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Législatives : juin 2009 - Sur le terrain

Après la proclamation des résultats, Achrafieh savoure sa victoire

Dans la journée d'hier, Achrafieh était vide, calme et tranquille. Les habitants de ce secteur de Beyrouth avaient fait la fête jusqu'aux premières lueurs de l'aube, célébrant ainsi la victoire de la liste entière du 14 Mars à Beyrouth I. Hier soir également, pour la seconde soirée consécutive, Achrafieh a fait la fête jusqu'à l'aube à la place Sassine.
Ce n'était pas un lundi ordinaire hier à Achrafieh. Vers 15 heures, ce secteur de Beyrouth était encore assoupi. Ce lundi, à Achrafieh, ressemblait étrangement à un dimanche ou plus simplement à un jour férié. Les habitants qui avaient passé leur nuit à faire la fête jusqu'à l'aube se sont reposés dans la matinée, savourant leur victoire.
C'est que la veille, champagne et alcool avaient coulé à flot à la place Sassine. Les habitants d'Achrafieh ont dansé sur les rythmes de chants partisans, ont brûlé des feux d'artifice et ont acclamé leurs députés Michel Pharaon (grec-catholique) Nayla Tuéni (grecque-orthodoxe), Nadim Gemayel, (maronite), Jean Oghassabian (arménien-orthodoxe) et Serge Ter Sarkissian, (arménien-catholique).
Hier donc, la plupart des magasins étaient fermés, les restaurants étaient quasiment vides et ceux qui s'étaient installés dans les cafés-trottoirs de la place Sassine étaient des étrangers, notamment des touristes et des journalistes. Achrafieh était calme ; de temps à autre, le silence était entrecoupé par des voitures roulant en diffusant des chants partisans ou des discours du président assassiné Béchir Gemayel.
À la place Sassine, ornée des portraits de Nayla Tuéni et de Nadim Gemayel, le marchand ambulant de drapeaux et de foulards partisans a retiré dès dimanche soir les étoffes de couleur orange frappées à l'effigie du CPL. Depuis dimanche soir, il n'y avait plus de place à Sassine que pour les drapeaux du Liban, des Forces libanaises et des Kataëb.
Dans une épicerie, Marcel indique qu'il est heureux pour « le mouvement du 14 Mars et pour les jeunes. Les jeunes députés d'Achrafieh ont l'âge de mes enfants. Je suis originaire de Zghorta, mais j'habite ici. C'est dommage que chez nous, Michel Moawad (qui se présentait à l'un des sièges maronites du caza) n'ait pas été élu ».
Dans un parking non loin de là, des hommes sont assis à l'ombre. Charles met l'accent sur « les excellents résultats à Achrafieh et dans d'autres cazas du Liban ». « Michel Aoun et ses alliés nous ont accusés d'être "une majorité fictive", que nous avions remporté les élections de 2005 grâce à l'alliance quadripartite et tout le baratin. Mais voilà, aujourd'hui, sans cette alliance, le 14 Mars a encore une fois gagné les élections », dit-il.
Ibrahim qui vient du Metn est un peu triste pour les résultats de son caza, mais il qualifie également les élections d'excellentes, les deux hommes affirmant que « si le Tachnag n'avait pas voté en masse pour Michel Aoun, le 14 Mars aurait remporté haut la main les élections ».
« Il fallait voir hier les bus et les taxis du Tachnag à Achrafieh, soupire Charles. Vous vous rendez compte qu'à part dans le Kesrouan, le général Aoun a remporté ses sièges grâce au vote chiite et du Tachnag », dit-il en souriant. Mes amis arméniens, partisans du Tachnag, m'ont téléphoné hier. Je leur ai dit que je ne veux pas les voir cette semaine, le temps de me calmer », dit Charles, ne comprenant pas pourquoi « ce parti arménien est en train de voter contre la volonté de la majorité de la rue chrétienne». Hier, ce discours critique envers le Tachnag était tenu par la plupart des personnes interrogées à Achrafieh.

