Rechercher
Rechercher

Législatives : juin 2009 - Pour aller plus loin

Illusions verbales

Il est évident que la polémique autour des exigences ministérielles abracadabrantes de Michel Aoun sert de passe-temps à la classe politique, en attendant un déblocage régional, qui seul peut ouvrir la voie à la naissance du nouveau cabinet.
Tout un chacun sait que lorsque les parrains étrangers des deux camps adverses donneront leur feu vert à la composition du gouvernement, un compromis sera trouvé en l'espace de quelques heures et Saad Hariri prendra possession de son bureau au Sérail en deux temps trois mouvements. Il n'empêche qu'en entretenant la joute verbale autour de ce dossier insignifiant, dérisoire, ridicule, les ténors de la majorité aussi bien que le Courant patriotique libre et ses alliés font insulte aux citoyens de ce pays et à leur intelligence.
Certes, de nombreux Libanais, désormais habitués aux différentes formes de vacances au niveau des hautes sphères du pouvoir, se plaisent à affirmer que le pays fonctionne très bien sans un gouvernement qui, une fois composé, ne fera qu'imposer des taxes injustes à l'instar de l'impôt sur l'essence, et servir les intérêts des uns et des autres, sans pour autant lancer la moindre réforme structurelle qui puisse un tant soit peu améliorer le niveau de vie de la population. Au-delà de ce désenchantement populaire chronique, il est indéniable que le pays a atrocement besoin d'un gouvernement qui puisse réactiver - pour la énième fois - les institutions léthargiques de l'État et gérer de nombreuses affaires pressantes. À commencer par le dossier de l'électricité, sans oublier les menaces à répétition que lancent sans cesse les Israéliens contre le Liban, en passant par d'innombrables dossiers sécuritaires, politiques, sociaux et économiques.
Or le CPL et son chef font fi de tous ces dossiers pour s'obstiner à vouloir réclamer un maroquin pour le gendre bien-aimé de Michel Aoun - qui, par ailleurs, est loin d'être le plus populaire et le plus compétent des dirigeants du Courant - et la nomination d'un aouniste au poste-clé de ministre de l'Intérieur. Cette position est en soi
scandaleuse et montre que le député Aoun ne diffère en rien des autres pachas de la scène politique, vu qu'il est capable de ravaler son discours de changement et de réforme en l'espace d'une seconde, pour rechercher ses intérêts partisans et claniques, sous le prétexte de défendre les droits de sa communauté. Cela n'est guère étonnant dans un pays dont les différents barons font passer leurs intérêts obtus avant ceux de la nation. Il s'agit néanmoins d'une nouvelle preuve que Michel Aoun est loin d'être le chevalier blanc dans lequel d'aucuns rêveurs désespérés ont vu le sauveur de la nation et le vainqueur potentiel du népotisme.
Outre ce fait, il convient de s'attarder sur les visées aounistes sur le poste qu'occupe actuellement avec un brio sans précédent l'excellent Ziyad Baroud. En effet, le futur ministre de l'Intérieur sera appelé à superviser les prochaines élections municipales qui devraient se tenir l'année prochaine. Ce scrutin est crucial car, en dépit de leurs prérogatives qui fort malheureusement sont trop limitées, les municipalités jouent un rôle fondamental dans la vie de la population et gèrent des fonds publics dont les montants sont parfois colossaux. Il est donc fondamental que la supervision de ces élections soit confiée à un ministre impartial, honnête et étranger aux pratiques auxquelles se sont livrés les Michel/Élias Murr et autres Sleimane Frangié lorsqu'ils étaient locataires rue Sanayeh. Seul un ministre de l'Intérieur désigné par le président de la République, Michel Sleiman, qui n'a pas dérogé aux règles de la neutralité est à même d'honorer cette tâche correctement, comme l'a fait Ziyad Baroud pendant les dernières législatives. Alors que la nomination à ce ministère d'un dirigeant d'une partie qui mènera férocement la bataille des municipales ne fera qu'ouvrir la voie à toutes sortes de fraudes et de manipulations...
Au lieu de faire valoir cet argument pour faire échec aux revendications farfelues du généralissime de Rabieh, la majorité a préféré brasser de nouveau un discours oiseux, sautant sur l'occasion pour tirer à boulets rouges sur le CPL, faute de pouvoir s'en prendre à son allié khomeyniste. Ce camp s'est même lancé dans des jurisprudences boiteuses selon lesquelles un candidat malheureux aux élections ne doit pas entrer au gouvernement, alors que les meilleurs de ses actuels ministres ont échoué aux législatives de 2005, comme Ibrahim Chamseddine ou Nassib Lahoud, ou ne se sont jamais soumis au suffrage universel, à l'instar de Tarek Mitri.
Le tapage médiatique antiaouniste auquel s'est livrée la majorité parlementaire n'a fait que faciliter le succès de la manœuvre aouniste. Le jeu du CPL est pourtant très simple. À chaque fois qu'il perçoit un blocage régional entravant une échéance locale, Michel Aoun présente des revendications qu'il sait impossibles pour se présenter aux yeux de son public comme l'homme providentiel capable d'affronter tout le landernau politique et d'arracher des concessions à la fois à ses alliés et à ses adversaires. Au lieu de se mobiliser massivement contre le député du Kesrouan, accréditant ainsi son discours populiste, la majorité aurait dû réfuter rapidement ses exigences par un seul communiqué publié par l'une de ses principales formations, pour se concentrer sur la véritable origine du blocage, à savoir le Baas des Assad.
Après avoir obtenu la consécration de la formule des 10-5-15 qui confère à ses alliés locaux un tiers de blocage déguisé et prive ses rivaux de la majorité gouvernementale à laquelle ils ont droit, après les résultats des législatives, Damas revient en effet au blocage. Ses caciques espèrent ainsi obtenir davantage de concessions américaines en matière de diplomatie et d'économie, et astreindre Riyad et Washington à élargir sa marge d'action au Liban.
La manœuvre est flagrante et n'a pas dû échapper aux dirigeants de la majorité qui ne la dénoncent toutefois que d'une manière quelque peu voilée. Pourtant, s'adapter à la conjoncture régionale et faire preuve de pragmatisme ne signifient pas déléguer la lutte pour la souveraineté et l'indépendance à Abdel-Aziz Khoja et au fils de Abdallah ben Abdel-Aziz...
Tout un chacun sait que lorsque les parrains étrangers des deux camps adverses donneront leur feu vert à la composition du gouvernement, un compromis sera trouvé en l'espace de quelques heures et Saad Hariri prendra possession de son bureau au Sérail en deux temps trois mouvements. Il n'empêche qu'en entretenant la joute verbale autour de ce dossier insignifiant,...