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Législatives : juin 2009 - Pour aller plus loin

Un retour au pied du mur?

La formation du gouvernement présidé par Saad Hariri et qui serait le fruit de la victoire du 14 Mars aux dernières élections législatives passe-t-elle par un règlement de la crise proche-orientale dans son ensemble ? C'est presque le cas, à voir le plaisir que semblent prendre certains acteurs régionaux à jouer avec ce qu'ils appellent, dans leur jargon diplomatique, la « carte » libanaise...
Quasiment trois mois après la consultation électorale, force est de constater, en tout cas, que la naissance du gouvernement en est toujours au point mort, sinon que la dynamique a régressé davantage encore, si cela était techniquement possible - puisque l'on évoque même maintenant, ouvertement, un retour à la déstabilisation sécuritaire à travers un réchauffement de plusieurs zones « sensibles » dans le pays. Et il se trouve même des pôles politiques au sein de l'équipe prosyrienne pour se féliciter ouvertement du vide (Sleimane Frangié, par exemple), en laissant entendre que les Libanais sont « autosuffisants » et qu'ils n'ont pas vraiment besoin d'institutions prétendant que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Désormais, ce n'est même plus à « la rentrée scolaire » que serait renvoyée la formation du cabinet, comme l'avait prophétisé le chef du CPL, Michel Aoun, mais carrément « à l'automne », sans plus de précisions...
À l'évidence, c'est au niveau des ramifications régionales de la crise qu'il faut rechercher la racine du mal actuel qui continue de mener la vie dure à Saad Hariri, et, à travers lui, à la majorité des citoyens qui ont renouvelé leur confiance dans l'équipe du 14 Mars. En d'autres termes, c'est à la lumière des rapports en dents de scie entre l'Arabie saoudite et la Syrie qu'il convient de replacer l'ensemble du contexte libanais local. Ou bien vaut-il mieux parler d'échiquier local... Or tout semble prouver que ces relations - encore toutes neuves, relevant bien plus du tâtonnement que d'un quelconque pseudo-« accord », et, par conséquent, particulièrement fragiles puisque l'ouverture saoudienne prudente s'est faite au lendemain de Doha après des années de courroux saoudien contre Damas dus au cataclysmique assassinat de Rafic Hariri - paraissent actuellement traverser une zone de haute turbulence. Une crise que le discours et les actes des lieutenants - déclarés et non déclarés - de Damas à Beyrouth expriment parfaitement bien. De Sleimane Frangié à Émile Lahoud, en passant par Nasser Kandil ou Wi'am Wahhab, tout le monde annonce ainsi que « le cabinet ne verra pas le jour de sitôt », ou que la tâche de « Saad Hariri ne sera pas du tout facile ». Un climat qui semble bien émaner directement du directoire syrien, puisqu'il est répercuté au sein des quotidiens syriens officiels depuis trois jours. Hier encore, al-Watan annonçait que Hariri devait « trancher et former le cabinet ou bien reconnaître son échec et se récuser ».
L'ancien député Nasser Kandil, lui, va un cran au-delà pour mettre en évidence les hautes volutes de la rhétorique syrienne - et reconnaît franchement l'existence de la crise actuelle dans les rapports entre Damas et Riyad. Ainsi a-t-il parlé hier d'une « nouvelle équation » représentée par « l'entente égypto-saoudo-américaine » qui semble avoir « provoqué une régression saoudienne dans le cadre de l'entente avec la Syrie ». Et de renvoyer la date de la formation du gouvernement aux élections en... Irak, c'est-à-dire au début 2010 ! On pourrait presque lire dans les propos « kandiliens » une pleine reconnaissance syrienne de la responsabilité du blocage dans la formation du cabinet ! Une action syrienne au demeurant dûment concertée et organisée à l'aide de ses alliés, notamment du camp iranien, après le sommet Ahmadinejad-Assad à Téhéran la semaine dernière.