Zahlé et Achrafieh, fiefs de la résistance
Un homme passe, regarde Charles et ses amis, et fait des signes avec les deux mains. De l'une, il montre ses cinq doigts, et de l'autre, il tient le pouce et l'index pour former un cercle : « 5-0 » ; le geste est relatif au nombre des sièges remportés par le 14 Mars à Achrafieh.
Une jeune femme blonde passe, fait le même signe en direction du groupe. Lili est écrivaine. Elle est originaire de Jbeil mais elle a grandi à Achrafieh. « Zahlé et Achrafieh ont montré leur appartenance à la résistance chrétienne. Ce sont des villes qui ont tenu tête aux Syriens. Nous ne pouvons pas trahir nos martyrs. Nous sommes fidèles à tout le sang versé », dit-elle dans un français parfait.
Paul est dentiste à Bruxelles, il est venu au Liban spécialement pour prendre part aux élections. « J'ai payé mon billet d'avion, alors que les Arméniens du Tachnag ont reçu des billets gratuits pour venir voter contre nous. Certains étaient à bord du même vol que moi », raconte-t-il.
« Je suis content des résultats, mais j'aurais voulu que le 14 Mars remporte plus de sièges au Parlement. Notre but est de réduire le bloc de Michel Aoun qui a vraiment cru que le 14 Mars était une majorité fictive. Il fallait le remettre à sa place, et maintenant, c'est fait », dit-il.
Paul, à l'instar de tous les électeurs orthodoxes d'Achrafieh qui ont voté pour le 14 Mars, parle du candidat de Michel Aoun au siège de la communauté dans le secteur, Issam Abou Jamra, et répète ironiquement des propos de Michel Aoun dans ce cadre : « Abou Jamra est le nerf grec-orthodoxe d'Achrafieh. » Il évoque aussi toutes les insultes que le général Aoun avait proférées contre Gebran Tuéni et sa fille Nayla.
Dans une vieille épicerie, des hommes font la conversation. « Grâce à Dieu, nous avons gagné, Achrafieh a gagné », indique Khalil, dédiant cette victoire au député Michel Pharaon. « Nous avons prouvé qu'Achrafieh est fidèle et qu'elle vote pour ses enfants, et non pour des étrangers parachutés sur une liste, comme c'est le cas du candidat grec-orthodoxe de la liste de Aoun, qui ne peut même pas être élu moukhtar chez nous, dit-il. Nous avons aussi prouvé que lorsque les vrais habitants d'Achrafieh votent, personne ne peut les casser », ajoute-t-il.
Dans son vote, Dany, architecte d'intérieur, a voulu diminuer le poids de Michel Aoun dans tout le Liban. « J'aurais voulu pourtant qu'il perde aussi au Metn et dans le Kesrouan », dit-il, qualifiant cependant les résultats des élections « d'excellents ». « Aoun, qui a remporté ses sièges grâce au vote chiite et arménien, sait désormais que nous ne sommes pas une "majorité fictive"», martèle-t-il.

Les discours de Aoun
Dany raconte : « À un moment, avant les élections, j'ai pensé voter pour Massoud Achkar, et puis le général Aoun est venu à Achrafieh. Dans son discours, il a qualifié les Forces libanaises de mercenaires, il a dit qu'il n'a pas vu les séquelles de la destruction syrienne à Achrafieh et il a osé défendre le PSNS, les assassins de Bachir Gemayel, chez nous, à quelques centaines de mètres de l'endroit où il avait été assassiné. J'ai donc très vite changé d'avis. Je ne voterai jamais pour quelqu'un qui figure sur la liste de Michel Aoun, même si, à un moment, il avait défendu Achrafieh. »
Ces phrases, rappelant divers discours de Michel Aoun, sont répétées par la plupart des personnes interrogées hier. Parmi elles, Élie, qui ajoute : « Il faut aussi que le général Aoun sache qu'Achrafieh ne votera jamais pour celui qui l'a obligée à boire de l'eau de pluie en 1990 (lors de sa guerre contre les Forces libanaises). »
« Vous vous rendez compte, après les élections, Michel Aoun voulait libérer Achrafieh, je n'ai jamais compris de quoi. Maintenant, heureusement, il a perdu », dit-il.
« Nous avons voté contre les armes du Hezbollah et nous avons gagné », ajoute-t-il, soulignant : « Je suis le fils d'Achrafieh et je suis aussi content pour Zahlé. C'est une preuve que les chrétiens sont fidèles à leur résistance ».

