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Nos Lecteurs ont la Parole

Quand le nucléaire dissuade…

Serge GÉLALIAN
Dans un précédent article paru dans L'Orient-Le Jour (14 août 2009), nous avions mentionné les projets nucléaires des pays arabes et nous avions dit que le Moyen-Orient se dirigeait probablement vers une guerre froide qui pourrait façonner l'avenir de la région. Dans le présent article, nous proposons une brève vision géostratégique globale dans une visée prospective, à savoir la probable situation future de la région à l'ombre d'une prolifération.
Car c'est bien d'une course au nucléaire qu'il s'agit. Il est clair maintenant que les pays arabes ainsi que la Turquie comptent acquérir le nucléaire, pas seulement à des fins civiles. Plusieurs analystes l'ont déjà mentionné(1), d'autant que les pays de la région pressentent, voire savent que l'Iran compte bien acquérir l'arme nucléaire(2). Il semble donc qu'un Moyen-Orient nucléarisé se profile à l'horizon.
Les facteurs en sont multiples. Sans entrer dans les méandres des tractations internationales sur le nucléaire iranien, exposons brièvement les faits :
1. Les sanctions contre l'Iran n'ont pas abouti jusque-là et n'auront probablement pas d'effet à l'avenir. Diverses analyses l'avaient prédit et d'autres l'ont répété dernièrement(3). Elles n'ont mené qu'à un durcissement de la position iranienne, comme l'avait prédit le président russe Medvedev. Les dernières propositions iraniennes à l'AIEA ne sont que des tergiversations destinées à noyer le poisson. De toutes manières, ces sanctions étaient plutôt molles tant les intérêts russes et chinois sont importants en Iran. « Tout dépend de la sévérité des sanctions », disait Shimon Peres dans une interview au Figaro (2 juin 2007).
2. Les déclarations de certaines figures internationales sur le nucléaire iranien, à commencer par Mohammad el-Baradei, ont minimisé le programme iranien en disant que le risque qu'il posait a été exagéré et surmédiatisé. De toute façon, ces déclarations semblent faire partie d'une mise en scène internationale. Sans oublier d'autres déclarations selon lesquelles les Arabes ont le droit d'acquérir le nucléaire civil.
3. Les projets des pays arabes et de la Turquie sont parrainés par les États-Unis et des accords de coopération nucléaire ont été signés(4) (Cf. aussi notre article du 14 août 2009). L'implication américaine dans ces coopérations, alors que l'Amérique faisait capoter tout projet nucléaire arabe auparavant, prouve qu'une nouvelle voie semble abordée pour résoudre le problème du nucléaire iranien. Les sanctions contre l'Iran semblent prendre une autre tournure.
4. La remise en liberté en février dernier de Abdul Qader Khan, père du nucléaire pakistanais (financé par l'Arabie saoudite), après des années d'assignation à résidence. On sait que A.Q. Khan a contribué aux projets nucléaires iranien et nord-coréen et qu'il avait établi un réseau mondial souterrain. Pourquoi l'avoir relâché maintenant ? (Raisons de santé, me diriez-vous).
Les faits ci-dessus corroborent notre thèse qu'un Orient nucléaire se dessine petit à petit. Qu'est-ce qui en résulterait pour l'avenir de la région ? « Regardez la carte », disait feu Alexandre de Marenches(5). Nous pensons qu'il pourrait s'établir une entente, voire une coalition stratégique arabo-israélienne, tacite ou avérée. Cela conférerait aux Arabes - et à Israël - une profondeur stratégique allant jusqu'au Maroc, sans oublier la Turquie et le Pakistan. L'axe irano-syrien serait encerclé par des pays nucléarisés sunnites. On en revient au principe américain du containement. Il faudrait alors qu'une normalisation ait été établie entre Arabes et Israël. La question palestinienne s'en verrait peut-être résolue (Gaza y compris).
Un Orient nucléaire serait peut-être plus stable qu'auparavant, même si le risque d'une guerre nucléaire ou la fabrication d'une bombe sale par des terroristes ne serait pas à écarter. Mais cela demeurerait bien difficile. D'abord parce que pour acquérir du nucléaire, les terroristes devront se fournir auprès de pays maîtrisant le nucléaire surtout depuis que le réseau de Abdel Qader Khan a été dévoilé (mais pas démantelé). En cas d'attentat, on peut donc remonter au pays fournisseur grâce à des traces bien précises. Ensuite parce que les États nucléarisés demeurent conscients de l'énorme risque encouru en pressant le bouton fatal. Dans le dernier Newsweek (14 septembre 2009), un article évoque le fait que durant la guerre froide, mis à part l'affaire de la Baie des Cochons, aucune guerre nucléaire n'a éclaté entre les deux blocs ennemis. L'article poursuit en disant qu'aucun pays n'appuierait sur le bouton fatal pour rayer de la carte un autre pays parce qu'il se ferait lui-même rayer de la carte (principe de la deuxième vague). L'article s'appuie aussi sur le fait que depuis leur acquisition de l'arme nucléaire, l'Inde et le Pakistan ont des relations moins tendues, même après l'attentat de Mumbaï. Le nucléaire dissuade.
Quel avenir pour le Liban dans tout cela ?
Le Liban (ça vaut aussi pour Gaza) est et sera à la fois maillon faible et verrou. C'est cette dualité de sa situation qui le rend sujet à des retournements, contre-retournements, manipulations et autres ballottements au gré de tous. Si le Liban ne fait pas partie de cette coalition arabo-israélienne mentionnée ci-dessus, la moindre étincelle chez lui pourrait provoquer l'apocalypse dans la région. Il faudra donc veiller à le verrouiller du bon côté une fois pour toutes. Il faudra donc neutraliser les forces adverses sur le terrain (et l'affaire Ezzeddine ne semble pas être une simple coïncidence).
Le train nucléaire arabe semble placé sur de bons rails. Ces derniers mois, des dizaines de ressortissants américains - ingénieurs, avocats, hommes d'affaires - ont débarqué à Abou Dhabi dans le but de peaufiner le programme nucléaire émirati prévu pour 2017. Et le prochain congrès nucléaire du CCG (initialement prévu pour début octobre 2009) se tiendra à Dubaï fin mars 2010 (www.nuclearenergyme.com). Le premier a déjà eu lieu en mai dernier à Dubaï. Affaire à suivre.

Serge GÉLALIAN

1) Amir Taheri, « Iran Has Started a Mideast Arms Race », Wall Street Journal, 23 mars 2009
René Backmann, Vincent Jauvert, « Les docteurs Folamour du Moyen-Orient », Le Nouvel Observateur, semaine du 12 avril 2007
2) Nathalie Nougayrède : « Selon un haut responsable pakistanais, le programme nucléaire iranien est militaire », Le Monde, 5 mai 2007
3) Thierry Coville, « Le faible impact des sanctions contre l'Iran », www.lesechos.fr, 14 août 2008
http://www.cbn.com/cbnnews/world/2009/June/Can-Sanctions-Stop-Irans-Nuclear-Program/
John Bolton, « Sanctions Won't Work Against Iran », Wall Street Journal, 31 août 2009
4) « Demain un Maghreb nucléaire », Jeune Afrique, 16 au 29 août 2009
5) Patron des services secrets français durant le premier mandat de F. Mitterrand.

Dans un précédent article paru dans L'Orient-Le Jour (14 août 2009), nous avions mentionné les projets nucléaires des pays arabes et nous avions dit que le Moyen-Orient se dirigeait probablement vers une guerre froide qui pourrait façonner l'avenir de la région. Dans le présent article, nous proposons une brève vision...

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