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Actualités - interview

Interview L’absence d’institutions entrave l’intégration en Amérique du Sud

Antoine AJOURY Si la démocratie s’est bien implantée en Amérique latine, ce continent est toujours miné, selon Norberto Consani, expert argentin en relations internationales, par des questions sociales. L’histoire récente de l’Amérique latine est intimement liée aux différentes dictatures qui y ont sévi. Aujourd’hui, les régimes démocratiques se sont toutefois bien implantés sur ce continent, faisant oublier peu à peu les années de plomb. « Les pays d’Amérique latine sont en train de créer un nouveau principe de droit international. Il s’agit du principe démocratique initié lors de la réunion de l’Organisation des États d’Amérique (OEA) à Santiago du Chili, en 1991 », explique Norberto Consani, directeur de l’« Instituto de Relaciones Internacionales », en Argentine, lors de son passage à Beyrouth. L’OEA s’est, en effet, déclarée déterminée à passer outre au principe de non-ingérence pour soutenir les gouvernements légitimes, victimes de coup d’État avec la résolution 1080. « Ces États ont confirmé leur politique en signant, dix ans plus tard, à Lima, au Pérou, la Charte démocratique interaméricaine, qui perfectionne le principe déjà énoncé au Chili, en stipulant la possibilité d’expulsion d’un pays dont le gouvernement serait issu d’un coup d’État. Le traité du Mercosur (la communauté économique des pays de l’Amérique du Sud) comprend également une clause démocratique », ajoute-t-il. Tous les groupes et organisations régionales du continent incluent ainsi dans leurs statuts et instruments juridiques une référence explicite à la protection de la démocratie. Mais, outre le fait que l’Amérique latine dispose des instruments nécessaires pour prévenir les coups d’État, le plus important, selon M. Consani, est que cette région a maintenant « une culture démocratique ». Toutefois, ajoute le juriste argentin, « le principal problème de l’Amérique latine, et de tous les pays de cette région, reste la question sociale. Si l’on exclut le cas du Brésil, l’Amérique latine est le continent le plus inégal du monde ». Selon lui, les droits économiques sociaux et culturels en Amérique latine sont quasi inexistants. Même les instruments juridiques concernant cette catégorie de droits n’ont pas été ratifiés par un grand nombre de pays. « C’est la preuve concrète qu’il y a un problème », martèle-t-il. Dans ce contexte, Noberto Consani nuance l’effet attendu du virage à gauche de la plupart des régimes sud-américains. « Il faut d’abord définir ce qu’est un gouvernement de gauche. Pour nous, pour vous, pour tout le monde, la gauche c’est le progrès et la justice sociaux, explique-t-il. Mais, on ne définit pas uniquement un régime par sa politique ou ses actions. Au Venezuela, par exemple, Chavez distribue les richesses de l’État à la population qui reste toujours pauvre. En outre, sa politique entraîne une polarisation de la société, ce qui risque de mal finir. Il y a un problème structurel lié, entre autres, à l’éducation », estime M. Consani. En ce qui concerne la politique hostile aux États-Unis de certains dirigeants, le juriste explique que « l’antiaméricanisme en Amérique latine est pour la galerie. Le plus grand marché, notamment pétrolier, pour le Venezuela est le marché des États-Unis malgré la politique la plus antiaméricaine de l’Amérique latine de Chavez. Il en est de même en Argentine où il y a eu un discours antiaméricain, mais où plusieurs traités ont été conclus, notamment durant les deux mandats du président Bush. Pour juger vraiment ce problème, il ne faut pas se fier aux paroles ou aux discours, mais plutôt à la politique concrète des gouvernements, à la real politik », déclare-t-il. Régionalisation L’Amérique latine est également marquée par un mouvement de régionalisation. « L’intégration en Amérique du Sud coïncide pratiquement avec la fin des dictatures et l’émergence de la démocratie. Des ébauches ont pourtant vu le jour durant les années de plomb, cantonnées toutefois au niveau politique, et non culturel. On a vu ainsi une coopération militaire naître entre plusieurs dictatures pour gérer ensemble des intérêts communs », explique-t-il. Le Mercosur est un exemple de cette régionalisation, au niveau économique. « Mais, aujourd’hui, l’inexistence d’institutions est le grand problème du Mercosur. Il y a un manque d’institutions très grave dans le processus d’intégration des pays d’Amérique du Sud », avertit M. Consani qui ajoute toutefois « qu’il y a quand même une volonté de résoudre ce problème. En effet, l’année dernière, un Parlement a été créé, mais il est loin de ressembler à celui de l’Union européenne, puisque l’élection directe de ses membres ne se fera pas avant 2011 ». L’autre obstacle majeur concernant l’émergence d’une organisation régionale est la prépondérance des intérêts des différents pays sur l’intérêt de la communauté, à l’image de l’Uruguay qui négocie actuellement un traité de libre-échange avec les États-Unis. « S’il y a un accord avec Washington, c’est la mort du Mercosur », dit-il. Dans sa construction régionale, l’Amérique latine manque de « solidarité », un élément au cœur de la construction européenne, estime M. Consani. Le seul moyen de parvenir à une intégration sud-américaine efficace afin que ce continent ait un poids sur la scène internationale est d’avoir « des institutions solides, à l’instar de l’Europe ou même de l’Afrique », conclut M. Consani.
Antoine AJOURY

Si la démocratie s’est bien implantée en Amérique latine, ce continent est toujours miné,
selon Norberto Consani, expert argentin en relations internationales, par des questions sociales.


L’histoire récente de l’Amérique latine est intimement liée aux différentes dictatures qui y ont sévi. Aujourd’hui, les régimes démocratiques se sont...