Syriaques et assyriens
La fidélité à cette résistance est visible notamment dans deux quartiers populaires d'Achrafieh : Hay el-Siriane (le quartier des Syriaques) et Hay el-Achouriyé (le quartier des Assyriens), situés à proximité de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu. Ici sur chaque immeuble, à chaque balcon, on voit des portraits de Bachir Gemayel et de son fils Nadim, de Nayla Gebran Tuéni ainsi que des drapeaux des FL, des Kataëb et du Liban.
Ici, les habitants se parlent toujours entre eux en araméen ou en assyrien. Et ici, on s'est battu sur les barricades depuis 1976. Syriaques et assyriens font partie des plus anciennes communautés chrétiennes d'Orient. Elles sont arrivées au Liban, à l'instar des chaldéens et des Arméniens, à partir des années vingt, fuyant les persécutions. Elles sont notamment originaires de Turquie et d'Irak.
À Hay el-Siriane, des enfants jouent au ballon en clamant « Allah, Ouwète, Hakim w'bass. » Un peu plus loin, des hommes sont assis à la terrasse d'un vieux club. « Nous sommes 3 000 syriaques sur les listes électorales d'Achrafieh. Nous ne sommes pas tous présents au Liban, mais nous avons voté comme un seul homme pour la liste du 14 Mars. Nous sommes prêts à verser notre sang pour Nayla Tuéni », indique Georges, qui dénonce les campagnes de Michel Aoun contre « une jeune fille qui a perdu son père », mettant l'accent sur le bon déroulement du scrutin.
« Nous avons voté pour l'État, pour le désarmement des milices, pour le 14 Mars, souligne Ibrahim. Voulez-vous que j'aie un autre choix, voulez-vous par exemple que je vote pour Michel Aoun qui amènera les Iraniens chez nous ? » demande ce sexagénaire.
« Les scrutateurs du général Aoun étaient fous furieux quand ils ont su que nous étions en train de voter en masse pour la liste du 14 Mars. Aoun s'en est alors pris à notre évêque Georges Saliba », explique-t-il.
Jean roule dans le quartier assyrien dans une 4x4 où des sigles, des drapeaux et des posters des FL ont été collés. « Les assyriens ont donné plus de 500 votes à la liste du 14 Mars. Nous avons voulu mettre les points sur les "i". Maintenant que nous avons remporté les élections, nous pourrons parler du désarmement du Hezbollah », indique-t-il.
« Si le général Aoun avait gagné, nos femmes auraient été obligées de porter le tchador. Je pense qu'il a compris qu'il n'y a pas de la place pour des gens comme lui à Achrafieh », ajoute-t-il.
« J'étais jeune, je me suis battu sur les barricades. Mes camarades sont morts dans ce quartier », dit-il. Du doigt, Jean montre un coin de rue et conclut : « Là, en 1978, lors de la guerre des cent jours, ma petite sœur est morte par l'éclat d'un obus. Elle avait 7 ans. Elle s'appelait Sophie. Il m'est impossible de voter pour un allié de la Syrie et de l'Iran. »
Si Achrafieh voulait se souvenir, chacune de ses rues pourrait témoigner de la mort de l'un de ses enfants par une balle, un éclat d'obus ou une voiture piégée portant la signature syrienne. Dimanche dernier, Achrafieh a bien montré qu'elle n'a jamais oublié le sang qui a été versé pour payer le prix de sa liberté.
Ce n'était pas un lundi ordinaire hier à Achrafieh. Vers 15 heures, ce secteur de Beyrouth était encore assoupi. Ce lundi, à Achrafieh, ressemblait étrangement à un dimanche ou plus simplement à un jour férié. Les habitants qui avaient passé leur nuit à faire la fête jusqu'à l'aube se sont reposés...