Côté occidental, en tout cas, personne ne semble dupe de l'origine du blocage. Preuve en est, les propos du secrétaire d'État au Foreign Office, Ivan Lewis, qui a directement invité la Syrie à ne pas s'ingérer dans les affaires libanaises, ou encore une source responsable américaine citée mardi par notre confrère Hicham Melhem dans le quotidien an-Nahar, qui accuse clairement Damas et ses « amis », notamment le Hezbollah et Michel Aoun, d'obstruer la formation du cabinet, et qui met en garde le directoire syrien contre les répercussions de ce comportement sur les relations syro-américaines. Ce qui signifie, venant des États-Unis, que la Syrie n'a pas les mains libres pour faire ce qu'elle veut dans la région, et surtout au niveau du dossier libanais, contrairement à ce que Damas pourrait penser. C'est d'ailleurs probablement dans ce contexte - celui d'un bras de fer régional dirigé par les États-Unis et le camp syro-iranien - que l'on pourrait aussi replacer le clash diplomatique qui s'est produit hier entre l'Irak et la Syrie. D'autant que la reprise de contacts entre Washington et Damas, depuis l'arrivée d'Obama à la présidence, a surtout porté sur une contribution substantielle à la stabilisation de la scène irakienne, ce dont Damas a largement les moyens... mais sans résultats. Ce qui fait dire à certains observateurs que Damas continue d'opérer son chantage traditionnel à l'égard de l'Occident, en général, et des États-Unis, en particulier, selon lequel il souhaite obtenir des acquis en échange de sa coopération en Irak. Et ce qu'il souhaite obtenir dépasse la préservation du pouvoir en place à Damas, comme cela avait été présenté à l'origine, et touche à sa sphère d'influence « naturelle », son terrain de prédilection, le Liban...
Mais l'Iran non plus n'est pas en reste dans cette affaire, puisque le Hezbollah s'aligne sur Damas, à en croire les propos de ses cadres. Le député MohammAd Raad affirmait ainsi hier au quotidien an-Nahar que « l'Arabie saoudite et les États-Unis souhaitent former le cabinet qu'ils désirent au Liban ». Ce qui constitue un aveu supplémentaire que le blocage relève du 8 Mars, qui souhaiterait faire échec à cette pseudo-tentative occidentale. La rhétorique est subtilement maniée par l'éditorialiste du principal journal d'opposition proche du parti islamiste, qui inverse l'équation et rejette la faute sur le 14 Mars, lequel chercherait à « écarter le Hezbollah et Aoun du nouveau cabinet »... ce qui justifierait un « nouveau 7 mai », le parti se comportant alors comme un « opprimé fort », et non pas comme un « opprimé faible ». D'autant que le Hezbollah hurle au « complot » occidental visant à le désarmer à travers l'acte d'accusation du TSL. Inutile de préciser ce que cela veut dire au regard des règles démocratiques ou de la stabilité sécuritaire... et ce n'est pas un hasard si, dans ce contexte, Saad Hariri a mis l'accent hier, dans son allocution nocturne, sur la nécessité de « préserver la sécurité dans toutes les régions ».
Il reste tout de même quelques éléments positifs au sein de cette noirceur insondable. D'abord, la situation pourrait potentiellement se débloquer durant le mois de septembre, date à laquelle l'Iran devra apporter des réponses sur le dossier nucléaire ou subir des sanctions. Ensuite, rien n'exclut une tentative saoudienne de débloquer la situation avec la Syrie, malgré le chantage permanent de Damas au Liban, qui se résume à cette formule : « La paix civile à mes conditions ou le chaos. » Enfin, sur la scène exclusivement locale, des sources bien informées faisaient état hier d'une tentative de Saad Hariri (fermement démentie par des sources proches de Koraytem) de proposer une nouvelle vision au sujet du cabinet dans les prochaines heures au chef de l'État, lequel s'est entretenu de son côté avec le président syrien Bachar el-Assad, avec qui il se serait mis d'accord « sur la nécessité de procéder à une démarche avec les parties internes pour débloquer la situation ». Une information qui coïncide avec les propos apaisants tenus hier par le député Alain Aoun, qui tranchent nettement avec la folie politique qui ravage actuellement les sommets du CPL. Cependant, là encore, des sources de l'opposition affirmaient en soirée que l'initiative Hariri n'irait pas bien loin, dans la mesure où la nouvelle mouture proposée par le Premier ministre désigné n'octroierait pas le portefeuille des Télécoms au CPL, mais celui de l'Éducation, et, surtout... exclurait Gebran Bassil...
Ce qui équivaudrait, de nouveau, à ramener la situation droit dans l'impasse, au pied du mur, et « la tête dans le mur » ; ou dans la Grande Muraille de Chine, soit dit, en bon langage aouniste.
Quasiment trois mois après la consultation électorale, force est de constater, en tout cas, que la naissance du gouvernement en est toujours au point mort, sinon que la dynamique a régressé davantage encore, si cela était techniquement possible - puisque l'on évoque même maintenant, ouvertement, un retour à la déstabilisation...