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Nos Lecteurs ont la Parole

Turquie : une politique étrangère d’ouverture tous azimuts

Ibrahim TABET
Le spectaculaire rapprochement entre la Turquie et la Syrie après des années d'animosité et son corollaire : la décision du cabinet Netanyahou de récuser la médiation d'Ankara entre la Syrie et Israël en demandant à la France de jouer ce rôle sont deux manifestations parmi d'autres du redéploiement de la politique étrangère turque. Des politologues et des médias occidentaux s'en inquiètent. Se demandant si la Turquie n'est pas en train de basculer vers le monde musulman au détriment de son arrimage à l'Europe et au camp occidental, ils se posent la question : « Sommes-nous en train de perdre la Turquie ? »
De fait, la Turquie joue depuis quelques années un rôle de plus en plus important au Moyen Orient, dans le Caucase et en Asie centrale, alors que la perspective de son adhésion à l'Union européenne semble s'éloigner. L'inquiétude paranoïaque de certains milieux occidentaux est-elle pour autant justifiée ? Et cette évolution n'est-elle pas non seulement naturelle, mais aussi bénéfique pour tous ses voisins, y compris européens ?
Depuis la révolution kémaliste et jusqu'aux années cinquante, la Turquie, rejetant son passé ottoman, a tourné le dos à ses voisins de l'Est et du Sud, se voulant résolument européenne. Mais cette posture exclusive, ne tenant pas compte de la géographie et de l'histoire, a changé du fait de plusieurs facteurs : la réislamisation du pays qui a entraîné un recul du kémalisme pur et dur défendu par l'armée ; l'implosion de l'URSS qui a ouvert de considérables perspectives de coopération aux plans politique, économique et culturel entre la Turquie et les républiques turcophones du Caucase et d'Asie centrale ; la fin de la guerre froide qui a entraîné un réchauffement de ses relations avec la Russie ; le potentiel important du marché moyen-oriental pour une économie turque en pleine croissance ; la position géographique du pays au carrefour des routes des hydrocarbures entre l'Asie centrale, le Caucase et l'Europe ; l'attitude décourageante de l'Union européenne vis-à-vis de sa candidature d'adhésion ; enfin la venue au pouvoir de l'AKP qui considère que l'ancrage européen de la Turquie et le fait qu'elle soit membre de l'OTAN ne sont pas incompatibles avec son appartenance au monde islamique et une plus grande implication dans les affaires du Moyen-Orient.
Historiquement, cette région a d'ailleurs toujours été dominée par deux puissances : la Turquie et l'Iran. Aujourd'hui, le déclin du nationalisme arabe, le clivage entre sunnites et chiites et la division des pays arabes ne peuvent qu'accroître leur influence. Mais alors que celle de l'Iran inquiète, à juste titre, les pays de la région et la communauté internationale, il ne devrait pas en être de même, au contraire, de celle de la Turquie, en qui il faut voir un facteur de stabilité au Moyen-Orient. Son islam modéré et sa démocratie servent de contre-modèle à la théocratie iranienne. Poursuivant une diplomatie fondée sur « la conciliation, la paix et le zéro problème avec ses voisins », selon la formule de son ministre des Affaires étrangères, elle est en bons termes avec tous, y compris la Syrie (dont le président turc vient même de déclarer qu'elle est « la porte de la Turquie vers le Moyen-Orient »), l'Irak et l'Iran. Malgré ou à cause des bonnes relations qu'elle entretient avec Téhéran, les pays arabes « modérés » considèrent qu'elle seule peut faire contrepoids aux visées hégémoniques iraniennes sur la région. C'est aussi l'avis de Joschka Fischer pour qui « le principal concurrent de l'Iran dans la région ne sera pas Israël ni ses voisins arabes, mais la Turquie ».
Ce nouveau regard sur le monde arabe et musulman, que d'aucuns qualifient de néo-ottoman, n'empêche pas l'adhésion à l'Union européenne de rester la priorité stratégique de la Turquie. Celle-ci demeure un allié privilégié des États-Unis, comme l'a confirmé la visite du président Obama à Ankara où il a d'ailleurs plaidé pour son adhésion à l'Union européenne. Et elle vient d'amorcer un processus historique de réconciliation avec l'Arménie.
On peut certes considérer cette ouverture tous azimuts comme contradictoire, et il n'est pas étonnant que la politique « proarabe » de l'AKP ne plaise ni à Israël ni à certains cercles néoconservateurs américains. Ainsi en octobre 2009, Soner Cagaptay, du Washington Institute, écrit dans Foreign Affairs que « la politique étrangère turque touchée par l'islamisme n'est plus compatible avec l'Occident ». Cependant, s'il est vrai que le gouvernement AKP a une sensibilité religieuse islamique, ses choix politiques sont avant tout dictés par une analyse réaliste et rationnelle des intérêts du pays. Au plan économique, ils ont contribué à la croissance de ses exportations vers les pays musulmans et la Russie, dont elle est devenue le premier partenaire commercial. Au plan géopolitique, occupant une position de pivot stratégique entre la Méditerranée et la mer Noire, l'Asie et l'Europe, la vocation naturelle de la Turquie est de miser sur tous ses cercles d'appartenance afin d'être un pont entre l'Occident et l'Orient.

Ibrahim TABET
Le spectaculaire rapprochement entre la Turquie et la Syrie après des années d'animosité et son corollaire : la décision du cabinet Netanyahou de récuser la médiation d'Ankara entre la Syrie et Israël en demandant à la France de jouer ce rôle sont deux manifestations parmi d'autres du redéploiement de la politique...

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