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Culture

Émotions libératrices

Emily Jacir jouant au foot à Haïfa, exauçant le vœu de Hana, une Palestinienne vivant à Houston.

Emily Jacir a réalisé un travail particulièrement touchant et d'une grande force évocatrice. En ligne de mire: les restrictions draconiennes et inhumaines imposées à la liberté de circulation des Palestiniens. L'impossibilité, douloureuse, de ne pas pouvoir rentrer chez soi, de regagner sa patrie ou de se déplacer sur son propre territoire est à l'origine de cette installation réalisée entre 2001 et 2003. «Where We Come From» (Là d'où nous venons) est composée de photographies mises en relation avec des textes, ainsi que d'une projection DVD.
Le point de départ de la pièce et de l'action sur laquelle elle est basée se trouve dans la question suivante, adressée à des Palestiniens vivant en exil: «If I could do anything for you, anywhere in Palestine, what would it be?» (Si je pouvais faire n'importe quoi pour vous, n'importe où en Palestine, qu'est-ce que ça serait?). L'artiste a utilisé son passeport américain pour accéder aux territoires palestiniens, alors que ses semblables sont interdits de mouvement sur leur propre terre. La sempiternelle question posée aux frontières, «est-ce que quelqu'un vous a donné quelque chose à transporter?», sert aussi d'inspiration à
l'installation.
Mandatée par des compatriotes réfugiés et exilés (que ce soit en dehors des territoires occupés, ou sur la terre même de leurs ancêtres), Jacir a ainsi accompli les vœux exprimés ou du moins ceux qui étaient à sa portée. Un habitant de Ramallah a voulu qu'elle aille à Gaza pour embrasser sur les deux joues sa mère qu'il n'avait pas vue
depuis quatre ans. Un étudiant de Bir Zeit a souhaité qu'elle lui rapporte une photo de sa famille à Beit Lahia, «surtout des enfants de (son) frère». Un habitant de Bethléem l'a priée de fleurir la tombe de sa mère à Jérusalem.
Elle est allée à Haïfa où elle a joué au foot avec le premier garçon palestinien qu'elle a rencontré dans la rue, elle a payé la facture téléphonique d'un homme interdit d'entrée à Jérusalem, elle a photographié une maison ancestrale, allumé une bougie sur une plage et prié le même jour dans la mosquée al-Aqsa et à l'église.
Les requêtes, très basiques, sont encadrées de noir pour souligner à quel point les déplacements des Palestiniens sont entravés. En revanche, les clichés immortalisant l'instant où le souhait est exaucé sont affichés sans bordure, libres. L'ensemble, constitué de 30 textes, 32 photos et une vidéo, forme une œuvre émouvante.

Passeport US inutile
«Ces mesures ont été créées et mises en place afin de fragmenter et détruire l'identité de notre peuple entier. La situation est maintenant si extrême qu'aller à Jérusalem est un rêve impossible autant pour un Palestinien de Syrie que pour un Palestinien vivant à 8 km, à Beit Jalla.»
La situation n'a fait
qu'empirer, au point que désormais même le passeport américain ne permet plus de se déplacer librement. Aujourd'hui, la réalisation de cette installation serait impossible parce qu'Emily Jacir n'est plus autorisée à entrer à Gaza ou en Cisjordanie.
Après des études à Dallas et Memphis, Emily Jacir a entamé un travail artistique au départ d'un nombre important de techniques : photographie, vidéo, performance, audio et installation. Elle est aujourd'hui représentée par la galerie Alexander & Bonin à New York et ses œuvres font partie des collections de nombreux musées (MoMA, Whitney Museum of American Art, Moderna Museet, etc.). En 2007, elle a reçu, à l'occasion de la 52e Biennale de Venise, le Lion d'or de l'artiste de moins de 40 ans. Le jury avait salué un travail qui «s'intéresse à l'exil en général et à la question palestinienne en particulier». Également en 2007, le prix Prince Claus 2007 lui a rendu hommage en la nommant parmi les dix finalistes, pour la qualité de ses œuvres d'une grande force évocatrice, qui dépassent le cadre de la Palestine et résonnent avec les exilés partout dans le monde, pour sa lutte contre les injustices et pour ses tentatives de guérir les blessures causées par les conflits au moyen d'actions culturelles.
Si cette œuvre de Jacir inspire chez le spectateur/lecteur des sentiments mêlés de mélancolie, d'injustice et de révolte, Sexy Semite serait plus à même de provoquer des petits sourires ironiques.
Là, elle a demandé à des Palestiniens vivant aux States d'envoyer au Village Voice des petites annonces à la recherche d'un partenaire israélien. Se jouant du droit de retour, qui interdit à tout Palestinien de retourner sur la terre de ses ancêtres à moins d'être marié à une Israélienne. Des fac-similés des journaux (Jacir a failli se faire confisquer les originaux par la Sûreté générale) où les annonces sont entourées. «Est-ce que vous aimez le miel et le lait? Je suis prête à faire une grande famille en Israël. Les clés de la maison sont toujours avec moi», ou encore «Vous avez volé la terre. Prenez les femmes au point où vous en êtes. Femme rousse de nationalité palestinienne prête à être colonisée par votre armée». Ou encore «Jeune homme palestinien recherche beauté juive... Toi seule saura me ramener chez moi».
Dans Stazione (2009), à travers laquelle Emily Jacir devait participer à la 53e Biennale de Venise, des pancartes en arabe devaient jalonner le parcours du bus aquatique. Sa proposition de travail, rejetée par la ville de Venise, est devenue un dépliant qui se trouve sur un présentoir, offert à la main du spectateur.
En somme, une œuvre témoin de l'isolement, des restrictions, de l'enfermement et de l'anéantissement d'une communauté par une autre. Autant de témoignages désespérés pour que la mémoire ne se perde pas.
Emily Jacir a réalisé un travail particulièrement touchant et d'une grande force évocatrice. En ligne de mire: les restrictions draconiennes et inhumaines imposées à la liberté de circulation des Palestiniens. L'impossibilité, douloureuse, de ne pas pouvoir rentrer chez soi, de regagner sa patrie ou de se déplacer sur son propre...

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