Rechercher
Rechercher

Actualités

Humeur Interdit aux plus de 16 ans Nahi LAHOUD

Moi aussi, comme vous, j’ai expérimenté cette pensée de Max Jacob, mes pauvres chéris ! Votre âge, je l’ai subi. Je l’ai même subi huit fois, si je dois compter, en plus de celle de ma fille, de mes neveux et nièces, ma propre adolescence (celle dont j’ai certainement le moins souffert). Je peux donc vous confirmer en toute connaissance de cause qu’avoir votre âge, c’est tragique, mais jamais mortel. Et rassurez-vous, ça ne dure pas. Mais tant que cela dure, je connais les sentiments de frustration et de rébellion qui croissent en vous, face à cette marâtre de vie qui ne s’accorde ni à vos désirs ni à vos mérites évidents. Or, ces frustrations qui s’empilent, ces complexes qui vous rongent, n’importe quel psychiatre (et je me réfère à mon ami, le Dr Adel Akl) vous le dira comme moi, sont des sentiments qui peuvent mener tout droit à la démence précoce, à la vésanie, à la mégalomanie, à la mélancolie, à l’agoraphobie et même à la chienlit. Il faut donc y prendre garde. Fort heureusement, le remède est à portée de votre main ou de votre pied – à vous le choix du membre. Il suffit donc de vous défouler et de vous libérer ainsi de vos aléas. Rien de plus simple. Votre cure de défoulement ne réclame que l’environnement d’une bonne famille (la vôtre), ayant les nerfs en place, et le premier jeudi de pluie fera l’affaire pour entamer votre traitement. Voici à titre d’exemple diverses thérapeutiques suggérées à votre intention afin de guérir agréablement votre ego juvénile : 1. Dès le petit déjeuner, ne parler aux membres de la famille qu’un langage vague, ambigu, décousu avec des réponses sténo-onomatopiques comme : « Ben, ouais, bah, heu, ouf, paf, zut, waoouu, pfuitt, chut, hep, top, cool, man, grave », etc. Poursuivre ce traitement jusqu’à ce que le papa, excédé, quitte la table pour fuir ce dialogue de oufs (fous) pour meufs (femmes) hystériques. 2. Lire de façon persistante un livre à l’envers en poussant de temps en temps un éclat de rire strident, frisant la schizophrénie. Au bout de deux heures, lorsque vos parents demandent grâce, montrer avec calme et pondération que c’est uniquement la couverture qui se trouve à l’envers. 3. Traîner un plumeau en laisse en l’appelant Médor, ou à défaut une brosse à dents (bien que cela fasse désuet). Le priver de sucre, si jamais l’envie lui vivent d’écouter Wi’am Wahhab, Nasser Kandil, Moustafa Allouch ou encore Antoine Zahra, le soir à la télé. 4. Arborer avec discrétion un ornement incongru. Une attache de bureau dite trombone en place d’un serre-tête. Un collier de radis ou une pince à linge comme breloques. Se raser le crâne jusqu’à la moelle ou se le teindre aux couleurs fluo de l’arc-en-ciel. Relier ses narines à sa langue au moyen d’un piercing. Le bandeau noir sur un œil convient aussi aux deux sexes. 5. Aller promener le chien déprimé par les prestations des politicards et jouer son porte-parole, c’est-à-dire... aboyer à sa place. 6. Au repas du midi, réclamer une louche pour manger son steak en ajoutant d’un ton sobre que « c’est plus in ». 7. Ne circuler dans la maison qu’en transportant avec affectation un paquet mystérieux (des pantoufles usées) qu’on ne quittera pas de l’œil. 8. Se précipiter lorsque le téléphone sonne et y répondre avec l’emphase déférente d’un valet stylé à Buckingham Palace ou d’une soubrette de comédie. 9. Abandonnant pour un temps la pratique fastidieuse du zut ou du pfuitt, répondre systématiquement sur un ton approbateur à toute question posée par vos parents concernant l’état d’avancement de vos prouesses scolaires ou l’évolution cancrale de votre frère. 10. Présenter à la famille un(e) petit(e) ami(e) imaginaire. S’excuser auprès de lui (elle) du mauvais accueil réservé par vos géniteurs. Car on ne saurait, après tout, être responsable de la mauvaise éducation de ses parents. 11. Couper le son de la télévision et improviser, devant l’image muette d’un Carlos Eddé ou d’un Élie Skaff, un discours incohérent. C’est là où nos deux sympathiques politiciens paraîtront des plus éloquents. 12. Assommer les voisins en poussant à fond votre sono techno jusqu’à ce qu’ils finissent par demander l’asile politique chez le concierge égyptien. Si la famille ne célèbre pas (avec exaltation) en vous l’avènement d’un nouveau Gad el-Maleh, rétablir prestement le son authentique et se vexer pour de bon, et ne communiquer avec eux, désormais, que par des gestes mimiques dignes de Marcel Marceau. Si vous arrivez à tenir le coup une semaine sans prendre quelques taloches et sans être privé de sucre (comme votre plumeau), vous serez un homme, mon fils, ou une femme, ma fille ! Nahi LAHOUD Producteur de théâtre * Écrivain français (1876-1944). Article paru le vendredi 12 décembre 2008
Moi aussi, comme vous, j’ai expérimenté cette pensée de Max Jacob, mes pauvres chéris ! Votre âge, je l’ai subi. Je l’ai même subi huit fois, si je dois compter, en plus de celle de ma fille, de mes neveux et nièces, ma propre adolescence (celle dont j’ai certainement le moins souffert). Je peux donc vous confirmer en toute connaissance de cause qu’avoir votre âge, c’est...