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Actualités - interview

Interview - « C’est une armée privée avec des armes privées qui a envahi Beyrouth », souligne le fils de l’ancien président du CSC Ibrahim Chamseddine : Le Hezbollah mène tranquillement son coup d’État à l’intérieur des institutions

Ibrahim Chamseddine. Il est le dépositaire, avec un certain nombre d’intellectuels chiites comme Saoud el-Maoula ou Mohammad Hussein Chamseddine, à titre d’exemple, de toute une école de pensée profondément « libaniste », celle de Jabal Amel, de l’imam Moussa Sadr et de l’imam Mohammad Mahdi Chamseddine. Une école qui continue à mettre en garde contre les erreurs qui sont commises par ceux qui représentent aujourd’hui la communauté chiite ; qui tente tant bien que mal de raccommoder, de rapiécer, d’atténuer le choc des dérives initiées par la politique menée actuellement au nom de la communauté chiite. Ibrahim Chamseddine reste profondément lucide. Il a choisi, par fidélité envers sa culture chiite, son identité complexe et envers l’héritage paternel, de ne pas se voiler les yeux, d’appeler les choses par leur nom. Et cela nécessite beaucoup de courage, compte tenu de l’état dans lequel se trouve sa communauté aujourd’hui sur le plan politique. Fidèle aux préceptes de l’imam Chamseddine, Ibrahim Chamseddine l’est assurément, à commencer par cette phrase fondamentale du Testament de l’imam, qui appelle les chiites du Liban à « ne pas avoir de projet autre que celui de l’État ». « L’imam Chamseddine s’adresse aux chiites en leur demandant de s’intégrer à leur patrie, d’être en osmose avec les autres composantes de la société. Il leur dit qu’ils n’ont pas un projet en tant que chiites, mais un projet national en tant que citoyens appartenant à un État. Leur projet économique fait partie intégrante de l’économie de leur État. Leur projet politique fait partie intégrante du projet politique de l’État auquel ils appartiennent. Même les projets sociaux doivent être mis en place en collaboration avec les autres composantes de la patrie », dit-il. Et d’ajouter : « C’est pourquoi j’insiste sur le fait que les chiites ne constituent pas un “croissant sectaire” (pour reprendre l’expression utilisée par le roi Abdallah II de Jordanie). Ils ne sont pas une faction qui traverse les continents. Le chiisme international n’existe pas. Il y a eu une tentative en ce sens, mais cela a pris la tournure d’une exploitation politique. Les chiites dans le monde sont des citoyens dans les États dont ils sont originaires. C’est ce que nous n’avons de cesse d’affirmer et c’est ce que l’imam Chamseddine soulignait. Lorsque l’imam Chamseddine demandait ainsi aux chiites de s’intégrer dans leur société et qu’il leur disait qu’ils ne sauraient avoir un projet propre à eux, ce n’était nullement de la prose, il signifiait ce qu’il disait. Il soulignait dans ce cadre que le Liban est une patrie que nous édifions et que nous préservons au quotidien. Il disait aussi que le Liban, dans sa formule actuelle, est une nécessité pour le monde non seulement arabe, mais également islamique. » L’identité complexe « Sur le plan du principe, l’imam Chamseddine a fixé trois niveaux pour définir l’identité : il parlait des Libanais, des musulmans et des chiites. Les chiites sont libanais et musulmans. Il n’y a aucune contradiction entre ces trois niveaux. Notre identité à tous est très complexe. Ces trois niveaux se complètent et chacun prend le dessus et ressort en fonction du stimulus extérieur ou de la nature des menaces », poursuit Ibrahim Chamseddine. « Les chiites du Liban sont donc libanais, leur projet est l’État, leur lien est l’État. Leur comportement est à caractère centripète, c’est-à-dire que leur regard est tourné vers l’intérieur, vers le centre », souligne-t-il. « Le seul projet des chiites c’est donc l’État, l’État juste pour des citoyens libres. C’est tout ce que veulent les chiites. Même si l’on tente à des fins politiques de réveiller actuellement leurs craintes, de raviver dans leurs esprits le sentiment d’oppression historique dont ils ont été victimes. D’où la causalité entre la résistance et l’oppression historique mise en évidence par le Hezbollah, et qui s’est progressivement transformée en conviction chez les partisans. Il s’agit là d’une tentative de changer la structure de l’identité des chiites libanais. Mais, encore une fois, le Liban est un pays définitif, pour reprendre le Testament de l’imam Chamseddine. Tous ceux qui n’aident pas à mettre en pratique ce précepte