Les JO de Pékin, fierté des Chinois Antoine AJOURY

Les Chinois ne méritent pas ça. Il serait peut-être bon de s’incliner, le temps des JO de Pékin, devant les efforts titanesques des Chinois, pour assurer la réussite de cet événement planétaire. Les Chinois ont, en effet, investi énormément de leur personne et de yuans pour faire des JO un succès digne de la grandeur de l’Empire du milieu. Les chiffres révélés récemment, relevant pour certains de la démesure, montrent en outre l’enthousiasme des autorités chinoises. Près de 70 000 volontaires ont été mobilisés pour assister les athlètes et les spectateurs. 300 000 autres sillonnent les rues de Pékin pour assurer l’ordre public, sans oublier les 100 000 soldats et policiers déployés dans la capitale. Quelque 40 millions de pots de fleurs ont été installés dans les artères de la mégalopole chinoise. C’est surtout le coût total des Jeux, estimé à près de 40 milliards de dollars, qui a fait exploser tous les records. À titre de comparaison, les JO d’Athènes en 2004 avaient coûté près de 15 milliards de dollars à la Grèce. Il est donc évident que les Chinois tentent de mettre tout en œuvre pour faire de ces Jeux la vitrine de la puissance de leur pays. Rien n’est laissé au hasard pour assurer le déroulement optimal de ces XXIXe Olympiades. Une grande partie des investissements, estimés à 26 milliards de dollars, a été affectée aux infrastructures, la Chine profitant ainsi de cet événement sportif pour moderniser la capitale. Ces dépenses ont essentiellement touché le secteur des transports : plusieurs axes routiers ont été élargis, trois nouvelles lignes de métro ont été créées, un nouveau terminal a été ajouté à l’aéroport de Pékin… Soucieuses de donner une dimension nationale à ces Jeux, les autorités chinoises ont en outre décidé que des épreuves se dérouleraient dans d’autres grandes villes. Les six autres villes choisies ont donc chacune rénové des installations existantes ou construit de nouveaux complexes. Les Chinois ont, par ailleurs, fait des efforts colossaux sur le dossier de l’environnement. D’importantes mesures, dont la circulation alternée des voitures et la fermeture d’usines, ont été prises afin de réduire la pollution. Toutefois, la qualité de l’air est toujours problématique. Revers de la médaille, des milliers de familles habitant à proximité des sites olympiques ont toutefois été forcées de déménager contre de modestes compensations. Des expulsions qui ont entraîné, cette semaine, de violentes manifestations, notamment dans le quartier historique de Qianmen, où ont été menés des travaux de rénovation pré-JO. Même parmi les Pékinois, les JO ne font pas l’unanimité en raison notamment des restrictions sécuritaires, des fermetures d’usines et de la flambée des prix. La frustration, l’impatience et les plaintes de certains contrastent avec la ferveur et l’enthousiasme du début. Mais les Chinois sont toutefois surtout exaspérés par la pluie de critiques qui fusent de toutes parts contre leur pays. Les Chinois ont notamment été choqués par les manifestations hostiles à Pékin durant le passage de la flamme olympique dans certains pays occidentaux, suivies des condamnations tous azimuts de politiciens, journalistes et défenseurs des droits de l’homme sur la censure de l’Internet, les atteintes à la liberté de la presse et la situation au Tibet. Il va sans dire que la protection des libertés publiques et individuelles doit toujours être une priorité pour les régimes démocratiques et pour toute société civilisée. Et quoi de mieux que les Jeux olympiques pour promouvoir les droits de l’homme, en faisant pression sur le gouvernement chinois. Ce qui fut considéré comme un acharnement des médias occidentaux contre Pékin a toutefois fortement marqué les Chinois qui se sont sentis offensés, voire insultés. Rares, en effet, sont ceux qui mentionnent les fastidieux préparatifs ou l’excellente organisation des Jeux, dont la majorité des athlètes déjà sur place fait l’éloge. Les sites olympiques, comme le majestueux stade appelé « Nid d’oiseau » – ainsi que d’autres réalisations tout aussi impressionnantes –, passent au second plan de l’information devant l’interdiction de consulter des sites Web relatifs aux dissidents chinois ou au mouvement spirituel Falungong. Malgré la légitimité de certaines critiques, concernant notamment la répression des opposants par le régime, la population chinoise a mal reçu ce message. En effet, les Olympiades représentent un des rares événements mettant à l’unisson les intérêts du parti au pouvoir et ceux du peuple. Le gouvernement en tire l’orgueil d’un statut de « grande puissance retrouvée », alors que les Chinois y trouvent une occasion de consacrer leur ouverture sur le monde extérieur en accueillant avec fierté les peuples du monde entier. Ces attaques farouches risquent ainsi de couper les ponts entre l’Occident et la population chinoise, et ce d’autant plus que les autorités de Pékin savent instrumentaliser toute tentative impertinente de « s’ingérer dans les affaires intérieures » du pays en excitant la ferveur nationaliste des Chinois, pour orienter leur colère contre les Occidentaux qui refusent au peuple chinois son moment de gloire. Plusieurs observateurs affirment ainsi qu’après des siècles d’humiliation et d’isolement, la Chine cherche sa revanche sur l’histoire. D’autres mettent l’accent sur l’impact négatif des critiques en faveur de plus de liberté en Chine, estimant qu’on néglige le formidable mouvement d’ouverture de l’Empire du milieu depuis trente ans. Dans tous les cas, ce n’est pas en blessant la fierté retrouvée des Chinois qu’on les incite à plus de démocratie. Cette stratégie risque, au contraire, d’exacerber les extrémismes de tous bords. En témoignent les réactions violentes ainsi que le langage parfois haineux que l’on a vu fleurir, récemment sur la toile, contre l’Occident, et notamment la France. Il serait peut-être plus subtil de laisser les Chinois eux-mêmes faire pression en faveur du changement que l’organisation de ces Jeux à Pékin pourrait encourager. Entre-temps, laissons la place au sport, et…let the games begin.