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Nos Lecteurs ont la Parole

Le passé en péril

Par Fady STÉPHAN
Le monde de l'archéologie a été secoué par une question tout à fait justifiée : aura-t-on à la tête de la Direction générale des antiquités un archéologue ou un gestionnaire du patrimoine ? Une pétition a été signée,  presque à l'unanimité.
Un archéologue est aussi indispensable et irremplaçable à la tête du service  des antiquités qu'un économiste à la tête d'une banque. Il y a trop de confusion entre historien, spécialiste du tourisme et archéologue pour ne pas tenter d'éclaircir ce problème.
L'archéologie,  en plus d'être une science exacte et de posséder des techniques propres qui ne sont aucunement celles des historiens, va à la recherche d'un passé et à partir d'objets scientifiques concrets, témoins qui sont rigoureusement recueillis,  relevés dans des registres,  publiés et également exposés dans des musées. Interviennent des critères de sélection scientifiques qui ne sont pas évidents  pour un gestionnaire du patrimoine. Ce dernier peut être séduit, jusqu'à être leurré même par l'esthétique d'un objet. Or ce n'est pas de cela qu'il s'agit proprement.
Dans mon enfance et jusqu'au récent aménagement du musée de Beyrouth, les antiquités y étaient déposées et exposées  conformément à une échelle de valeur scientifique et académique. Mais un réaménagement a eu lieu, privilégiant la plastique de l'objet  au détriment d'autre chose et reléguant aux caves, et parfois à l'oubli, des documents exceptionnels  sinon uniques. Personne par exemple ne se souvenait à l'administration du musée qu'une vitrine de Byblos contenait le squelette d'un homme recroquevillé en forme d'embryon dans une jarre funéraire, à l'étage supérieur du bâtiment dans la section préhistoire, et qu'en sa compagnie, une autre jarre contenait le squelette de son chien. Ce document exceptionnel prouvait un fait philosophique inestimable : déjà pour ces gens de l'époque néolithique, les bêtes,  tout au moins domestiques, avaient une âme. J'ai envoyé un écrivain suédois qui traitait de l'espèce canine dans l'antiquité, plus précisément une filiation Ibiza-Phénicie, à cette vitrine du musée, mais je l'ai vu rentrer bredouille.  Il a fallu recourir aux vieux registres pour en attester l'existence.  Le musée avait été réaménagé en ce qui révèle plus  d'une fastueuse  bijouterie exposant  de beaux objets qu'en  un lieu de science qui lie histoire, sociologie et mythologie en un récit cohérent.
Que la présentation générale d'un site, celui de Byblos, Sidon, Tyr ou Tripoli, doive être conditionnée par des critères  environnementaux et esthétiques spécifiques,  c'est sûr, c'est même essentiel. Tout, jusqu'aux routes et autoroutes qui nous mènent vers ces hauts lieux de mémoire, doit être fait de respect pour ces endroits mondialement connus et célébrés, et doit y conduire religieusement. C'est le devoir d'une nation. Un ambassadeur de France l'a relevé et écrit dans ces mêmes colonnes il y a quelques années. Un projet en cours financé par la Banque mondiale va dans ce sens.
Je me suis rendu récemment  près de la synagogue de Wadi Abou Jmil et j'ai noté qu'une partie du chantier de l'hippodrome qui s'étend devant la résidence du Premier ministre est bien fouillée, mais un peu plus loin, au bas de la route asphaltée, elle ne l'est plus, et là le gâchis commence bel et bien. Il n'y a pas actuellement de directeur des antiquités pour donner l'échelle des priorités, pour veiller à ce qui se passe derrière les grandes palissades hermétiques qui entourent et dérobent des chantiers à Beyrouth, à Saïda et ailleurs, proprement indéfinissables : rigoureusement archéologiques ou de construction pure et simple. Puisque la loi veut que ce soit une  personne  relativement jeune qui vient à la Direction des antiquités, il faudrait bien sûr que ce soit un archéologue, secondé par un administrateur et conseillé par un comité d'archéologues expérimentés  et d'un spécialiste du patrimoine, étant donné la complexité de la problématique patrimoniale dans le Moyen-Orient contemporain. C'est la  seule façon décente de sauver le patrimoine d'un pays qui recèle en son sein quelques-unes des plus vieilles  cités de la civilisation universelle.

Fady STÉPHAN
Archéologue, philologue, écrivain
Le monde de l'archéologie a été secoué par une question tout à fait justifiée : aura-t-on à la tête de la Direction générale des antiquités un archéologue ou un gestionnaire du patrimoine ? Une pétition a été signée,  presque à l'unanimité.Un...

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