ne sont pas réellement chiites. La logique du nombre n’est pas importante. Même si une partie fait descendre quatre millions de personnes dans la rue, elle n’en est pas plus chiite pour autant », ajoute le président de la Fondation Chamseddine. La wilayet el-faqih Interrogé sur la wilayet el-faqih et sa signification, Ibrahim Chamseddine explique qu’après la chute du chah en Iran et l’émergence de la République islamique, la légitimité du régime politique à Téhéran a été fondée sur la notion de « wilayet el-faqih ». « L’éternelle question qui se pose dans l’histoire de l’humanité est la légitimité du pouvoir. Cette légitimité est-elle une légitimité humaine (temporelle) ou religieuse ? En Europe, avec l’État-nation et la démocratie, la légitimité du pouvoir a été fondée sur le peuple. Comme le stipule la Constitution libanaise, le peuple est donc la source des pouvoirs et il exerce son pouvoir par le biais des institutions. Dans le monde arabo-musulman, cette question a toujours fait l’objet d’un débat et a été au centre de divergences entre ulémas chiites et sunnites d’écoles différentes. Lorsqu’un pouvoir règne au nom de Dieu, sa légitimité est toujours plus forte. En Iran, le chiisme a fusionné avec l’identité nationale par opposition à l’État turc », commence-t-il par dire. « En ce qui concerne la wilayet el-faqih, la théorie appliquée en Iran dépasse la notion classique. La légitimité du régime en Iran repose sur la wilaya globale (wilaya aamma). Celui qui gouverne le fait en sa qualité de suppléant du douzième imam occulté, lequel avait été nommé par Dieu. De ce fait, le régime en Iran est religieux et sa légitimité est divine. Il y a donc une juxtaposition entre la démocratie et le régime religieux. La notion de wilayet el-faqih a été sortie ici de son contexte originel et a été liée en Iran à la source du pouvoir élu par le peuple, et c’est sur cette base que le régime a été fondé. L’autorité du waliy el-faqih s’est étendue au-delà des frontières de l’État national iranien. La notion a été étendue dans un but expansionniste au plan politique, en ce sens que le waliy el-faqih considère que son autorité s’étend à tous les musulmans, et plus particulièrement les chiites. Ce pouvoir, il le transmet par commutativité à un responsable local à qui il donne une partie de ses prérogatives et qui considère alors qu’il a un pouvoir sur les gens », explique-t-il. « Le guide dans l’État islamique iranien considère donc qu’il a un pouvoir universel sur les chiites dans le monde. Il y a eu une tentative d’exporter ce pouvoir par le biais de représentants ou d’organisations partisanes. Le Hezbollah est l’une des émanations de cette notion et de ce système. En d’autres termes, les membres du Hezbollah sont, certes, libanais, mais en tant que structure et organisation politique, la décision du parti n’est pas libanaise mais est liée au waliy infaillible. Toute personne qui désire adhérer au Hezbollah doit avoir foi dans la notion de wilayet el-faqih. Nul ne peut adhérer au Hezbollah et débattre de la notion de wilayet el-faqih. Selon la même logique, le mouvement Amal est authentiquement libanais ; il a été fondé par l’imam Moussa Sadr. J’ai milité au sein du mouvement Amal et à l’époque, on discutait et contestait les décisions sans crainte. On pouvait adhérer et puis quitter le mouvement sans crainte. Mais au Hezbollah, si vous quittez les rangs, cela risque de vous poser un problème, comme dans tout parti autoritaire », indique Ibrahim Chamseddine. Le président de la Fondation Chamseddine insiste par ailleurs sur le fait que, « dans l’islam, la notion même de parti n’existe pas ». « Cette notion est intruse dans l’islam. Il n’y a pas d’affiliation partisane dans l’islam. Si l’existence d’un parti est permise, c’est que dans ce cas Ali ben Abi Taleb a eu tort de ne pas fonder de parti. Idem pour l’imam Hassan et les autres. Cela signifie que ces derniers ont été dans l’erreur et, par conséquent, qu’ils n’étaient pas infaillibles. Si l’on considère que ces imams n’ont pas su adopter la bonne position, c’est donc qu’ils n’étaient pas infaillibles ! » note-t-il, dans une volonté de déconstruction de la logique du Hezbollah. Un instrument de pouvoir Selon Ibrahim Chamseddine, ce que l’imam Khomeyni a réussi à faire à travers l’instauration de la wilayet el-faqih, c’est « fonder un système nouveau avec un État ayant une identité bien précise ». « Il a bâti un système au sein duquel il y a possibilité de choix et au sein duquel il y a des élections, mais sous haute