser dans ses deux thermos sacrés. Puis il démarre sa longue marche le long de la corniche, qui prend fin vers minuit, proposant son café doux ou amer, comme le fut sa vie, et raconte son histoire, in english, avec un accent américain qui lui est propre.

À la conquête des États-Unis
« Je vais tout vous raconter, tout, everything ! » Mohammad Serhan, 60 ans et l'énergie « d'un jeune débutant ! », avoue être né à Chebaa. Il y vit jusqu'à l'âge de 15 ans avant de découvrir la ville où il est engagé dans un restaurant comme « chauffeur de plateau ». « Nous étions les ancêtres des delivery men ! Je livrais des assiettes de foul, de kefta, de frites, sur des plateaux immenses en dévalant les escaliers à pied. J'avais la pêche. » Fin des années 60, le jeune homme rêve d'aventures, de cargos qui déchirent les vagues, d'ailleurs. « Je voulais aussi rencontrer des femmes, je n'ai pas honte de le dire !... » Il rejoint la Grèce en voiture puis embarque sur un navire pour le port de Hambourg. Engagé sur un « free charter » qui transportait du café, du cacao, du bois, Mohammad s'initie au grec, pratique l'anglais, qu'il a appris dans un livre sans doute intitulé L'anglais facile en trente leçons. Le marin est un homme heureux. Il découvre le monde, le pôle Nord, l'Australie, le Japon, les icebergs et les dauphins. Puis il s'arrête, fasciné, à New York. « Je n'ai plus voulu repartir. » Il propose alors ses services à un restaurateur grec et travaille pour lui deux ans. Des problèmes de papiers, triste réalité, mettront fin à ses rêves d'outre-mer et sa conquête de l'Amérique. Il rentre au pays en 1982, déçu. Il décide ainsi d'acheter une voiture et de transporter des clients de Chtaura à Damas et vice versa. C'est en Syrie qu'il rencontre sa femme. Elle lui donnera 7 enfants.
« En 1995, je ne voulais plus faire le taxi. J'ai décidé de trouver un emploi à Beyrouth. » Le matin, il est laveur de carreaux. L'après-midi, il plante ses repères sur la corniche. « Les bons jours, j'encaisse 30 000 LL. Ça me suffit... » Le reste du temps, il est sollicité par les médias et les télés étrangères, visage familier de ce bord de mer et gardien du temple. Il affirme, fièrement, avoir participé à des films et des spots publicitaires. « C'est mon look. » « La corniche, poursuit-il, comme on parle d'une femme aimée, je l'ai vue se transformer, s'illuminer, se doter de chaussées et de bancs. Je l'ai vue aussi recevoir de "nouvelles têtes", séduire des étrangers, oublier les anciens. Je l'ai vue se vider les mauvais jours et puis reprendre vie. »
Et de reprendre, en souriant aux passants qui viennent d'arriver, comme dans une vieille rengaine : « Coffee, coffee, try it once you will like it always ! »
Ainsi naquit la légende de Abou Ali the coffee man.

« Try it once you will like it always ! » Essayez-le une fois et vous ne pourrez plus vous en passer, crie Abou Ali aux passants en leur proposant une tasse de son café très spécial à 1 000 LL. Et de rajouter, inlassablement et en anglais dans le texte : « Une tasse de café réveille vos neurones et vous donne...

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