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Économie - Liban - Social

Émigration des jeunes : l’hémorragie pourrait être freinée

À l'issue du débat sur l'émigration organisé hier par « L'Orient-le Jour » et le « Commerce du Levant » au Salon « Forward », plusieurs points ont été soulevés concernant les réalités du marché actuel de l'emploi, la pertinence de l'enseignement à cet égard et le rôle de l'État au niveau des réformes nécessaires.

Le ministre du Travail Boutros Harb, Mahmoud Harb de L’Orient-Le Jour et le chef de la Délégation de l’Union européenne Patrick Laurent. Photo Michel Sayegh


Dans le cadre du Salon « Forward » dédié aux opportunités d'embauche et de formation, L'Orient-le Jour et Le Commerce du Levant ont conjointement organisé hier au BIEL un débat sur le thème « Les jeunes, l'emploi et l'émigration ». De nombreux jeunes, notamment des étudiants ainsi que des journalistes, ont enrichi de leur présence l'espace spécialement dédié à un débat sur deux sujets complémentaires leur tenant particulièrement à cœur : l'émigration et l'emploi. Ce débat, dont le modérateur n'était autre que notre confrère à L'Orient-le Jour Mahmoud Harb, a fourni l'opportunité au ministre du Travail Boutros Harb ainsi qu'au chef de la Délégation de l'Union européenne au Liban Patrick Laurent de faire le point et d'échanger leurs vues concernant un sujet qui touche, au final, chacun d'entre nous. Le troisième participant prévu de se joindre au débat, le ministre des Affaires sociales, Sélim Sayegh, n'a malheureusement pas pu se déplacer en raison d'un empêchement. Au cours de ce débat ont été évoquées les principales causes et conséquences d'un phénomène de masse, touchant l'ensemble des jeunes issus de tous les milieux sociaux ou communautaires du pays.

Des statistiques effrayantes
La raison du choix de L'Orient-le Jour d'instaurer un débat axé sur l'émigration des jeunes n'était pas fortuite. « Ce phénomène est particulièrement nourri étant donné que 466 000 à 640 000 personnes ont quitté le Liban entre 1992 et 2007, selon une étude de l'Université Saint-Joseph (USJ) », a déclaré M. Harb au cours de son intervention préliminaire. « De ce fait, 45 % des ménages ont donc au moins un membre de la famille résidant à l'étranger », a-t-il ajouté. Surtout, la grande majorité (77 %) des expatriés est jeune, avec une moyenne d'âge située entre 18 et 35 ans. Leur taux de migration est d'ailleurs beaucoup plus élevé (17,5 %) que la moyenne nationale (10,3 %). Mais M. Harb a également mis l'accent sur un aspect bien plus préoccupant de cette migration massive : près de la moitié des expatriés appartenant à la tranche des 18-35 ans seraient titulaires d'un diplôme universitaire, 22 % d'entre eux détiendraient le baccalauréat et 10 % posséderaient un diplôme technique tous niveaux confondus. Étant donné la gravité de cette « fuite des cerveaux » et de la migration en général, il était donc pertinent de demander : comment expliquer ce phénomène et que faire concrètement pour enrayer l'hémorragie ?
Selon le ministre Harb, le problème résiderait à plusieurs niveaux. D'une part, le contexte économique actuel, morose, qui décourage les jeunes et les incite à rechercher des perspectives plus attrayantes à l'étranger. Cette situation, pour M. Harb, serait aggravée par le manque avéré d'opportunités professionnelles, lui-même en partie causé par le profond décalage entre les matières enseignées dans les établissements universitaires ou les instituts, et les réalités du marché de l'emploi. Ce qu'a confirmé M. Laurent, déclarant que le Liban avait besoin de « développer les formations professionnelles et techniques, et de définir les besoins réels du marché libanais ».
Il a déploré de ce fait l'absence de structures et de cursus adaptés, rappelant que les Libanais privilégiaient l'enseignement supérieur à outrance au détriment de certains secteurs vitaux mais moins attractifs comme l'industrie ou l'agriculture. Ajoutant qu'il faudrait « moins de bacs + 5 » et plus de « bacs -3 », M. Laurent a souligné que « l'appauvrissement de la société libanaise en capital humain » ne favorisait guère les investissements des entreprises locales, d'où un impact négatif sur la croissance économique du pays. Il a donc préconisé la mise en place d'un enseignement plus réaliste mais également plus adapté aux besoins des secteurs et des régions, autres victimes de la migration, interne cette fois-ci.

