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Un couple libano-nippon au pays du Soleil-Levant perpétue une tradition japonaise ancestrale

Un couple libano-nippon au pays du Soleil-Levant perpétue une tradition japonaise ancestrale

Parmi la petite communauté libanaise au Japon, une femme, Madeleine Abdel Jalil, mariée à un Japonais dont la famille perpétue une tradition théâtrale ancestrale, a fait sa vie dans ce pays d'Extrême-Orient. Ses deux enfants sont aujourd'hui des cinéastes. Compte rendu d'une histoire hors du commun.
La société libanaise a subi dans les années 1950 des transformations et des développements importants. À cette époque, le « pays du Soleil-Levant », le Japon, participait très activement à cet élan, plus d'une centaine de sociétés japonaises étant installées dans le pays. Cette collaboration a duré jusqu'en 1975, début de la guerre libanaise. Mais malgré les conditions difficiles, les liens entre le Japon et le pays du Cèdre n'ont jamais été rompus. À partir de 1996, plusieurs grands projets liés notamment à l'éducation et à l'environnement ont accompagné la réouverture de l'ambassade du Japon au Liban. Ces efforts ont été couronnés en 2008 par la création d'un Centre académique japonais à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, qui envisage de devenir un pôle académique pluriculturel appuyant les étudiants intéressés de poursuivre des études supérieures au Japon www.cajap.usj.edu.lb Par ailleurs, les restaurants japonais sont multiples au Liban, sans oublier les restaurants libanais au Japon, aussi nombreux dans la deuxième puissance économique mondiale qui compte 127 millions d'habitants.
L'émigration libanaise avait atteint l'Extrême-Orient dans les années 1920, plusieurs Libanais s'étant installés dans la région de l'océan Pacifique, entre autres aux Philippines (voir notre édition du 2 juin 2008) et au Japon, où se trouve de nos jours une petite communauté libanaise d'une centaine de personnes bien intégrée et active dans les domaines artistique et social, ainsi que dans les affaires. Cette communauté comprend des boursiers du gouvernement japonais qui étudient l'architecture, l'économie et autres.
Parmi les membres de cette communauté, se trouve Madeleine Umewaka, née Abdel Jalil, originaire d'Achrafieh à Beyrouth, et ancienne élève des jésuites. Comme des milliers d'autres jeunes poussés à l'exode par la guerre, elle a été envoyée en 1976 par ses parents inquiets chez sa sœur Marie-Rose, mariée deux ans auparavant avec le Japonais Michikane Ishiguro, qu'elle avait rencontré alors qu'il travaillait à la banque de Tokyo à Beyrouth. Madeleine passa quelque temps chez sa sœur, écrivain, et connut sur les bancs du Lycée international de Kobe le jeune Naohiko Umewaka, originaire d'une famille traditionnelle japonaise. La particularité de cette famille, c'est qu'elle transmet de génération en génération, depuis le XVe siècle, la tradition du théâtre nô (« nô » ou « noh » provient d'un verbe signifiant « pouvoir, être puissant, être capable de »). Ce théâtre est fondé sur les gestes et la méditation y est de rigueur. Naohiko Umewaka, docteur en art et théâtre, est actuellement le gardien de cette tradition, et est professeur d'art et culture à Shizuoka University, au Japon. Après un séjour de trois ans en Angleterre, Madeleine, diplômée en génie informatique, retourna au Japon en 1981 pour compléter ses études supérieures d'informatique à l'Université d'Osaka et épousa, en 1982, Naohiko Umewaka, de confession catholique comme elle.

Le christianisme au pays du Soleil-Levant
Signalons que le christianisme (Kirishitan en japonais) a été introduit en 1549 au Japon par les jésuites, avec l'appui du Portugal puis de l'Espagne. On y trouve aussi l'Église orthodoxe byzantine du Japon, sous la juridiction du patriarcat de Moscou et de toute la Russie.
De l'union de Madeleine et de Naohiko sont nés Soraya (1983) et Naotomo (1986). Vivant entre l'Angleterre et le Japon, la famille libano-japonaise a poursuivi la diffusion de la tradition du théâtre nô, présentant divers spectacles comme Le baptême du Christ devant le pape Jean-Paul II au Vatican en 1989, Yashima à l'occasion de la visite de l'empereur japonais à São Paulo en 1997, Hanibal en Tunisie en 2002 et Italian Restaurant tout récemment au Liban, organisé par la Lebanese American University (LAU), en collaboration avec l'ambassade du Japon. Sans compter d'autres aux États-Unis, en Angleterre, en Autriche et en Chine.
On notera que Madeleine est la première femme non japonaise à perpétuer cette tradition culturelle locale. D'autre part, signalons qu'elle a effectué des recherches sur l'identité des enfants biculturels à l'Université de Tokyo (1997-2000), rendant compte de la difficulté à élever les enfants suivant le système rigide japonais.
Ses enfants Soraya et Naotomo représentent la 14e génération du théâtre nô. Tous deux cinéastes, ils ont remporté plusieurs prix internationaux et sont aussi attachés au Japon qu'au Liban, comme leur mère qui n'a pas oublié son pays d'origine. Soraya est également diplômée en sciences politiques de la Princeton University aux États-Unis, et a voyagé en Équateur, au Cambodge et au Laos dans le cadre de recherches sur les enfants des rues affectés par les systèmes politiques. Parmi ses œuvres cinématographiques figurent Street Witness (Équateur), Afghanistan Unveiled (Kaboul), Lost Voices (Beyrouth), et au Brésil Canabrava (Bahia), et  I am Happy - Eu Sou Feliz (Rio de Janeiro). Soraya parle couramment le japonais, l'anglais, l'espagnol, l'arabe et le portugais. Quant à son frère Naotomo, également acteur diplômé de la Temple University of Japan, il a réalisé au Japon plusieurs documentaires comme Birthday Cake,  Japan, Coffee Shop, Three Months Left To Live, What's So Funny ?  
Madeleine Abdel Jalil a par ailleurs un frère et deux sœurs. Georges vit à Londres et est marié à une Écossaise,  Pauline vit à Paris, où elle est photographe, et Marie-Rose, qui l'avait accueillie au Japon, demeure toujours dans ce pays où elle est écrivain. Ses livres, écrits en japonais, sont devenus des best-sellers et lui ont valu de nombreux reportages à la télévision et dans les journaux de Tokyo et autres grandes villes du pays. Citons Chici no Kokoro Musume e no Tegami  (Le cœur d`un père - lettres à sa fille), publié en 1985, après la mort de son père, Lebanon no Sugi to Sakura (Le cèdre du Liban et le cerisier du Japon) comparant les deux cultures, et  Kiristo-kyo Bunka no Joshiki (Le sens de la culture chrétienne), dont la première édition a été vendue en vingt jours et qui a été réimprimé vingt-quatre fois (et aussi en braille).
Souhaitons que le Liban, qui a tant donné à ce monde, redevienne un Liban nô, « puissant » et « capable de vivre en paix ». Sayônara !

Roberto KHATLAB
Lebanese Emigration Research Center - LERC
Notre Dame University - NDU

La société libanaise a subi dans les années 1950 des transformations et des développements importants. À cette époque, le « pays du Soleil-Levant », le Japon, participait très activement à cet élan, plus d'une centaine de sociétés japonaises étant installées dans le pays. Cette...