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Wassim HENOUD
Trois semaines à peine nous séparent des élections législatives, et le débat politique reste d'une consternante et désolante stérilité. Pour un scrutin que tout le monde s'accorde à qualifier de crucial, voilà une bien piètre performance !
Les sautes d'humeur, les coups de gueule calculés, les rodomontades, les bassesses et les petites calomnies des uns et des autres n'amusent plus que ceux qui sont en mal d'un mauvais feuilleton bradé par des Turcs et mal doublé par des Syriens. À croire que le pays ne manque de rien ou qu'il n'a pas versé assez de sang pour sauvegarder un semblant de liberté.
Aux attentes légitimes des citoyens, on oppose les faux problèmes des candidats. La juste colère des électeurs est étouffée par la carotte des dollars ou brimée par le bâton de la menace physique, leur exaspération ensevelie sous une couche d'asphalte, et leur conscience bâillonnée par la démesure de l'ego de ceux qui aspirent à les représenter. Les colonnes des journaux, et les programmes radio et télé sont mis aux enchères et vendus au plus offrant. Le tintamarre, la corruption, la démagogie sont rois, et la raison, esclave.
Comment un pays qui se targue d'être le réservoir du « Business Talent » du Levant  (une affirmation à prendre de plus en plus avec des pincettes) peut-il vraiment confier, en ces temps délicats et difficiles, la gestion de ses affaires à une assemblée de gens dont il n'a pas sondé les plans et les idées dans les plus petits détails? On fait pourtant plus attention avant de débourser ses sous pour déboucher ses toilettes, peindre une chambre ou réparer une voiture. La prudence élémentaire n'est-elle pas de s'assurer que les intentions des candidats concordent avec les attentes des électeurs, et que les premiers convainquent les seconds de leur crédibilité ainsi que de leur capacité à mettre en œuvre les plans annoncés? Demanderait-on moins d'un candidat au Parlement que du plombier ou du peintre en bâtiment ?
Mais les candidats savent qu'en matière de mémoire collective, on ne dépasse pas le petit poisson rouge qui oublie toutes les deux secondes que son bocal a des parois. En effet, qu'avons-nous fait pour sanctionner ceux de nos représentants qui ont désavoué jadis, sans aucun état d'âme, des ministres à la probité aussi exemplaire qu'un Émile Bitar qui voulait rendre plus accessibles les soins de santé, ou un Georges Frem qui s'était opposé à la dilapidation des deniers publics destinés à remédier à la situation dégradée du réseau électrique ? Comment peut-on encore se regarder dans un miroir quand on porte aux nues ceux qu'on sait qu'ils ont sciemment bafoué l'honneur des gens, mis le pays en péril, ployé devant la menace, puisé dans les caisses de l'État, et taillé les lois et les contrats publics à la mesure de leurs intérêts et de ceux de leurs proches?
Quand on est entassés à plusieurs milliers d'habitants par kilomètre carré sur une des côtes les plus pourries et les plus polluées de la Méditerranée, et qu'on se supporte ainsi à peine, comment peut-on exiger de nous qu'on s'inquiète de la forme de l'incarnation de la désunion nationale dans le prochain Conseil des ministres ? Comment cette stérile argumentation peut-elle diminuer le stress dû aux embouteillages chroniques et aux vexations quotidiennes subis par le commun des mortels, ceux qui ne peuvent sérieusement pas compter sur la protection des forces de l'ordre ou des autorités publiques? Comment ce débat vide peut-il aider à mettre en place une surveillance efficace de la circulation automobile pour rétablir la paix sur les routes et faire baisser le nombre d'accidents, première cause de mortalité parmi les jeunes ? Ou fermer les maisons de passe ouvertes dans les immeubles d'habitation et jusqu'aux abords immédiats des écoles ? Et la liste est longue.
Au lieu de discuter des lois et des changements pour accompagner les besoins croissants d'une population paupérisée, aigrie et déboussolée, on en est toujours à batailler autour du diktat de Taëf imposé en son temps à quelques députés issus d'une Assemblée décimée par la vieillesse et à la représentativité rudement malmenée, pour ne dire que ça, par dix-sept ans de guerre. Un texte soi-disant salvateur qui n'est pas sans rappeler l'infâme « accord du Caire », ne fût-ce que par le secret coupable qui continue d'en entourer les tractations vingt ans après, ainsi que par la sempiternelle menace de tout faire sauter si on osait en discuter les termes. Et puis, sincèrement, qu'on veuille  créer un Sénat en arguant probablement du fait qu'en médecine traditionnelle, on confiait aux sangsues le soin de soulager le corps du malade des congestions dont il souffre, la belle affaire ! ... Pour se faire une meilleure preuve de leur impuissance, pourquoi ne pas rétablir le rapport de 6 députés chrétiens pour 5 musulmans à l'Assemblée ? Ça amuserait plus la galerie et égaierait davantage les murs de nos cités de béton. Franchement, il faut arrêter de prendre les honnêtes gens pour des imbéciles. En fait, depuis ce truc de Taëf, nous en sommes arrivés, probablement par mimétisme des voisins, à détester la décision et les choix qui sont l'essence des élections, législatives ou autres, et à leur préférer les compromis avec, in fine, des élections à candidat unique ; c'est fou ce qu'on a pu changer en vingt ans !
Un courant politique majeur a dévoilé récemment un ambitieux plan détaillé d'une soixantaine de pages pour la modernisation du Liban. Un plan qui établit un diagnostic et propose des solutions. Au-delà du fait qu'on puisse être d'accord ou pas avec un tel plan, combien de candidats ou d'électeurs l'ont-ils vraiment lu? Et depuis qu'il a été publié, a-t-il été vraiment rendu accessible à tous et combien en a-t-on discuté, au lieu de se faire des procès d'intentions ou d'allumer des feux et des contre-feux pour éviter le débat ? Que sait-on au juste des programmes des parties adverses ? Une vacuité intellectuelle qui touche au crime !
Bernard Tapie, avec le franc-parler qu'on lui connaît, avait dit d'un ton méprisant en avril 1986 : « La limite des démocraties est que la politique est contrainte d'agir toujours dans le sens de la majorité alors que la majorité des gens sont des imbéciles. » George Bernard Shaw, grand écrivain irlandais au verbe acerbe, écrivait, quant à lui, qu'à la nomination d'une petite minorité corrompue, la démocratie substitue l'élection par une masse incompétente. Au vu de cette hallucination collective qu'est l'espoir soulevé par nos prochaines élections, il est difficile de départager Tapie et Shaw. Ce qu'ils ont écrit est certainement dur et cynique, mais au fond de nous-mêmes, on n'en pense probablement pas moins.

Wassim HENOUD
Trois semaines à peine nous séparent des élections législatives, et le débat politique reste d'une consternante et désolante stérilité. Pour un scrutin que tout le monde s'accorde à qualifier de crucial, voilà une bien piètre performance ! Les sautes d'humeur, les coups de gueule calculés, les...

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