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Lifestyle - Hotte d’or

Repentie

Je glapissais. En réalité, je beuglais. Mes murs tapissés de chefs-d'œuvre turkmènes que m'avait offerts Farah Diba pour mes fiançailles vite rompues en 1961 en tremblaient. Louisa, qui astiquait quelque argenterie dans l'office en chantonnant, cette sotte toujours vierge, Mon mec à moi de Patricia Kaas, a éclaté en d'interminables sanglots, hoquetant des Madame Margot, je t'en supplie calmez-vous - elle a toujours un mal fou avec les pronoms, cette fleur de Lisbonne qui se prend pour Jane Birkin malgré son 95E. Je beuglais. Littéralement. Une furie, une harpie, une gorgone, j'étais ; même le fils postpubère acnéique de mes voisins du dessous a arrêté de s'exercer au saxo, ce nerd mochissime. Je beuglais et rebeuglais. Ce Houssam est un crétin hors de ce monde, champion planétaire toutes catégories des crétins, le parangon du Musclor de 19 ans au QI de libellule empaillée. Cela faisait exactement quarante-huit minutes qu'il m'interdisait de sortir de chez moi pour me rendre à ma petite sauterie hebdomadaire champagne-queues de langoustines-visionnage du DVD des Dieux du Stade que mon amie Fifi Abou Dib organise chaque mardi soir ; 48 interminables minutes qu'il m'ordonnait d'aller avec lui au cinéma voir une espèce de film hollywoodien en je ne sais combien de dimensions, au succès gigantesque et subliiiiiiiiime, répétait-il comme un âne et de manger... du pop-corn. DU POP-CORN !!! Moi ! Marguerite K, fille de Minos et de Pasiphaé - ou presque : fille d'Ishtar et de Vladd Tepes, prince de Valachie. J'hallucinais. Je cauchemardais. J'agonisais. J'ai eu beau lui hurler, tous poumons dehors, que moi, moi qui donnait à boire à Luchino Visconti dans la paume de mes mains, moi qu'Orson Welles noyait de pétales de roses noires qu'il faisait jeter d'un avion au-dessus de mon rire qui, disait-il, le faisait vivre, moi qui viens à peine d'enterrer mon délicieux Eric Rohmer, moi aller voir un film hollywoodien, réalisé par un quelconque James, moi chausser des lunettes de 3D, tu vas adooooorer ma divine, répétait encore cet âne, que mille et un derrières d'oreilles sales ont dû souiller, moi manger du pop-corn et moi me mêler à des singes grimaçants, sautillant et couperosés, persuadés qu'ils regardent un soap turc doublé en syrien ? Moi ? Ce Houssam qui commence réellement à me sortir par les narines est un fou. Un suicidaire. Mais il tient bon, ce gueux. Il ne cède pas. Même quand je lui jette une bouteille millésimée de Veuve Clicquot à la figure. Et puis, touché par je ne sais quelle grâce, il eut cette phrase sublime : Tu viendras avec moi voir ce film et puis tu me quitteras, plus jamais tu ne me verras. J'ai dit : soit. Et je l'ai suivi, éblouissante dans ma microrobe blanche Paco Rabanne sous un chinchilla blanc, des Louboutin übercloutées noires, mes gargantuesques lunettes de soleil Christian Dior des années 60 et quelques dizaines d'hectolitres de Guerlain. Je suis entrée dans la salle immense d'un mall immense à Dora, suivie par douze cents paires d'yeux ; le film, si l'on peut appeler cela un film, s'appelle Avatar. J'ai chaussé ces horribles lorgnons méphistophéliques et j'ai passé deux heures et quarante-cinq minutes... les larmes aux yeux, éblouie par de la beauté pure, éblouie par les images, les sons, les odeurs, le goût de cette ode à la vie et aux vies, éblouie, heureuse et pleine de tout malgré un scénario ridicule de bons sentiments, tellement éblouie que j'ai gardé Houssam réveillé jusqu'aux petites aurores, m'occupant de lui comme la plus accomplie des geishas, tellement que c'est lui, pour la première fois, qui a gueulé miam-miam.
margueritek@live.com
Je glapissais. En réalité, je beuglais. Mes murs tapissés de chefs-d'œuvre turkmènes que m'avait offerts Farah Diba pour mes fiançailles vite rompues en 1961 en tremblaient. Louisa, qui astiquait quelque argenterie dans l'office en chantonnant, cette sotte toujours vierge, Mon mec à moi de Patricia Kaas, a éclaté en d'interminables...

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