Un besoin urgent de réformes
D'autre part, tous les participants se sont accordés sur la nécessité de concrétiser des réformes économiques et structurelles attendues depuis des années. « Chaque décision économique doit prendre en compte l'impact social qu'elle aura sur les différentes catégories de la population et les diverses régions du pays. Et la stabilité politique ne peut être assurée que si toutes ces catégories sociales et toutes ces régions profitent des fruits de la croissance », a affirmé M. Laurent. Quand au ministre du Travail, il a confirmé que l'État libanais devrait encore beaucoup faire pour améliorer les structures en place. Il a notamment parlé à cet égard de l'insuffisance des garanties sociales, déclarant que le gouvernement œuvrait actuellement à rénover la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) afin d'obtenir une administration « moderne et saine ». En effet, outre la recherche d'emploi, la peur des Libanais couplée à leur manque de confiance dans les structures étatiques - dont la CNSS - figurerait parmi les causes majeures des départs en direction de pays plus stables. « La peur de l'avenir, la retraite, les soins médicaux, les indemnités de chômage ... », a énuméré M. Harb, ajoutant qu' « il faut rassurer et encourager les Libanais car aujourd'hui ils ne sont pas convaincus (...) et pensent qu'a l'étranger, ils seront plus en sécurité ». Autre organisme dans la ligne de mire du ministre, l'Agence nationale pour l'emploi (ANE), dont M. Harb a effectué un bilan plutôt sombre : « En théorie, 107 employés devraient y travailler, mais l'état actuel des choses fait que seulement 33 personnes y sont aujourd'hui présentes. » Le ministre a regretté cette situation de laisser-aller, mais a déclaré que son ministère entendait bien y remédier. Un projet en partenariat avec le Canada serait notamment en cours d'étude afin de rénover cette institution.
Beaucoup de travail reste donc à faire à plusieurs niveaux. Mais le ministre s'est voulu positif, se prononçant d'ailleurs dès le début du débat contre le fatalisme : « Je refuse de pleurer comme d'autres (...) alors que nous avons le pouvoir de régler nous-mêmes ce problème. ». Au contraire, le ministre a déclaré voir en l'émigration « un drame », certes, mais qui comportait tout de même des aspects positifs.

L'émigration, un mal utile
En effet, M. Harb a souligné que si l'on prenait en compte un contexte économique local morose aggravé par un manque flagrant de débouchés professionnels pour les jeunes diplômés, l'émigration, dans ce sens, présentait au moins certains avantages, à la fois pour les expatriés et leur pays. « L'émigration a toujours fait partie de notre culture ; ce sujet n'est pas tabou. Les expériences vécues à l'étranger (par les expatriés) sont un atout pour les émigrés et le Liban. » Le ministre a d'ailleurs ajouté que les compétences, le savoir-faire et l'esprit d'entreprise libanais, « internationalement reconnus », avaient « sauvé le pays » et constituaient une richesse qui n'était pas perdue pour autant. Dans ce sens, M. Laurent a d'ailleurs incité l'État libanais à encourager la migration circulaire, soit « un retour dans le pays d'origine des personnes émigrées pour qu'elles fassent profiter de l'expérience ou de la formation acquise à l'étranger ». Enfin, qui dit diaspora dit transferts de capitaux. Chaque année, des millions de dollars sont envoyés par les expatriés à leurs proches, ce qui représente un flux de liquidités, selon M. Laurent, supérieur en valeur à « la somme des investissements étrangers et au tourisme ». Le chef de la Délégation de l'Union européenne a toutefois rappelé que l'usage de cet argent « frais » était loin d'une optimisation maximale, réitérant le besoin de développer une économie réelle et de favoriser les investissements judicieux, tout en créant en parallèle... des opportunités d'emploi.
Reste maintenant au gouvernement libanais, « qui a pris note » et affirmé son désir de changement, selon M. Harb, d'appliquer ces réformes. « En conclusion, l'heure est maintenant à l'action (...). Il est temps, à présent, que les dirigeants politiques libanais élaborent eux-mêmes les politiques économiques et sociales qui assureront la stabilité du pays pour les générations à venir », a conclu M. Laurent.
Dans le cadre du Salon « Forward » dédié aux opportunités d'embauche et de formation, L'Orient-le Jour et Le Commerce du Levant ont conjointement organisé hier au BIEL un débat sur le thème « Les jeunes, l'emploi et l'émigration ». De nombreux jeunes, notamment des étudiants ainsi que des...
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