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Nos Lecteurs ont la Parole

Beyrouth, ou la guerre des tranchées

Par Rabih NASSAR
Ce klaxon exprime sûrement une insulte. Long, élaboré. La durée d'un klaxon est une indication directe de la génération insultée. Quelques calculs rapides et j'estime que ce matin, c'est l'australopithèque Lucy qui s'y colle.
À la radio, mon horoscope promet une évolution inconditionnelle de ma vie amoureuse, pendant que je stagne dans ma voiture conditionnée. Les klaxons s'accordent, et je discerne vaguement une histoire embrouillée où il serait question de ménageries, de procréations douteuses et de religions damnées.
Pas de doute, c'est un carrefour banal dans un Beyrouth malade, un matin ordinaire d'une semaine quelconque.
Il y a effectivement problème.
Au bout de quelques minutes, j'arrive tant bien que mal, et par des procédés peu louables, en première ligne. Dans le feu de l'action. Là où kamikazes, tireurs d'élite et tortionnaires se livrent une bataille sans merci. Des doigts tendus très haut dans des crissements de pneus coupent court à la possibilité peu probable de match nul : celui qui sort de cette tranchée aura le dernier mot.
Passée ma stupeur, je dois me rendre à l'évidence. Ce n'est probablement pas cet uniforme qui me fera bouger. Désabusé, un portable remplace sa matraque, une cigarette remplace son sifflet. Son regard est profondément ancré dans un horizon de bitume ; il vit vraiment son rêve.
Finalement, l'adrénaline me sort de ma torpeur. Je décide que je n'ai rien à perdre et opte pour l'option suicidaire. Clin d'œil à droite, clin d'œil à gauche, saut à l'élastique. Version automobile. Tout se passe vite, et je vois sans doute ma vie défiler devant moi. Ma voix intérieure se met à cafouiller et je me prends pour Rodrigue dans Le Cid : je suis jeune, il est vrai, mais les ânes bien niais attendent l'uniforme pendant quelques années. Quelques secondes d'absence et je reviens à moi. La tranchée n'est plus là. J'ai réussi. Je m'en suis sorti !
Comme bien d'autres, cette bataille m'aura un peu plus éloigné de ma civilité, et dans cette euphorie que seuls les vainqueurs de Verdun auraient pu éprouver, je m'attaque sans scrupules à ma prochaine tranchée.
Pas de doute, c'est un carrefour banal dans un Beyrouth malade, un matin ordinaire d'une semaine quelconque.
Ce klaxon exprime sûrement une insulte. Long, élaboré. La durée d'un klaxon est une indication directe de la génération insultée. Quelques calculs rapides et j'estime que ce matin, c'est l'australopithèque Lucy qui s'y colle.À la radio, mon horoscope promet une évolution inconditionnelle de ma vie amoureuse, pendant...

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