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Culture - Festival d’Avignon

Le questionnement comme unique réponse à la puissante insatisfaction de la vie

« Littoral », « Incendies », « Forêts », les trois premiers volets du quatuor théâtral que présente Wajdi Mouawad (auteur et metteur en scène) au Festival In d'Avignon, offrent une épopée captivante sur la guerre, l'exil et l'identité, qui mène les spectateurs d'un bout à l'autre de la nuit. Et, étonnamment, malgré l'heure qui avance, le sommeil qui alourdit les paupières, le froid qui saisit, le vent qui souffle avec force, les gradins ne se vident pas.

Les spectateurs, silhouettes encapuchonnées dans les couvertures marrons, mises à disposition par les organisateurs du festival, restent là, serrés les uns contre les autres, assistant fascinés à ce récit où « le sang des promesses » - tenues - va agir comme une catharsis...
La cour d'honneur du Palais des papes est balayée par un vent qui serait agréable n'étaient ses violentes rafales qui claquent comme des fouets. Un rideau noir à lamelles est tendu sur le mur du fond. Sur scène, des éléments cubiques en bois recouverts de bâches en plastique noir jouent les limites de décor.
Vingt-trois comédiens entrent sur scène, à la file indienne. Ces comédiens vont jouer les trois pièces d'affilée. Ils s'alignent contre le mur du fond. Leurs mains et avant-bras sont maculés de peinture blanche. Comme dans une danse rituelle, debout, bras plaqués contre la bâche, ils se roulent et se déroulent, imprimant le fond noir de traces et d'empreintes blanches éclatées. Le tout sur le son d'un nay qui égrène des notes tristes, sorte de lamentation post-mortem. Wilfrid s'avance, grand corps dégingandé, bouille d'ado. Il vient présenter au juge une requête : emmener la dépouille paternelle au pays natal pour l'y enterrer. L'argumentaire de Wilfrid est un savant dosage entre humour et émotion. Les mots sont imagés, l'accent québécois savoureux...
Le récit est captivant. Wilfrid n'hésite pas à se mettre à l'écoute de son père mort qui parle. Ainsi, le voyage peut avoir lieu et mener Wilfrid à la découverte du fondement même de son existence. À la croisée des chemins, ce sont d'autres jeunes qu'il rencontre, d'autres vécus, mais toujours une même quête des origines, recherche du sens, dénouement des frustrations dues à l'absence ou à la mort, mise en mots des tourments de l'enfance écartelée, trahie... Chercher une sépulture, c'est faire le deuil d'une histoire marquée par la violence et le dénie, c'est se décharger d'un legs socio-politico-affectif. Enterrer le père dans sa terre natale, c'est tenir une promesse. Et avec une promesse tenue, les vivants et les morts s'allègent. Les premiers peuvent prendre leur envol pendant que les seconds reposent en paix...

« Incendies » et « Forêts »
La nuit se poursuit avec Incendies. Décors toujours aussi dépouillés. Des carrés de tissus, plus ou moins grands, délimitent la scène où se déroule l'action. Il y a toujours un seau de peinture - blanche ou rouge - pour appuyer un récit, y remettre de la couleur, sanguinolente soit-elle !
Dans ce 2e volet, ce sont les origines maternelles qui se retrouvent au premier plan des questionnements d'un frère et d'une sœur jumeaux. Mais il y a également un fil qu'on remonte, en quête du père. Quand Nawal, la mère, meurt, elle laisse à ses deux enfants - Simon et Jeanne - un testament avec des directives précises pour ses dernières volontés et son enterrement. Elle envoie ses deux enfants sur la piste d'une énigme à résoudre - retrouver le père et le frère -, là encore dans son pays natal, de l'autre côté de l'océan. Cette femme, dont l'histoire est gorgée de violence, de sang, de viols et de meurtre, n'avait trouvé d'échappatoire que dans un silence lourd et obstiné. « Il y a des vérités qui ne peuvent être révélées qu'à la condition d'être découvertes », affirme-t-elle à ses enfants, dans un dernier testament enregistré.
Comme dans un crescendo dramatique, le vent forcit, au fur et à mesure que la nuit avance.
Quand vers 3h30 du matin débute le 3e opus, les gradins sont encore noirs de monde. C'est la jeune Loup - jeune femme à la tenue gothique - qui va embarquer les spectateurs dans sa quête des origines maternelles, à la recherche de la mémoire de son sang. Confrontée au passé de ses ancêtres, elle ouvre, avec courage et obstination, les portes et les franchit une à une, comme autant d'étapes qui l'éloignent d'un mal-être endémique, paralysant. Amours impossibles ou incestueuses, abandon par la mère, elle-même abandonnée par la sienne, etc., une prédestination au malheur. Un cercle infernal que Loup cherchera à briser. « Maman, ton corps enfin dans la terre, je vois un horizon complet se dégager devant moi. Et c'est effrayant. Effrayant de grandeur et de profondeur », lance Loup dans sa dernière tirade. Puisant enfin dans cette libération une nouvelle énergie pour vivre.
À travers des histoires intimes, particulières, Wajdi Mouawad déroule le fil de l'histoire plus globale d'un XXe siècle ravagé par la violence et la douleur. Avec ses récits, il creuse le sillon de la mémoire. Celle qui se rappelle et celle qui imagine, pour savoir comment rester vivant au milieu du désastre.
Ballotté d'un continent à l'autre, Mouawad, en écrivant des histoires, rentre dans sa maison, comme il l'explique dans la correspondance qu'il tient avec les codirecteurs du festival, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, Voyage, pour le Festival d'Avignon 2009, publié aux éditions POL.
Pour Mouawad, faire du théâtre, c'est « prendre part au monde, au temps, dans l'espace qui est le nôtre puisque justement l'insatisfaction de la vie est puissante et nous touche tous, dans son incohérence et dans sa violence terrifiante ».
« Risquer le risque de la chute pour transmuer tout malheur en joie », préconise-t-il encore. Nous avons, au moins, à y perdre le malheur...
« Littoral », « Incendies », « Forêts », les trois premiers volets du quatuor théâtral que présente Wajdi Mouawad (auteur et metteur en scène) au Festival In d'Avignon, offrent une épopée captivante sur la guerre, l'exil et l'identité, qui mène les spectateurs d'un bout...
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