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Législatives : juin 2009 - Pour aller plus loin - Analyse

Écran de fumée

Une fois de plus, l'attrait ou au contraire la répulsion que suscitent des individus, indépendamment des options politiques qu'ils prônent, semble devoir jouer un rôle non négligeable dans le vote d'une partie de l'électorat, le 7 juin prochain.

La personnalisation à outrance des élections législatives est une constante de l'histoire politique et électorale au Liban, favorisée par un mode de scrutin obsolète et hybride.
Mais les pouvoirs publics n'encouragent-ils pas eux-mêmes cette personnalisation ? Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'œil sur la liste des noms de l'ensemble des candidats toujours en lice après l'expiration du délai de retrait des candidatures et qui a été rendue publique par le ministère de l'Intérieur.
Ventilée par circonscription et par communauté, la liste comporte uniquement les noms des candidats et ne mentionne ni leur affiliation politique ni bien entendu l'état de leurs alliances.
Certes, la personnalisation n'est pas sans quelques avantages. Des démocraties occidentales se sont efforcées ces dernières années d'en restaurer une certaine dose dans leurs systèmes gagnés progressivement par l'anonymat. En effet, la proximité de l'élu par rapport à l'électeur est non seulement un atout majeur, c'est une nécessité démocratique que les circonscriptions étendues et le mode proportionnel sont de nature à ignorer.
Mais comme il est essentiel de préserver dans une certaine mesure un volet personnel dans tout scrutin, il est plus impératif encore de dénoncer une tendance à la personnalisation excessive réduisant les élections législatives à une compétition entre individus.
Or ce n'est pas à l'élection des membres d'un comité de club sportif que les Libanais sont conviés le 7 juin, mais à décider par leur vote des orientations majeures du gouvernement pour les quatre années à venir. Et peut-être davantage encore, puisque des enjeux institutionnels sont entrés de plain-pied dans la campagne.

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Voici à peine quelques semaines, le débat au sein de la classe politique consistait à savoir si la consultation du 7 juin devait être considérée comme « cruciale », ainsi que le soutenait (et le soutient toujours) le camp du 14 Mars, ou bien « ordinaire », une conception défendue par une bonne partie de l'opposition. On se souvient que le président de la Chambre avait même osé un « moins qu'ordinaire ».
En termes clairs, il s'agissait, pour les premiers, de porter les électeurs à ne pas être trop regardants au sujet des personnes des candidats (ils ont bien raison de le faire dans certains cas) et à s'en tenir à leur message politique, et, pour les seconds, de dissimuler le clivage politique, peut-être même de le démythifier, afin de mettre au premier plan la bataille entre individus. En sous-entendant bien sûr que les bons sont d'un côté et les méchants de l'autre.
Mais voici qu'en chemin, le CPL hausse brusquement les enchères et affiche ostensiblement des ambitions qui peuvent difficilement être qualifiées d'« ordinaires » : les panneaux orange annonçant la Troisième République font leur apparition massive sur les routes. Ils sont subrepticement relayés par l'étoile montante du Hezbollah, Nawwaf Moussaoui, affirmant que l'opposition veut remporter les élections « pour changer le système et sa mentalité confessionnelle ».
Cependant, l'ostentation des uns et le minimalisme de l'autre ne doivent pas tromper. S'il y a un courant politique aspirant véritablement à un changement fondamental au Liban, un changement qui toucherait tous les domaines de la vie publique et privée dans ce pays, de la politique à l'éducation en passant par l'économie, les finances et le système bancaire, c'est bien le Hezbollah et lui seul.
Un coup d'œil rapide au profil sociologique des candidats des uns et des autres suffirait à expliquer ce constat. Tant dans les rangs du 14 Mars que du CPL et apparentés (et même chez Nabih Berry), on retrouve des entrepreneurs, des banquiers, des hommes d'affaires enrichis, des membres des professions libérales, des notables traditionnels et des professionnels de la politique. Bref, des hommes du système, au sens large du terme. Et, en règle générale, on ne peut pas raisonnablement s'attendre à ce que des hommes du système changent le système. En est-il de même pour les candidats du Hezbollah ? Non, bien sûr. L'idéologue dogmatique qu'est M. Moussaoui, pour ne citer que lui, ne le contredira pas.
La Troisième République de Michel Aoun n'est-elle donc qu'un écran de fumée ? Dans une large mesure, oui. Car, en réalité, il s'agit d'une proposition qui relève d'un langage codé destiné par le général à la consommation de sa base populaire : l'illusion du changement, par le truchement du simple changement des personnes, vaut changement.
Tant que ses contours resteront mal définis, cette Troisième République ne sera considérée qu'un feu d'artifice de plus chez un homme incapable de comprendre et de faire la politique autrement que comme une suite de feux d'artifice.
Le chef de l'État, Michel Sleiman, évoque lui aussi le nécessaire rétablissement de certaines prérogatives présidentielles. Mais à la différence du général Aoun, il a clairement défini, lui, les amendements qu'il souhaite voir adopter et, surtout, ne les a pas enrobés d'une énigmatique « Troisième République ».
Mais le plus grave est ailleurs. Au vu des pratiques de l'opposition depuis trois ans, que poursuivent d'ailleurs les « ministres opposants » (un affreux libanisme que veut définitivement institutionnaliser le Hezbollah) aujourd'hui, les feux d'artifice et les prétentions réformatrices du CPL n'ont servi et ne serviront qu'à une chose : installer la paralysie au sommet de l'État pour permettre au parti de Dieu de parachever sa mission, consistant à prendre le contrôle du pays par le bas.
Comment, en effet, comprendre autrement l'insistance en faveur du tiers de blocage, dont on constate tous les jours les bienfaits sur l'action gouvernementale, voire même en faveur de l'unanimisme, dont se sont récemment fait l'écho d'honorables députés du Bloc du changement et de la réforme ?
Sans majorité qui gouverne et minorité qui s'oppose, et, surtout, sans alternance au pouvoir, il n'y aura pas de démocratie. Voilà pourquoi la plus grande victoire que peut remporter la révolution du Cèdre le 7 juin prochain, ce n'est pas pour le 14 Mars de battre l'opposition. C'est de contraindre celle-ci à gouverner seule si elle gagne les élections.
Tel est l'unique moyen de faire tomber les illusions.
La personnalisation à outrance des élections législatives est une constante de l'histoire politique et électorale au Liban, favorisée par un mode de scrutin obsolète et hybride.Mais les pouvoirs publics n'encouragent-ils pas eux-mêmes cette personnalisation ? Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d'œil sur la liste des noms de...