surveillance et d’une manière très contrôlée. Ce système est chapeauté par un guide qui a un pouvoir quasi absolu. Il est ainsi anormal que le guide suprême ordonne au Parlement iranien, élu par le peuple musulman, non pas d’approuver une loi, mais même de la discuter. Le pouvoir est détenu par un seul homme qui n’est pas infaillible. À supposer qu’on accepte un tel système, et même le principe de désigner comme guide suprême une personnalité qui possède le savoir le plus large, la question reste de savoir si cet homme qui a un pouvoir quasi absolu ne pourrait pas être remplacé par une autre personnalité qui aurait acquis un savoir équivalent au bout de cinq, dix ou quinze ans. Pourquoi ce guide suprême devrait-il rester en place indéfiniment ? Donner un caractère infaillible à cette autorité n’est pas acceptable. Nous critiquons les chrétiens au sujet de l’infaillibilité du pape. Or nous faisons la même chose en disant que le guide est infaillible. Cela n’est pas acceptable. Même l’imam Ali ben Abi Taleb, qui était infaillible et successeur du Prophète, avait invité les gens à le critiquer... » note-t-il. « Il reste que la wilayet el-faqih est un système que les Iraniens ont choisi pour eux-mêmes et qui ne nous concerne pas en principe. Ce n’est pas mon choix. Notre système libanais est républicain, parlementaire et démocratique, il est fondé sur le choix du peuple, et c’est le libre choix qui est à la base de la légitimité. Malheureusement, le pouvoir décisionnel du Hezbollah est aux mains d’une autorité qui réside en dehors des frontières nationales, qui utilise le religieux et le principe contesté de la wilayet el-faqih, afin d’étendre son influence et son contrôle. Cet instrument est aussi utilisé pour isoler une communauté de son environnement, en disant aux chiites qu’ils sont chiites et non pas libanais, en ce sens qu’ils doivent agir en priorité en tant que chiites et qu’ils doivent suivre le guide (iranien). À cette fin, on accorde l’argent, l’embrigadement culturel et l’influence. Après le décès de l’imam Mohammad Mahdi Chamseddine, la scène chiite a été ouverte à tous les vents. L’imam Chamseddine représentait en effet une immunité pour les chiites du Liban », souligne Ibrahim Chamseddine. La résistance Selon Ibrahim Chamseddine, « on cherche maintenant à créer une distinction entre les chiites et les autres, en leur disant qu’ils sont plus nombreux, que ce sont eux qui ont libéré le Sud, etc. ». « C’est vrai que ce sont les chiites qui ont libéré le Sud, et nous en sommes fiers, mais n’adoptons pas pour autant une attitude hautaine et de suprématie à l’égard des autres ! Nous en venons sur ce plan à la question de la résistance. La résistance est un devoir religieux, selon l’imam Chamseddine. Lorsque cette mission religieuse est achevée, chacun doit retourner chez soi, en évitant de se placer en position de force ou d’occuper et de conquérir des positions. L’imam Ali ben Abi Taleb n’a pas cherché à exploiter sa position et son autorité pour s’imposer par la force aux autres. Libérer la patrie est un devoir et non pas un atout que nous cherchons à capitaliser ou à exploiter pour le pouvoir. La résistance apparaît parce que les gens le veulent », affirme-t-il. Ainsi, « tout le monde est résistant, le Hezbollah et les autres. Le Hezbollah a pu organiser une action militaire parce que les Libanais le voulaient bien. Mais la résistance ne saurait être limitée au seul Hezbollah. Il reste que nous avons soutenu cette faction dans sa lutte contre Israël et le monde entier lui a rendu hommage. Le symbole de cette faction, son secrétaire général, a été honoré et il est devenu un symbole, jusqu’au moment où il a été impliqué dans l’action partisane. Il a alors considéré la résistance comme étant sa propriété. Il s’est comporté ainsi comme un simple parti politique. Il s’est laissé entraîner dans les méandres de la politique, il a agi d’une façon sectaire et illogique. Sa non-libanité est apparue au grand jour à diverses occasions. De même, son secrétaire général est devenu comme tous les autres secrétaires généraux. Le Hezbollah ne peut pas prétendre qu’il est plus libanais que les autres sous prétexte qu’il a résisté ». Saper les fondements de l’État La wilayet el-faqih constitue-t-elle un danger pour le Liban, ou n’est-elle qu’un épouvantail brandi pour effrayer, dans la mesure où le guide spirituel se trouve en Iran et que l’Iran, c’est loin ? À cette question, Ibrahim Chamseddine répond : « Le sultan ottoman gouvernait à partir de son palais à Istanbul : pourtant nous n’avons pas de frontières communes avec la Turquie et nous ne parlons pas la même langue. Le lien géographique n’est plus nécessaire de nos jours. L’extension de l’influence et le contrôle d’un autre territoire peuvent se faire par le biais d’une faction locale à qui l’on accorde à cette fin tout le soutien et le pouvoir nécessaires. Tout pouvoir cherche à sortir de son territoire et à s’étendre lorsque sa force devient trop grande, si bien qu’elle ne peut plus être contenue dans le territoire local. C’est en ce sens que la notion de wilayet el-faqih tente de s’exporter en dehors des frontières nationales de l’État iranien afin d’imposer son contrôle sur des parties extérieures, dans le but d’enregistrer des acquis iraniens. Cette extension vers l’extérieur s’est faite essentiellement dans les pays arabes où se trouvent des chiites, comme l’Irak et le Liban. » Et de poursuivre : « Cette extension de l’influence vers l’extérieur est-elle inéluctable ? Les Iraniens veulent-ils imposer leur influence définitivement ou cela est-il une démarche provisoire ? Une analyse s’impose sur ce plan. Ce que je peux faire, pourquoi ne pas le faire ? En politique, il n’y a pas de morale. L’Iran cherche-t-il à imposer au Liban un pouvoir qui lui ressemble ? D’ici à 10, 20 ou 30 ans, cela est très possible. En nous basant sur les déclarations, il apparaît que le projet d’État islamique sur base des thèses iraniennes existe et cela se reflète par le biais des moyens du Hezbollah spécifiquement. » Le Hezbollah désire-t-il réellement édifier une République islamique au Liban ? Ibrahim Chamseddine répond : « Si cela est possible, oui, il le fera. Il restera des sunnites, des chrétiens … Le Liban restera le Liban, au plan des frontières et de son tissu social. Il y aurait alors une structure fondée sur des principes démocratiques. Des responsables du Hezbollah rencontrent à ce sujet actuellement des diplomates européens pour les convaincre que les principes démocratiques devraient être appliqués en tenant compte de la réalité chiite, en fonction de la règle de la majorité et de la minorité sur le plan démographique. Le Hezbollah, en tant que prolongement du système iranien, pourrait édifier un État. Dans un État édifié par le Hezbollah, les candidatures aux législatives seraient, à titre d’exemple, soumises à des conditions strictes. Dans ce sens, la formule libanaise telle que nous la connaissons est effectivement très menacée. Il existe une menace réelle car la volonté existe réellement et les moyens mis en œuvre aussi. L’un des moyens utilisés est de saper la notion de l’État et le respect des gens envers l’État. L’État passe ainsi pour voleur, mauvais, oppresseur, inefficace… Or les gens n’aiment pas ce qui est faible. Tout est mis en œuvre afin de saper les fondements de l’État actuel, de mener à bien le coup de force et d’édifier un autre État. » « Le projet du Hezbollah est de prendre le pouvoir au Liban et d’instaurer une République islamique. Non pas à la manière iranienne, bien sûr, mais à travers un coup d’État institutionnel. Le pluralisme sera respecté, mais, politiquement, tout le monde sera sous les ordres du faqih iranien. Il pourrait alors instaurer une sorte de système de protection des dhimmis. Le Hezb a dépassé le stade qui veut que la communauté soit la limite qui empêche un parti d’étendre sa force au Liban. Il se protège désormais grâce à sa domination sur la communauté chiite et mène tranquillement son coup d’État à l’intérieur des institutions. Et le système selon lequel on pourrait conclure des marchandages politiques avec lui ne peut que le renforcer et accélérer sa montée en puissance », ajoute-t-il. L’invasion de Beyrouth Ibrahim Chamseddine condamne fermement l’opération militaire menée par le Hezbollah à Beyrouth le mois dernier. « Aucune justification ne peut rendre licite ce qui s’est produit : une occupation en bonne et due forme de Beyrouth. Tous les autres termes sont faux. C’est véritablement une invasion de la cité qui a été menée, l’invasion et l’occupation n’étant pas uniquement l’apanage d’une force étrangère. C’est Beyrouth en tant que cité plurielle qui a été envahie et agressée. Le danger, c’est que les açabiyate se renforcent mutuellement, et, là, il faut répondre par la logique de l’État, une logique plurielle. C’est une armée privée avec des armes privées qui a envahi Beyrouth, pour ses propres raisons, alors qu’elle n’était pas menacée. Les décisions du gouvernement n’étaient pas dangereuses pour le Hezbollah », affirme-t-il. « Mais le Hezbollah a été démasqué. L’argument selon lequel les armes ne seraient jamais retournées contre l’intérieur est tombé. Ce n’est pas une victoire, mais un gain qui a été réalisé, et il y a une grosse différence entre les deux. Les répercussions de cet acte sont très graves sur le slogan de la résistance et sa légitimité, mais aussi sur les chiites, malgré tous les efforts entrepris par l’imam Chamseddine pour faire la différence entre la communauté chiite et les partis chiites. Encore une fois, la communauté chiite ne saurait être réduite à un seul parti. Or on veut l’embrigader. Cela va à l’encontre de la formule libanaise, qui est fondée sur les communautés, pas sur les partis. Cette atteinte à la résistance et aux chiites est très grave, et il faudra énormément de temps pour réparer ce qui a été fait. Le Hezb a mis dans la balance sa crédibilité et sa domination, et il a penché pour la seconde. Or voilà que nous payons, en tant que chiites, le prix de ce que font d’autres.“ Je suis proprement chiite et je considère que les droits des chiites ne peuvent être assurés qu’à travers l’État”, disait l’imam Chamseddine. Il y a cette conviction dangereuse chez Hassan Nasrallah qu’ils ont fait une opération chirurgicale et propre. Cela est grave. Ils pensent qu’ils détiennent le monopole de la vérité, et cet orgueil est un signe de déclin », poursuit-il. Ibrahim Chamseddine se montre particulièrement sceptique face au dernier discours de Hassan Nasrallah, sur le respect du pluralisme et du partenariat, et surtout sur l’allégeance au waliy el-faqih, qui lui aurait commandé de respecter le pluralisme au Liban. « Comment parle-t-il de partenariat ? Comment celui-ci apparaît-il à travers l’opération du 8 mai ? Le prétexte selon lequel ils ne veulent pas dominer est fallacieux. Déjà, le sit-in de la place des Martyrs, une occupation en bonne et due forme, visait à obtenir des demandes auxquelles ils n’avaient pas droit », dit-il. Et de poursuivre : « Il faut faire la distinction entre les armes de la résistance et les armes du Hezbollah. Les armes qui provoquent la destruction de la nation et qui créent le chaos sont celles du parti, elles ne sauraient être celles de la résistance ! Par ailleurs, ce même faqih auquel Hassan Nasrallah est fier de faire allégeance est celui qui a accepté l’invasion de Beyrouth. Or aucun faqih ne devrait autoriser une guerre entre musulmans, ce qui ne peut que laisser planer des doutes sérieux sur la justesse de ses décisions. Dans ce sens, le Hezbollah est aussi en rupture avec l’histoire islamique et avec les préceptes de Ali. Si le faqih et le président, ou la Chambre au Liban prennent des décisions divergentes, que se passera-t-il ? Si le faqih décide demain qu’il ne faut plus préserver le pluralisme au Liban, que fera le Hezbollah ? Il répondra très certainement au pouvoir en Iran. Or le parti tente d’établir, en guise de couverture, une différenciation entre le faqih et le gouverneur d’Iran, alors qu’en fait, il n’y a aucune différence. La wilayet el-faqih est une forme de césaro-papisme. » Le message aux chrétiens Ibrahim Chamseddine souhaite surtout s’adresser à la composante chrétienne, sans laquelle, d’après lui, il n’y a tout simplement plus de Liban. « Au Liban, et dans le cadre de la formule à laquelle nous sommes attachés, les musulmans attendent le retour des chrétiens. Il n’est pas concevable de bâtir une nation avec un partenaire absent ou qui se plaint continuellement. Il faut que les chrétiens reviennent, qu’ils vivent avec nous, qu’ils meurent avec nous, qu’ils gagnent ou perdent avec nous. Une nation se bâtit de l’intérieur. Il ne suffit pas de souhaiter que le Liban renaisse ; il faut œuvrer à cela. On ne peut pas bâtir et construire le Liban sans une participation d’égal à égal et totale avec les chrétiens, quel que soit le nombre des musulmans. Le vide n’existe pas, la nature nous apprend qu’il est tout de suite rempli », déplore-t-il. Et de conclure : « Si les chrétiens s’en vont, la face de la patrie changera et elle risque bien de devenir une terre pour les autres... » Propos recueillis par Michel HAJJI GEORGIOU
Ibrahim Chamseddine. Il est le dépositaire, avec un certain nombre d’intellectuels chiites comme Saoud el-Maoula ou Mohammad Hussein Chamseddine, à titre d’exemple, de toute une école de pensée profondément « libaniste », celle de Jabal Amel, de l’imam Moussa Sadr et de l’imam Mohammad Mahdi Chamseddine. Une école qui continue à mettre en garde contre les erreurs qui sont...