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Liban - Rencontre-débat

Le dernier ouvrage de Sélim Abou, « un véritable tour du monde de l’angoisse identitaire »

L'USJ a organisé, sous la houlette de Issa Goraieb, une rencontre-débat sur le plus récent ouvrage du Pr Sélim Abou s.j., « De l'identité et du sens », un ouvrage d'anthropologie politique dont l'importance a été mise en évidence par Joseph Maïla, Mounir Chamoun et Katia Haddad.
Nous avons la chance de compter parmi les nôtres celui que certains considèrent comme l'un des plus grands anthropologues vivants : Sélim Abou, ancien recteur de l'Université Saint-Joseph, qui a été au centre d'une rencontre-débat qui s'est tenue mercredi soir, sur le campus des sciences humaines de l'USJ, autour de son plus récent ouvrage : De l'identité et du sens (*), présenté successivement, sous divers angles, par Joseph Maïla, un politologue hors pair, le Pr Mounir Chamoun, dont la réputation de psychanalyste n'est plus à faire, et Katia Haddad, l'une des plus perspicaces expertes de la littérature francophone du Machrek. C'est Issa Goraieb, le pugnace éditorialiste de L'Orient-Le Jour, qui a modéré cette rencontre.
Présentant un homme « qui n'a plus besoin de l'être », Issa Goraieb a rendu hommage à celui qui est surtout connu du grand public pour ses retentissants messages annuels comme recteur de l'USJ. Ce faisant, il l'a décrit comme un véritable « éducateur à la liberté ».
« Le principal titre de gloire de Sélim Abou, a-t-il dit, est d'avoir profondément marqué de son empreinte des générations entières de Libanais, et cela en donnant, à partir du sommet de la pyramide, sa pleine expression à la fonction critique de l'université. En ces temps funestes où le gros de la classe politique se confinait prudemment dans le silence des agneaux, Sélim Abou a fait de la résistance culturelle le moteur, sinon la garantie, de l'indépendance politique, du refus opiniâtre de toute occupation ou tutelle étrangère, mais aussi de la sauvegarde des principes démocratiques et des libertés publiques », dira Issa Goraieb. Il décrira également l'ouvrage de Sélim Abou comme « un véritable tour du monde de l'angoisse identitaire (...) où s'entrelacent constamment recherche scientifique et réflexions philosophiques ».
Que l'identité d'un homme soit forgée par les circonstances politiques qui l'environnent n'est que trop évident. Mais personne ne sait le dire avec l'élégance de Joseph Maïla, qui a réfléchi, en gros, sur la mondialisation de la revendication identitaire et des processus qui la marquent.
Partant de la mondialisation, comme « mise en commun des cultures », Maïla montre que toutes les expériences de brassage identitaires ne sont pas nécessairement couronnées de succès. Des dysfonctionnements existent qui conduisent à une juxtaposition des cultures, plutôt qu'à l'apparition de synthèses identitaires.
Dans un second temps, Maïla parlera de l'aménagement des processus identitaires, de la relation entre les États et la reconstruction identitaire, soulignant que les processus dans ce domaine ne sont pas irréversibles - ainsi, la réaction de rejet du processus de construction de l'Europe par la France et l'Irlande. Il parlera aussi du dépassement de l'État-nation et de ses échecs, avec l'apparition notamment « du narcissisme de la petite différence ».
Enfin, le politologue évoquera les problèmes d'éthique de la mondialisation, citant en exemple le développement du concept de « droit d'ingérence » et de sa récente évolution vers « la responsabilité de protéger ».

Sous l'angle de la psychanalyse
Le Pr Mounir Chamoun, pour sa part, aborde son sujet sous l'angle de la psychanalyse, en s'attachant en particulier « à mettre en évidence la construction de l'identité humaine ».
Parlant de la construction endogène de l'identité, le Pr Chamoun s'aventure dans les dédales des rapports complexes, proches des considérations philosophiques, entre « le moi, le je et le soi ». « La construction de l'identité ne peut pourtant se limiter aux seuls facteurs endogènes, dit-il, l'être humain étant forcément inscrit dans un environnement qui le détermine. Freud n'a-t-il pas également affirmé que toute psychologie est sociale ? »
Et d'ajouter que « dans l'évocation des facteurs externes constitutifs de l'identité, ne faut-il pas signaler tout aussi bien l'implication dans l'histoire d'un pays ou d'une nation, et mettre en évidence les jalons chronologiques et culturels qui en dérivent ? »
« Si l'histoire situe le sujet par rapport à un avant et un après, elle lui trace en même temps le cadre culturel et les valeurs dont il devient, malgré lui, porteur et transmetteur. Cette donnée est toujours vérifiée quand on étudie des populations émigrées, et Sélim Abou l'a remarquablement mis en évidence dans plusieurs de ses ouvrages. »
« Nous savons enfin, remarque Chamoun, que histoire et culture s'édifient dans un espace déterminé, dans l'immédiateté du territoire et la proximité de la terre. Vous vous souvenez sans doute du fameux dialogue entre les deux paysans dans Histoire de Vasco de Georges Schéhadé. « Dis, pour toi, qu'est-ce qu'un cimetière ? Oh, c'est un lieu où on garde les morts. - Non, pour moi, c'est un jardin et des histoires, des histoires... » Partant, Mounir Chamoun, citant un auteur contemporain, Wajdi Mouawad, relève que « c'est le ressenti qui constitue l'identité et non le territoire ».

Lamartine vérifie Abou
Titulaire de la chaire Léopold Senghor de francophonie à l'USJ, Katia Haddad, pour sa part, vérifiera le modèle identitaire de Sélim Abou à l'épreuve de la littérature. Elle commence par citer un curieux passage du Voyage en Orient de Lamartine, arrivant par bateau aux abords des côtes libanaises et incapable de voir d'abord la « crête blanche et dorée » du mont Sannine, que pourtant le capitaine du bateau lui montre du doigt.
Quand, enfin, à la suite d'un effort d'accommodation, il finit par l'apercevoir, poursuit-elle, il a cette phrase étonnante : « C'était la terre où j'allais de si loin chercher les souvenirs de l'humanité primitive. » Haddad ne cache pas sa surprise à la formulation inusitée de Lamartine qui, au lieu de l'attendu « je venais de si loin », affirme : « J'allais de si loin. »
« Portant dans sa mémoire un paysage particulier de montagne continentale, explique-t-elle, Lamartine est incapable, dans un premier temps, de voir ce paysage fondamentalement différent d'une montagne quasi maritime ».
« L'explication de cette bizarrerie de langue, enchaîne-t-elle, il faut la chercher dans le modèle que nous propose Sélim Abou, celui de cette "acculturation" dont il parle si bien, ce lent processus inconscient qui permet, quand il est mené jusqu'à son terme, de dégager une culture inédite, une culture de synthèse qui n'est plus tout à fait la culture d'origine et qui n'est pas non plus la culture autre, mais un mélange des deux, mélange tributaire de l'histoire personnelle de chacun. »
« Car, enchaîne Katia Haddad, l'approche anthropologique de Abou a l'immense mérite de redonner à l'individu, plus exactement au sujet, toute la place qu'il mérite dans la réflexion sur les identités culturelles, sans pour autant en nier la dimension collective, c'est-à-dire son approche sociologique. »
L'espace manque pour parler de l'application que Katia Haddad fait du modèle du Pr Abou sur les rapports entre les langues, quand elles entrent en contact les unes avec les autres. Parlant du « code switching », ce sabir à l'image de ce que l'on a appelé le « franbanais », elle constate que « les linguistes se sont aperçus que les morceaux de la phrase émis dans deux langues différentes sont en réalité des syntagmes dont le sens est complet, respectant donc alternativement la structure de chacune des deux langues ». « Comment ne pas y voir, conclut-elle, ce que Sélim Abou appelle le "contact alternatif (pour l'émigré) avec le milieu d'origine et le milieu d'accueil", constituant l'étape de l'adaptation dans le processus d'acculturation ? »
De l'identité et du sens est, comme l'a judicieusement remarqué Joseph Maïla, « un ouvrage de maturité » écrit par le P. Sélim Abou comme une synthèse de son œuvre d'anthropologue. Dédicaçant son ouvrage au Pr Chamoun, le père Abou confie que son ouvrage a été écrit - aussi - pour dire « la difficulté d'être libanais ». On n'a aucun mal à le croire, et cet éclairage n'est pas de trop pour continuer un combat où le souci de la liberté de l'homme et des sociétés occupe une valeur fondamentale.
« La quête d'identité est indissociablement liée à la finitude de l'homme, et au sens qu'il donne à sa vie et à sa mort », écrit Abou, car elle touche à toutes les dimensions de son être. Le débat de mercredi n'a pas donné suffisamment de place à la question du « sens » et au rôle de ce que Sélim Abou, dans un souci d'universalité, appelle la transcendance dans la construction identitaire. C'est elle pourtant qui nous permet d'être à la fois « dans le monde » mais non pas « du monde », fondant ainsi notre liberté à l'égard de tous les déterminismes, hormis celui de la solidarité humaine et de l'amour. C'est sur ce point que la transcendance rejoint - où fonde - la culture définie comme aménagement d'un espace pour la liberté et comme humanisation du monde. Discret comme « cette lumière qui habite la conscience humaine et lui indique le sens de la vie », Abou conclut son ouvrage par une profession de foi : « L'amour ne mourra pas. »

(*) Les Presses de l'Université Saint-Joseph organisent une séance de signature de l'ouvrage « De l'identité et du sens » mardi 11 mars à 18h30 dans le hall du campus des sciences humaines. La signature sera suivie d'un vin d'honneur.
Nous avons la chance de compter parmi les nôtres celui que certains considèrent comme l'un des plus grands anthropologues vivants : Sélim Abou, ancien recteur de l'Université Saint-Joseph, qui a été au centre d'une rencontre-débat qui s'est tenue mercredi soir, sur le campus des sciences humaines de l'USJ, autour de son plus récent...
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