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Liban - En toute liberté

Le sacré et le profane

Ce n'est pas la première fois qu'une prise de position doctrinale de l'Église provoque un tollé. L'« erreur » de Béchara Rahi, c'est peut-être d'avoir voulu se conduire en éducateur à un moment délicat de l'histoire du pays, dans un environnement gagné par la grande vague séculariste qui marginalise la foi et l'enseignement de l'Église. Comprendre le message du président de la commission des communications sociales de l'Assemblée des patriarches et évêques catholiques au Liban comme une menace d'excommunication de toute personne ne partageant pas l'avis politique du patriarche maronite relève de l'ignorance ou de la mauvaise foi la plus totale.
Dans sa déclaration, Mgr Rahi cherchait tout simplement à clarifier certains points théologiques, disciplinaires et éthiques. Éthique de l'action politique et autorité morale de l'Église dont le devoir de discernement s'exerce dans tous les domaines de l'activité humaine ; éthique de la communication sociale, soumise comme toutes les autres activités au jugement moral de l'Église, ainsi d'ailleurs qu'aux lois de la république ; critères d'appartenance à une Église, communion de foi, communion sacramentelle et soumission aux règlement de l'Église.
Du discours de Mgr Rahi, les médias n'ont voulu retenir que ce troisième aspect des choses, qui est de nature disciplinaire. Certes, l'évêque aurait dû prévoir que des médias, à la recherche du sensationnel, allaient déformer ses propos, pour lui faire dire ce qu'il n'a pas dit. Mais enfin, il l'a dit avec la plus grande netteté, comme il jugeait de son devoir de le faire.
Qui n'a pas écouté Mgr Béchara Rahi expliquer les Écritures, sur Télé-Lumière, ignore l'extraordinaire don d'enseignement de cet homme et sa clarté. C'est ce don que nous avons vu à l'œuvre dans le document de l'autre jour et l'on sait que, dans l'Église, comme on l'a dit, « la clarté de l'enseignement est la clé de tout ».
« Dieu reste une énigme s'il n'est pas reconnu dans le visage du Christ », a pu dire à juste titre Benoît XVI, un homme que l'on dit peu doué par la pastorale, mais dont la clarté d'enseignement emporte petit à petit l'adhésion de larges pans de l'Église, en particulier des jeunes.
À côté des règles qui, selon l'Église, doivent régir l'action politique, l'évêque a voulu rappeler les règles de droit canon qui régissent les rapports entre le patriarche et les fidèles, et il l'a fait le plus nettement du monde, en soulignant qu'une offense grave et publique faite par un fidèle au patriarche l'expose hypothétiquement à la sanction de l'excommunication.
Il est clair que cette sanction ne frappe pas l'opinion politique du fidèle, mais sa conduite, et en particulier ses paroles quand elles constituent « une offense grave » au patriarche ou à un évêque, c'est-à-dire un homme en position d'autorité par rapport à la personne qui parle. C'est peut-être ce que ne comprennent pas, ou feignent de ne pas comprendre ceux qui ont interprété la déclaration de Mgr Béchara Rahi comme une condamnation de toute opinion ou conduite politique qui ne serait pas conforme à celle du patriarche.
Certains, à propos de l'initiative prise par Béchara Rahi, ont parlé de « faux pas ». Un faux pas politique, s'entend, et non doctrinal. De fait, la question reste de savoir pourquoi Mg Rahi a jugé utile de soulever ce point de droit canon, sachant qu'il pourrait augmenter la tension au sein de l'électorat chrétien, plutôt que de le rasséréner, comme le souhaite le Vatican.
C'est peut-être parce que, en tant que nation, et sans qu'il s'agisse d'une politique concertée, l'histoire nous oriente insensiblement vers la notion de responsabilité, vers la « fin de l'impunité », y compris dans le champ médiatique où l'impunité est pratiquement totale.
Ce processus a commencé quand, après que le canon se fut tu, nous avons voulu sauver la mémoire de la guerre de l'oubli ou du déni. Puis la soif de « savoir », de nous demander des comptes les uns aux autres, envahit tout le champ politique. Le modèle en est aujourd'hui le Tribunal spécial. Nous voulons savoir qui a tué Rafic Hariri et tous les autres martyrs de la nouvelle indépendance. D'autres veulent savoir comment la dette publique a atteint ces chiffres astronomiques. D'autres encore si la Syrie a vraiment renoncé à annexer le Liban. Le Hezbollah cherche à savoir où sont enfouis les restes de quatre diplomates iraniens disparus durant la guerre. Nous voulons savoir ce qu'est devenu Joseph Sader et qui l'a enlevé. Tout désormais y passe : Fouad Siniora demande des comptes à Nabih Berry et Nabih Berry à Fouad Siniora. Gebran Bassil aux FSI et les FSI à Gebran Bassil. Et que faisaient les frères Abdel Aal derrière les barreaux, et pourquoi sont-ils libres aujourd'hui ? Et avec quel argent les villas de nos leaders politiques ont-elles été construites, etc.
De la même façon, il peut nous venir des envies de demander des comptes aux gens de certains mots qu'ils prononcent à tort et à travers, sans penser que les mots peuvent offenser gravement, lyncher moralement et psychologiquement ou, ce qui est pire, relancer le cycle de la violence.
On ne fait là que deviner. Nous sommes dans une période électorale, sans un État véritablement dissuasif qui pourrait nous protéger des coups bas. Mgr Rahi aurait-il dû se limiter au domaine éthique ? Sans doute aurait-il été mieux compris dans un environnement politique et social où le relativisme éthique a effacé les frontières entre le sacré et le profane.
Ce n'est pas la première fois qu'une prise de position doctrinale de l'Église provoque un tollé. L'« erreur » de Béchara Rahi, c'est peut-être d'avoir voulu se conduire en éducateur à un moment délicat de l'histoire du pays, dans un environnement gagné par la grande vague séculariste qui marginalise la foi...
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