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Nos Lecteurs ont la Parole

Où est la République ?

Par Dalal MAWAD
La République libanaise a été créée en 1926 avec l'adoption de la première Constitution sous le mandat français. Quatre-vingt-trois ans plus tard, le Liban est toujours décrit comme étant une république, mais avec une sphère publique quasiment absente. Au Liban, tout ce qui est « public » connote la corruption, l'inefficacité et la déficience.
Le mot « République » est généralement défini comme une forme de gouvernance propriétaire du peuple par opposition aux monarchies et théocraties. Mais le mot « République » est également dérivé de l'expression latine « Res-Publica » qui signifie « question publique » ou « chose publique », en référence à un bien collectif et d'intérêt général. L'État d'une république intègre l'affirmation d'un bien commun, que le gouvernement doit protéger. Ainsi, les institutions publiques, les services publics et les espaces publics définissent également une République.
Sur le plan de l'éducation, seul un tiers des élèves au Liban fréquente les bancs de l'école publique, contre 88 % en France. L'école publique française a toujours été considérée comme étant l'un des piliers de la République française, un espace commun où les jeunes élèves sont éduqués aux valeurs et principes de la république en vue de devenir des citoyens de la nation. Au Liban, seules les familles pauvres envoient leurs enfants à l'école publique, puisqu'elles ne peuvent se permettre de les envoyer à une école privée. Or il est de notoriété que les écoles privées fournissent non seulement une meilleure éducation, mais également un meilleur environnement. Par ailleurs, la majorité des écoles publiques sont victimes de mauvaises infrastructures, de bâtiments délabrés et d'un nombre insuffisant d'enseignants qui, souvent, sont loin d'être les meilleurs dans l'enseignement des langues étrangères.
L'Université libanaise, seule université publique libanaise, est une université démembrée et divisée, manquant d'équipement et de matériel. Les locaux y sont détériorés et sans entretien, et les professeurs souvent mal payés. Quant aux programmes et aux cours, ils sont rarement révisés et les systèmes traditionnels d'évaluation sont toujours en place.
De plus, au lieu d'utiliser l'argent public pour améliorer l'enseignement public, l'État encourage les fonctionnaires à envoyer leurs enfants dans les écoles privées en subventionnant les frais de leur scolarité privée.
Sur le plan des moyens de transport, chaque ménage libanais possède en moyenne trois voitures, et les autorités, déconcertées, peinent à résoudre le problème du nombre insuffisant de places de stationnement. Récemment, les municipalités locales ont même eu la brillante idée de remplacer les jardins publics par des parkings. En réalité, le problème réel est dû à l'absence de moyens de transport public. En effet, les transports en commun libanais sont mal dirigés, sous-développés et non sécurisés. Seuls ceux qui ne peuvent se permettre de payer l'essence et de s'acheter une voiture prennent le bus pour aller au travail. Les bus sont vieux, sales et ne desservent pas tout le pays. Si vous cherchez un arrêt de bus à Beyrouth, vous n'en trouverez point puisque les bus s'arrêtent partout. Quant aux trains, il fut une époque où ils existaient. Aujourd'hui, il ne reste plus que les rails. Les voitures vieilles de trente ans font office de taxis, avec des chauffeurs au comportement souvent insensé.
Les institutions de l'administration publique, qui devraient être au service des citoyens et de leurs besoins, sont le lieu par excellence où sévissent la corruption, le chaos, la bureaucratie et l'inefficacité. Les bâtiments publics sont sales et dégagent une mauvaise odeur, et les citoyens ayant de la paperasse à faire patientent de longues heures et dans des conditions humiliantes, sans résultat dans la plupart des cas. La seule garantie d'être servi est d'offrir des pourboires aux chers employés publics.
L'hôpital public, lui, n'est pas à la portée de toutes les régions et manque toujours de matériel et d'équipement médical de pointe. Dans la plupart des cas, il n'y a pas suffisamment de lits ou de médecins, et les services ne sont pas développés. L'État souffre d'un problème de financement bien qu'il réserve une grande partie de son budget pour couvrir les soins médicaux dans les hôpitaux prives. Quant à la Sécurité sociale, elle ne couvre que la moitie des citoyens et souffre elle-même d'un gros déficit budgétaire.
L'électricité publique n'est pas au service du public. La plupart du temps, les citoyens ont recours à des générateurs privés en raison des coupures de courant indéterminées. L'eau n'est pas publique non plus puisque les gens n'ont le choix que d'acheter de l'eau en bouteille pour boire et de l'eau des citernes pour la douche et les tâches ménagères, et cela en raison des coupures régulières d'eau potable. Une coupure pouvant durer des jours empêchant certains ménages de nettoyer, de cuisiner, de vivre.
Finalement, en jetant un simple coup d'œil dans les principales villes libanaises, force est de constater que le Liban souffre d'une grave pénurie d'espaces publics communs. Dans les villes, rares sont les espaces publics où les citoyens peuvent se retrouver et passer du temps ensemble en plein air, et quand ces espaces existent, ils ne sont guère entretenus. À Beyrouth, on compte deux petits jardins publics, et tous deux sont menacés de disparition. Il existe deux ou trois endroits où les gens peuvent se balader et ou les enfants peuvent jouer, et souvent il s'agit de trottoirs tels « la corniche de Raouché », ou « la marina de Saint-Georges ».
Partout dans le monde, les plages sont en règle générale publiques, bien préservées par les autorités locales et accessibles gratuitement. Au Liban, la plupart des plages sont privées et excessivement exclusives. Les quelque plages publiques qui restent sont dans un état sale et répugnant et les services de base y font défaut. Si vous avez donc envie d'aller à une belle plage, vérifiez d'abord que vous avez assez d'argent sur vous.
La liste est longue, il faudrait livrer des centaines de pages pour décrire l'état de la sphère publique au Liban, une sphère qui se rétrécit jour après jour. L'État libanais est malheureusement défini par une confédération d'intérêts particuliers, communautaires et confessionnels.  Mais si l'éducation publique, les services publics et les espaces publics définissent le cadre institutionnel d'une république, si une « res-publica » fait référence à un bien public et commun, servant l'intérêt commun, alors où est la République ?
La République libanaise a été créée en 1926 avec l'adoption de la première Constitution sous le mandat français. Quatre-vingt-trois ans plus tard, le Liban est toujours décrit comme étant une république, mais avec une sphère publique quasiment absente. Au Liban, tout ce qui est « public »...

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