Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Laïcité par-delà les composantes confessionnelles

Par Noha M. GEMAYEL-INGEA
Le peuple libanais s'est toujours distingué par son comportement intempestif. Une originalité non exempte, par ailleurs, de sa connotation péjorative.
On a dit de lui qu'il est insouciant malgré son intelligence, irrévérencieux malgré ses traditions hospitalières, turbulent et insoumis devant les réalités de la vie malgré la douceur enseignée par l'Évangile et la tolérance proclamée par le Coran.
Tout cela est, sans doute, vrai et apparemment vérifiable sur le terrain. Pourtant, j'en retiens, quant à moi, un enseignement différent et très subtil qui me pousse à inviter le lecteur à une réflexion commune.
Pendant des siècles, le territoire formant l'assise du Liban actuel aura été le réceptacle de tous les bannis, de tous les réfugiés, de toutes les victimes de l'intolérance chez des populations voisines qui n'ont cessé d'assister en spectateurs réjouis à ces migrations successives vers le repoussoir côtier.
Résultat ? Un melting-pot inattendu et suprêmement enrichissant qui aura transformé le pays en un milieu d'une originalité unique, faite d'émulation dans le sourire, de combines quotidiennes en vue d'un mieux-être, et d'une vitalité à faire pâlir d'envie le monde moyen-oriental.
Par une audacieuse inconscience, le Libanais, produit d'un bouillon de cultures et d'ethnies diverses, aura connu la chance de transcender le piège d'une société multicéphale dans laquelle les rivalités de groupes auraient pu anéantir tout progrès et faire rétrograder une civilisation jusqu'à un état de primitive barbarie.
Or telle n'est pas, heureusement, la situation du Liban finalement constitué. Peu importe, en effet, qu'une harmonie incertaine se soit dégagée du menaçant chaos par l'effet d'un magique tour de passe-passe, tissé de ces commodités journalières qui obligent les uns à fraterniser avec les autres. L'exiguïté du territoire est ici un élément à ne pas négliger. Car la coexistence peut aussi être le résultat d'une promiscuité librement acceptée. Et c'est ce qui n'a cessé  d'être vérifié au Liban, contrairement à tous les pronostics. Voisinage, travail, commerce avec les gens, ajoutés à la nécessité vitale de se protéger en permanence contre des envahisseurs de provenances diverses et souvent opposées sont les ingrédients qui cimentent aujourd'hui la société libanaise dans ses différentes composantes. Et cela malgré la méfiance réciproque qui caractérise les relations entre les confessions sur place.
Quel que soit le degré de culture de l'individu, chacun sait pertinemment que sa spiritualité relève d'un seul et unique Esprit, vénéré et omniprésent sous l'appellation de Dieu. Chacun réalise, sans besoin de calculs savants, que les diverses doctrines religieuses ne sont qu'un moyen particulier, propre à un héritage, une culture, un hasard, de reconnaître la primauté du Bien, de l'Amour et du Pardon : définition incontournable d'un humanisme intégral.
À partir de là s'établit, malgré et au-delà des frictions épidermiques, un respect mutuel, une entente tacite, voire même une complicité active entre les responsables des différentes croyances.
Le message qui s'en dégage n'a pas attendu longtemps pour s'affirmer. Le Liban vivait en société exemplaire, et donc en pays-message pour le monde entier, bien avant la déclaration de Jean-Paul II à ce sujet. Déclaration ayant davantage le sens d'un avertissement à un moment où la mondialisation risquait de pourrir, par son expansion désordonnée, toutes les données vécues par un peuple dans la sagesse et la mesure.
Aussi, pourquoi nous parle-t-on aujourd'hui d'une certaine accalmie qui se manifeste enfin dans la région, d'une déconfessionnalisation que d'aucuns qualifient de nécessité démocratique répondant à une recommandation de notre Constitution nationale, alors que d'autres la taxent, non sans raisons, de stratégie pernicieuse ?
En fait, quel besoin avons-nous de déconfessionnaliser ce qui est vécu chez nous dans un accommodement de vie sociale qui dépasse les confessions religieuses et va au-delà de leurs susceptibilités supposées ? Le Libanais ne mène-t-il pas déjà sa vie civique dans une laïcité originale qui, tout en s'affichant sous un label folklorique de communauté religieuse, est en réalité un mode d'existence parfaitement élastique pour chacun ? Avec ses options de liberté de la pensée, de liberté de la presse, de liberté de l'enseignement, de liberté du choix d'un statut personnel. Que va-t-on chercher derrière cette subite exigence de déconfessionnaliser une société si bien rodée et si laïquement vivante ? Comment ne pas songer à des arrière-pensées, dictées par de coupables affiliations à des politiques régionales qui se nourrissent précisément de confessions religieuses étriquées ?
Comment ne pas voir que cet appel qui persévère n'est que l'effet d'un jeu caché et exclusivement politisé ?
Laissez-moi dire à ces messieurs trop zélés que nous n'avons que faire, nous Libanais bien pensants, de cette forme de tri sournois qui ira raviver les craintes des minorités et exciter les appétits des groupes majoritaires, alors que nous pensons avoir établi, une fois pour toutes, un régime basé sur un consensus d'équilibre politique qui outrepasse les calculs démographiques et prétend inaugurer une ère de paix définitive.
Sachez, messieurs, que la coexistence instaurée au Liban est véritablement une forme inédite de laïcité intelligente. Une laïcité qui respecte et le profane et le religieux. Une laïcité non agressive et non condescendante.
Si les pays occidentaux sont devenus outrancièrement laïcs et plus commodément païens, si les pays arabes et islamiques sont restés foncièrement  confessionnels, le Liban, lui, doit afficher, la tête très haute, son appartenance à une philosophie de vie qui va, par-delà les composantes confessionnelles, vers un horizon radieux, dans un concept définitivement installé d'une patrie devant servir d'exemple.
Le peuple libanais s'est toujours distingué par son comportement intempestif. Une originalité non exempte, par ailleurs, de sa connotation péjorative.On a dit de lui qu'il est insouciant malgré son intelligence, irrévérencieux malgré ses traditions hospitalières, turbulent et insoumis devant les réalités de la vie malgré...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut