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Lifestyle

À Korogocho, les mamies font de la résistance

Les grands-mères apprennent « un mélange de karaté, de kung-fu et de taekwondo ». Tony Karumba/AFP

À 60, 80, voire 100 ans, elles apprennent à frapper des poings, du pied, de la canne: les grands-mères de Korogocho répètent chaque semaine des rudiments d'arts martiaux pour survivre dans l'un des bidonvilles les plus dangereux du Kenya. Elles sont ce jour-là une vingtaine en cercle sur le tatami, pieds nus, robe large et fichu sur la tête, à entourer et encourager l'une des leurs qui frappe résolument un sac de boxe en hurlant « nooooooo ! ». La puissance des coups laisse à désirer, mais à en croire leur professeur bénévole, Sheila Kariuki, 29 ans, c'est secondaire. « Ce n'est pas la peine de frapper fort pour être précis. La précision, tout est là », explique-t-elle à ses élèves. Et de désigner les parties vulnérables du jeune homme qui sert ce jour-là de cobaye : le nez, le menton, le genou, les clavicules, les parties génitales. Autant de points faibles du violeur potentiel que toutes redoutent. Le groupe d'autodéfense s'est formé en 2007, face aux bandes de jeunes voleurs de Korogocho qui jetaient leur dévolu sexuel sur des femmes qui avaient trois ou quatre fois leur âge. « À chaque fois que ces jeunes gars ont fait un mauvais coup, ils demandent aux shoshos (grands-mères en langue kikuyu, l'ethnie dominante à Korogocho) de dormir avec eux. Ils croient que les jeunes filles d'ici sont toutes infectées par le sida et ils préfèrent les vieilles car ils savent que nous n'avons plus de partenaires », explique Mary Wangui, 73 ans, l'une des plus anciennes élèves, devenue à son tour professeur.
À une dizaine de kilomètres à peine du centre de la capitale Nairobi, Korogocho, avec ses quelque 155 000 habitants entassés sur 1,5 km2, est l'un des bidonvilles les plus surpeuplés du Kenya, et des plus dangereux. La grande majorité des jeunes survivent en récupérant ce qu'ils peuvent dans la décharge géante voisine de Dandora. L'insécurité est telle qu'une sortie en plein jour dans une rue principale, pour faire la queue à un point d'eau, est un risque qu'il faut calculer.
Mais dans cet univers de pierres ocre et de tôles, brûlé par le soleil en l'absence de toute végétation, le tatami de l'association « Rayons d'espoir et de paix » apparaît comme un havre de paix et d'optimisme. Un treillis protège du soleil, les tôles ont été repeintes dans des couleurs vives, les élèves du troisième âge s'encouragent et s'applaudissent mutuellement. « Hakuna matata » (aucun souci), ose même un slogan peint sur un mur. La vedette du groupe est sans conteste Gladys Wanjiku, qui estime « avoir environ 100 ans », ce qui paraît stupéfiant quand on la voit frapper les sacs d'entraînement de coups mesurés mais assurés. Si un homme malintentionné s'approche,
« je le frapperai », assure-t-elle en souriant. Et en attendant, « je me sens tellement mieux, et je sens mon corps si léger après l'entraînement », se félicite-t-elle.
Formée par une Américaine qui lui a inculqué les notions d'autodéfense mises au point par les féministes aux États-Unis depuis les années 70, Sheila Kariuki transmet à ses élèves « un mélange de karaté, de kung-fu et de taekwondo».
Sans illusion sur les effectifs de la police censée les protéger, cette mère d'un enfant initie également ses aînées à des techniques de négociations et de maîtrise de la peur. « Je leur apprends à hurler, qui est le contraire de crier. Quand on hurle, on garde le contrôle de la situation, on reste calme. On dit au monde qu'on n'aime pas ce que ces jeunes types nous font et on leur dit d'arrêter. »
À 60, 80, voire 100 ans, elles apprennent à frapper des poings, du pied, de la canne: les grands-mères de Korogocho répètent chaque semaine des rudiments d'arts martiaux pour survivre dans l'un des bidonvilles les plus dangereux du Kenya. Elles sont ce jour-là une vingtaine en cercle sur le tatami, pieds nus, robe large et fichu sur la tête,...

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